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NOTICE SUR AUSONE.

AUSONE qui, sous le règne d'Auguste, aurait passé inaperçu entre Virgile et Horace, pourrait, grâce au temps dans lequel il vécut, devenir le sujet d'intéressantes études. Ses œuvres complètent en quelque sorte l'histoire de son époque; époque de décadence, où l'empire romain était usé, où le vieux monde s'écroulait pièce à piéce, où Gratien faisait abattre le'temple de la Victoire; où la croix, symbole d'une ère nouvelle, poussait au milieu des ruines du paganisme.

Bien qu'Ausone soit né fort loin de nos contrées, par plusieurs de ses travaux il se rattache assez à notre pays pour que l'on ait cru convenable d'insérer dans ce volume la notice suivante.

L'état où l'Europe se trouvait au Ive siècle se devine à chaque instant dans les vers d'Ausone. Cette lutte d'une religion qui avait des divinités jusque pour la débauche, et d'un culte qui sortait des catacombes pour envahir le monde; cette rivalité qui avait fait tant de bourreaux et tant de martyrs, on la rencontre dans un même homme. Ausone célèbre à la fois le Dieu chanté par David et les dieux chantés par Homère. Mais c'est en vain qu'Ausone appelle à lui les souvenirs de la poésie antique, la muse de Virgile n'est pas la sienne; il a perdu les harmonieux secrets du style de l'Énéïde; il ne connaît même plus ces imposants et beaux moules dans lesquels les poètes ses prédécesseurs coulaient leurs pensées. A l'ode, au poème, à la satire, il préfère des distiques, des épigrammes, des formes pour la plupart ignorées avant lui; il dépense follement son esprit sur des sujets sans importance, et à travers ses essais de rénovation, qui témoignent une dégénérescence littéraire, on entrevoit la caducité du colosse romain.

La Gaule, la Germanie occupent plus Ausone que l'Italie; les noms des peuples barbares du Nord reviennent sans cesse dans ses vers; les sept collines, le Tibre, le Capitole, ne lui disent rien. Rome n'est plus dans Rome; elle est dépouillée de son prestige, et les chœurs du peuple et des jeunes garçons ont oublié cette admirable strophe:

<< Bienfaisant soleil, dont le char étincelant répand » et ravit la lumière; toi qui, toujours le même, renais

> toujours nouveau, puisses-tu ne rien voir de plus » grand que Rome ' ! »

Ce n'est pas d'un tel point de vue qu'il nous est donné de considérer Ausone; nous ne voulons que présenter sa biographie, qu'indiquer quelques-unes de ses poésies, notamment son idylle sur la Moselle, celle de ses productions qui doit avoir pour nous le plus d'intérêt.

L'Italie, épuisée par ses miraculeux enfantements, ne produisait plus que rarement les poètes qui chantaient dans sa langue; ils paraissaient sur d'autres points de l'Europe, comme les éclaireurs d'une nouvelle civilisation. Sénèque et Martial étaient nés en Espagne; Ausone naquit à Bordeaux. Il nous a luimême donné sa généalogie sous le titre de: Ausoni burdigalensis Parentalia. Son père, Julius Ausonius, était natif de Bazas, en Aquitaine; il acquit une grande réputation dans les sciences, et fut le médecin de l'empereur Valentinien Ier, qui le nomma ensuite préfet de l'Illyrie, et sénateur honoraire de Rome et de Bordeaux. De son mariage avec Æmilia Eonia, Julius eut, l'an 309, Decius Magnus Ausonius, le poète dont nous nous occupons. Son thème généthliaque fut fait par son grand - oncle maternel Emilius Magnus Arborius. Il conçut de son

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Alme sol, curru nitido diem qui

Promis et celas, aliusque et idem
Nasceris, possis nihil urbe Româ

Visere majus! (HOR. Carmen sæculare.)

petit-neveu une opinion si favorable, qu'il voulut lui-même diriger ses études, et se consola de la perte de son fils qu'il venait de faire. Malgré les soins de cet homme distingué, et ceux que donnèrent à son éléve Macrin, Romulus, Corinthius Menesteus, Minervius, et d'autres célèbres professeurs', Ausone ne montra que fort tard du goût pour les belles-lettres; mais il fit des progrès si rapides, qu'encore fort jeune, ses concitoyens le désignérent pour enseigner l'éloquence.

Peu de temps après cette honorable distinction, il perdit Athusia Lucana Sabina, sa femme, dont il avait eu deux fils et une fille. La douleur lui inspira une touchante pièce de vers, qu'il termine par l'expression de sentiments tout chrétiens. On ne conçoit pas que l'on ait pu mettre en doute la religion d'Ausone, comme l'ont encore fait récemment les auteurs du Dictionnaire historique, critique et bibliographique 2. Pour se convaincre qu'il était chrétien, on n'a qu'à parcourir l'Idylle sur le jour de Pâques, et les Ephémérides, où l'on remarque une paraphrase du Symbole de Nicée.

Trithemius ne s'est pas contenté de faire un chrétien d'Ausone, il l'a sacré évêque de Bordeaux, et l'a presque canonisé, sans s'inquiéter de ce que l'avocat du diable aurait pu dire d'une certaine Bi

1 Ausone a consacré des vers à tous ses professeurs dans les pièces intitulées Commemoratio Professorum burdigalensium.

2 Publié en 30 volumes in-8°, chez Menard et Desenne.

sula, que notre poète aima et chanta après la mort de sa femme, et du Cento nuptialis, production obscène, composée de vers pris à Virgile, et détournés de leur véritable sens.

Ausone n'était plus le chrétien des premiers temps: pour s'en convaincre, il suffit de lire les vers qu'il adressa à son disciple bien-aimé Paulin de Nole, lorsque celui-ci lui annonça son dessein de se retirer du monde, et d'aller mener en Espagne la vie austère d'un anachorète '. Saint Paulin n'était pas le seul homme remarquable de cette époque avec qui Ausone fût lié; il comptait au nombre de ses élèves ou de ses amis Probus, préfet du prétoire, le poète Drepanius Pacatus, le médecin Théon, et ce Sym-

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Voyez l'épître xxme d'Ausone, adressée à Paulin pour le détourner de ses plans de retraite. Notre poète, dans cette pièce, reproche à son élève de s'ètre laissé entraîner par les conseils de sa femme, qu'il nomme une Tanaquil.

Si prodi, Pauline, times nostræque vereris
Crimen amicitiæ. Tanaquil tua nescit istud......

(AUSONIUS, Poetæ latini veteres; édit. de Molini,
Florentiæ, p. 1047.)

Saint Paulin, ajoute Moreri, pria Ausone de le traiter plus doucement, et lui dit qu'il avait pour femme une Lucrèce, et non pas une Tanaquil.

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Nec Tanaquil mihi, sed Lucretia conjux....

On ne voit pas trop ce que le nom de Tanaquil pouvait avoir d'injurieux; on sait que c'est ainsi que s'appelait la femme de Tarquin l'Ancien, et qu'elle fut remarquable par la pureté de ses

mœurs.

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