Page images
PDF
EPUB

maque qui s'opposa avec tant de force à la destruction du temple de la Victoire 2.

La célébrité d'Ausone s'était accrue de jour en jour, et l'empereur Valentinien l'appela à Tréves, où il le chargea de l'éducation de son fils Gratien. Cette faveur en devait amener d'autres: Ausone fut nommé questeur; il géra les préfectures des Gaules et de l'Italie; il vit s'élever sa statue sur la place Trajane, et Hesperius, son fils, devint proconsul.

Gratien ayant succédé à Valentinien, appela, en 379, son ancien précepteur au consulat. << Lorsque » je pensai, lui écrivit-il, il y a quelque temps, å >> créer des consuls pour cette année, j'invoquai » l'assistance de Dieu, comme vous savez que j'ai >> coutume de faire en tout ce que j'entreprends, >> et comme je sais que vous voulez que je fasse. >> J'ai cru que je devais vous nommer premier con» sul, et que Dieu demandait de moi cette recon»> naissance pour les bonnes instructions que j'ai >> reçues de vous. Je vous rends donc ce que je >> vous dois; et sachant qu'on ne peut jamais s'ac>> quitter ni envers son père, ni envers ses maîtres, » je confesse que je vous suis encore redevable de >> tout ce que je puis vous rendre. » La gratitude inspira à Ausone un panégyrique de l'empereur. « L'ouvrage, dit Thomas, bon juge en pareille ma»tière, n'a aucun mérite pour le fond; et à l'égard

La plupart des lettres d'Ausone leur sont adressées.

» du style, il est quelquefois ingénieux, mais sans >> goût, sans harmonie et sans grâce. »>

En se voyant comblé d'honneurs dont il était digne peut-être, mais que probablement il ne se serait pas attirés, s'il se fût lassé d'aduler les empereurs, Ausone conçut une vanité qu'il ne chercha pas à dissimuler; un moi orgueilleux est le refrain de nombre de ses poésies; il met son éloge dans la bouche de son père; à la fin de son poème sur la Moselle, il se pose pour l'avenir, et s'il parle de Bordeaux, c'est pour rappeler les dignités qu'il y a reçues.

Il paraît, du reste, que notre poète se souvint toujours de cette médiocrité d'or qu'avait chantée Horace; en position d'acquérir d'immenses richesses, il se contenta d'une fortune ordinaire, et ne posséda jamais que trois maisons de campagne. Il donna aussi des preuves de son peu d'ambition; après l'assassinat de Gratien il se retira dans la Saintonge, et cependant il était très-bien vu de Théodose, qui lui adressa une lettre dans laquelle il l'appelait son père, et le priait de lui envoyer le recueil de ses poésies.

Ausone consacra entièrement la fin de sa vie à la littérature. Il était doué d'une prodigieuse facilité : vingt-quatre heures lui suffirent pour composer le Cento nuptialis, et ce fut à table qu'il fit son griphe

sur le nombre trois '.

On nommait griphe une sorte d'énigme que l'on proposait dans les repas. Si elle n'était pas devinée, l'auteur avait le droit de faire boire plusieurs coupes d'eau ou de vin aux convives.

On doit regretter qu'il se soit si souvent abandonné à de futiles inspirations, qu'il n'ait pas consacré son talent à la production de quelque grand ouvrage. On peut critiquer dans Ausone des pensées recherchées, un style inégal, une latinité peu correcte; mais on reconnait en lui plusieurs des qualités qui font les bons poètes; il a beaucoup de brillant, beaucoup de feu et quelquefois une grâce précieuse. Son idylle intitulée les Roses est charmante: Catulle aurait signé cette naïve épigramme:

<< Il y avait trois Grâces; tant qu'a vécu ma Lesbia, » il y en a eu quatre; elle est morte, il n'y en a plus » que trois. »

Dans Martial on trouve peu de vers valant l'inscription suivante, que Rollin cite comme un modèle du genre:

Infelix Dido, nulli benè nupta marito:

Hoc pereunte fugis, hoc fugiente peris.

Cette inscription a été traduite ainsi par Charpentier :

Pauvre Didon, où t'a réduite

De tes maris le triste sort:
L'un en mourant cause ta fuite,

L'autre en fuyant cause ta mort.

On peut dire qu'Ausone traita la poésie trop légè

Tres fu runt Chariles; sed dùm mea Lesbia vixit,
Quatuor; ut perüt, tres numerantur item.

rement: pour lui, elle n'est souvent qu'un jouet; les premières choses venues, les jours de la semaine, les âges des animaux, d'autres sujets aussi peu importants lui paraissent dignes d'elle. Il se laisse parfois séduire par l'idée de vaincre des difficultés rhythmiques il écrit des vers monosyllabiques, puis il commence un vers par le dernier mot du vers précédent, comme le firent souvent nos poètes du xvi° siècle. Voici un échantillon de cette bizarrerie:

Res hominum fragiles alit, et regit, et perimit fors,
Fors, dubia æternum labans, quam blanda fovet spes,
Spes nullo finita ævo, cui terminus est mors,
Mors avida, inferná mergit caligine quam nox.......

Si Ausone s'adonne à des matières plus graves, il est rare qu'il laisse prendre à sa pensée toute son extension; il la restreint dans de petits cadres, ou quelquefois encore il cherche à la vêtir de formes nouvelles, et ces innovations lui donnent un aspect un peu barbare. Aucun poète du siècle d'Auguste n'aurait écrit le Jeu des sept Sages. Ausone, aprés un prologue, met en scène les sept sages; ils paraissent les uns après les autres, racontent leur vie, et exposent une partie de leurs doctrines. Quelques mots pourraient faire croire que cette espèce de pièce, qui semble préluder aux abruptes créations du moyen-âge, a été faite pour être représentée. Un acteur vient annoncer ce qui va se passer: Cleo

bolus désigne les spectateurs '; Bias s'éloigne en disant :

«

<< Je pars, adieu; applaudissez, vous qui êtes des hommes vertueux 2. >>

Le Jeu des sept Sages est suivi de leurs sentences exprimées dans quelques vers. Il y a loin de cette dernière production à la belle ode d'Horace:

Angustam, amici, pauperiem pati.....

qui pourrait présenter quelque analogie avec elle, puisque le poète, sans chercher de transition, y donne aussi des préceptes. Une pensée à peu près semblable se retrouve dans ces deux pièces, et la manière dont elle est rendue par Horace et par Ausone peut faire mesurer la distance qui est entre eux. L'un dit:

Rarò antecedentem scelestum
Deseruit pede pœna claudo.

et l'autre :

Felix criminibus nullus erit diù....

Ausone imita souvent les Grecs, dont il avait étudié avec soin les ouvrages. Sous le titre de Perioche in

Interpretare tu, qui orchestræ proximus,
Gradibus propinquis in quatuordecim sedes.....

2 Abeo; valete et plaudite, plures boni.

(Ludus VII Sapientium poetæ latini veteres.
Florentiæ, Molini, p. 1020.)

« PreviousContinue »