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peu plus tard à Hoffman l'idée de cette autre épi

gramme:

Amis, Apollon nous menace
De faire aplanir le Parnasse ;
Dès demain il doit le saper,
Et si plat il saura le rendre,
Que Sedaine y pourra grimper

Et qu'il nous y faudra descendre.

Ce fut en 1786 que le jeune lorrain devint Monsieur l'auteur, comme dit Voltaire dans quelquesuns de ses jolis vers qu'on ne lit plus assez. Un recueil de poésie fut la première publication d'Hoffman et lui valut d'être mis par l'Année littéraire « au > nombre de nos poètes les plus agréables. »

Peu de temps après l'apparition de ce volume, Hoffman fit son coup d'essai dramatique. Il y avait alors à l'Opéra une femme remarquable, c'était cette Mme Saint-Huberti sur laquelle Grimm s'est exprimé avec tant d'enthousiasme : « Il est impossible, disait» il, de réunir à un plus haut degré la sensibilité » la plus exquise, un goût de chant plus soigné, » une attention à la scène plus profonde et plus réfléchie, un abandon plus noble et plus vrai,un >> jeu plus attachant et plus digne. »

Dans le rôle de Didon Mme Saint-Huberti avait montré ces belles qualités dans tout leur éclat, et il existait encore un personnage antique qui tentait ses talents de tragédienne et de cantatrice, ce person

nage, c'était Phèdre. Il fallait qu'un poète traitât ce sujet pour le grand Opéra, et l'on désigna Hoffman. Peut-être Mme Saint-Huberti fut-elle pour quelque chose dans ce choix; elle était née à Toul, et l'on peut penser qu'elle protégea avec plaisir un de ses compatriotes.

Hoffman imita sa Phèdre plutôt de l'Hippolyte d'Euripide que de la tragédie de Racine; il remplit assez habilement la mission difficile dont on l'avait charge, mais le compositeur qui lui était adjoint, Lemoine, eut moins de bonheur. Phèdre fut accueillie froidement à la Cour et n'obtint d'abord guère plus de succès à Paris. Phèdre est déracinée, disait-on, elle ne peut se soutenir. Mme Saint-Huberti, par la vigueur de son jeu dramatique, réussit cependant à relever le nouvel opéra, et le roi accorda une gratification à l'auteur du livret. Cette gratification permit à Hoffman de faire le voyage d'Italie; il la

visita à la fois en littérateur et en naturaliste. A son retour il écrivit Nephté dont le sujet, comme celui de la Camma de Thomas Corneille, est emprunté à l'Arioste. Le principal rôle de cette pièce était destiné à Mme Saint-Huberti; mais il ne fut pas joué par elle; Mme Saint-Huberti émigra pour suivre le comte d'Entraigues qu'elle épousa plus tard et avec lequel elle périt d'une manière si tragique'. Sans

"Informée des liaisons du comte d'Entraigues avec le ministre Canning, la police de Bonaparte envoie deux émissaires à Londres.

l'appui de la grande artiste Nephté ne put fournir une longue carrière. Voici en quels termes M. Castil-Blaze parle de cet opéra dans son histoire de l'Académie royale de musique: « Nephté, 11 dẻ>cembre 1789; les Pommiers et le Moulin, 30 >> janvier 1790; Louis IX en Egypte, 15 juin » 1790, trois opéras de Lemoine; triple calamité » pour l'Académie royale de musique. »

Le sort de Nephté ne découragea pas Hoffman, il se mit à la composition d'un autre livret, et s'aidant de Métastase, il écrivit Adrien dont la destinée ne devait pas non plus être très-heureuse.

On sait quelles barbares mutilations les Jacobins firent subir à la plupart des œuvres théâtrales. Ils voulaient annihiler le passé. Non seulement d'après la proposition de Condorcet, un marquis, un savant qui pis est, on condamna au feu les plus précieux manuscrits, non seulement on dénonça des médailles comme coupables de rappeler l'ancien régime, on

Ces émissaires parviennent à corrompre Lorenzo, domestique du comte, afin de pouvoir prendre lecture et même copie des notes et dépêches que ce piémontais portait fréquemment à Canning de la part de son maître. Le 22 juillet 1812, d'Entraigues ayant donné l'ordre de mettre les chevaux à sa voiture et déclaré son intention d'aller chez Canning pour avoir son avis sur un mémoire important qu'il lui avait fait envoyer la veille par Lorenzo, celui-ci comprit que son infidélité allait être découverte; il perdit la tète et dans son trouble i poignarda le comte et la comtesse d'Entraigues, et se tua lui-même après. » (L'Académie royale de musique. Revue de Paris, tome 9, 1837.)

porta encore une main sacrilége sur nos auteurs classiques. Les œuvres de Racine furent purifiées de toute expression suspecte. Les opéras, on le pense bien, ne furent pas à l'abri de ces remaniements étranges; ainsi dans le Déserteur de Sedaine à ce vers:

Le roi passait et le tambour battait aux champs,

on substitua celui-ci :

La loi passait et le tambour battait aux champs.

Adrien faillit être une des premières victimes de ces expurgations ridicules; la révolution naissante demanda á Hoffman quelques suppressions et divers changements auxquels il eut la fermeté de ne pas consentir. Il retira donc son opéra qui ne fut joué que longtemps après, qu'en 1799, et qui, alors, effraya la police du Directoire. Le triomphe d'un empereur romain sembla d'un mauvais exemple, Adrien fut proscrit après la quatrième représentation. La recette de la première s'était élevée a 9,905 fr. Cet opéra, dont Méhul avait fait la musique, disparut de la scène avant d'avoir obtenu un succès incontestable. Les révolutionnaires ne furent pas les seuls ennemis qu'Adrien fit à Hoffman. Geoffroy, le célèbre critique de cette époque, traita durement cette pièce; il y signala quelques erreurs

1 Etudes historiques, par Châteaubriand, t. 1er. Préface.

et

au point de vue historique. Hoffman répondit, cette réplique où se trouvait un déploiement assez intempestif d'érudition, provoqua une riposte dont voici la fin :

‹ Aimable élève de Quinault, retournez aux pe> tits vers galants, aux phrases doucereuses; laissez > cet attirail sauvage des compilateurs ; c'est une › armure trop pesante pour un poète lyrique: ne » hérissez pas vos écrits des noms barbares d'anciens › commentateurs; que les noms harmonieux d'a

mour, de chaînes, de tourments et de flammes > attendrissent vos hémistiches. Disserter et citer » n'est point votre élément; le harnais de savant > vous donne l'air un peu gauche; à chaque instant > votre logique est en défaut. La fable vous convient > mieux que l'histoire; on n'est pas toujours obligé › dans la poésie lyrique de savoir ce qu'on dit, cela » est commode. Ainsi, croyez-moi, c'est un conseil › d'ami que je vous donne : renoncez aux disserta>tions, vous êtes né pour les opéras. »

C'était paraphraser l'axiome de Figaro : « Ce qui > ne vaut pas la peine d'ètre dit on le chante. » Mais d'excellents articles de critique devaient prouver qu'Hoffman était né pour autre chose que pour les opéras. Du reste, il en écrivit encore un grand nombre avant d'arriver au genre qui lui convenait le mieux. Les horreurs de la révolution ralentirent seules la verve de l'auteur dramatique. La conduite qu'il avait tenue au sujet d'Adrien,

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