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cien, associer les traditions de ce moyen-âge dont les ruines ont succédé aux ruines romaines. Quel dommage que Child-Harold, après avoir promené son spleen sur le Rhin, ne se soit pas embarqué sur la Moselle !

J.-B. HOFFMAN.

La réputation des critiques est d'ordinaire peu durable; le goût, il faut l'avouer, varie de siècle en siècle; le point de vue sous lequel on aperçoit les auteurs change aussi; enfin si l'on s'occupe de productions contemporaines, il est difficile de les juger avec impartialité. Le critique, s'il parle d'un ami, ne se rappellera pas l'adage: Amicus plato sed magis amica veritas; s'il parle d'un de ses adversaires, il est à craindre que quelques antipathies personnelles ne viennent charger un des plateaux de sa balance. Disons-le encore, parmi les ouvrages qui font quelque bruit à leur naissance il en est qui ne sont pas nés viables et qui, dans l'oubli, entraînent avec

eux les pages qu'on leur consacre. Mais les livres qui jouissent de l'estime la mieux acquise, d'une estime sanctionnée par le temps, sont eux-mêmes sujets à être fort diversement appréciés. Le cercle des pensées s'étend, la connaissance plus intime des littératures étrangères inspire des idées nouvelles, offre des termes de comparaison dont on était privé. Ecoutez M. Villemain après La Harpe, M. SainteBeuve après J.-M. Chenier, on croirait qu'à chaque siècle il faut une critique particulière.

Hoffman a été plus heureux que beaucoup de ses confrères. Depuis l'époque où il écrivait, le parti littéraire qu'il défendait a été vaincu, les limites dans lesquelles il voulait contenir l'imagination ont été audacieusement franchies, et pourtant ses critiques subsistent avec honneur. Elles ont eu plus de vie qu'il n'osait leur en souhaiter; il ne voyait en elles que quelques pages bonnes à meubler le rezde-chaussée d'un journal et elles forment un livre; non pas, il est vrai, un livre méthodique et de première ligne, mais un ouvrage que l'homme de goût lit avec plaisir, que le lecteur superficiel parcourt volontiers; elles ont fait à leur auteur une réputation assez grande, assez méritée, pour que sa biographie ne soit pas omise dans ce recueil.

François Benoit Hoffman naquit à Nancy le 11 juillet 1760. Il était fils d'un officier qui avait été au service d'Autriche et petit-fils d'un huissier de la Chambre du duc Léopold. Après s'être distingué

dans ses premières études, le jeune Hoffman se rendit à Strasbourg pour y faire son droit; mais un bégaiement très-marqué le détourna de la carrière. du barreau, et sans doute, par un coup de tète, il s'engagea dans un régiment qu'il dut rejoindre en Corse.

Hoffman se lassa assez vite de la vie de soldat et ne tarda pas à revenir à Nancy. Là, ses talents littéraires qui commençaient de se développer le firent recevoir dans la meilleure compagnie; il fréquenta le salon de la marquise de Boufflers; il lut chez

C'est de la mère du chevalier de Boufflers qu'il s'agit encore ici. Plus loin on trouvera quelques détails sur cette femme distinguée. (Voir la notice sur Boufflers.) Le duc de Nivernais écrivit pour elle une jolie chanson que Bachaumont a rapporté dans ses Mémoires et dont voici le premier couplet:

Dieu mit un trésor

Au milieu de la Lorraine;

Dieu mit un trésor

Qui vaut bien son pesant d'or.

Ce n'est pas de l'or

Ce trésor de la Lorraine;

Ce n'est pas de l'or,

Mais il vaut bien mieux encor.

Tressan fit aussi une chanson sur Mme de Boufflers:

Quand Boufflers parut à la cour

On crut voir la mère d'amour......

La fin de cette pièce est telle que Mme de Boufflers récompensa, dit-on, l'auteur par un soufflet. On assure que dans sa vieillesse la spirituelle marquise se plaisait, cependant, à fredonner cette dernière chanson où, s'il n'était pas question de ses vertus, sa beauté était du moins célébrée.

cette femme spirituelle quelques petites poésies, et le succès qu'elles obtinrent suggéra à leur auteur le désir de se rendre à Paris. Un prix que l'académie de Nancy décerna à Hoffman vint à propos enfler la bourse du jeune poète; grace à ce secours inopinė, il put réaliser ses projets de départ. Ce fut en 1784 qu'Hoffman arriva à Paris. Alors c'était encore cette heureuse époque où les réputations se faisaient vite et facilement, où des madrigaux bien tournés, des bouts rimés bien remplis suffisaient pour attirer les yeux sur un auteur. Hoffman débuta par une épigramme. Il parut une sorte de caricature représentant un monstre qu'on disait avoir été trouvé au Chili; il dévorait les taureaux et les vaches, et était de l'espèce des harpies. Cette caricature dont le sens échappe et qui fut attribuée à Monsieur, depuis Louis XVIII, fournit à Hoffman le sujet des vers suivants :

A Malbrough on vit succéder
Ce Figaro que l'on admire;
Figaro las de commander

A son tour va quitter l'empire,
Qu'à la Harpie il va céder.
A la Harpie on va tout faire,
Rubans, lévites et bonnets;
Mesdames votre goût s'éclaire,
Vous quittez les colifichets

Pour les habits de caractère.

La nomination de Sedaine à l'académie donna un

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