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mont avait reconnu ce travail, son intensité, son caractère général se manifestant par de courtes et vives. oscillations de sens contraires et de valeur égale; seulement son analyse était incomplète en ce qui touche les causes diverses de ces oscillations et la nature complexe de l'agitation dont l'âme devient le siège. Quant à M. H. Spencer, il passe presque tout à fait sous silence ce dedans du phénomène; mais il serait injuste de ne pas remarquer qu'il avait le droit de choisir son point de vue, et que ce qu'il a voulu faire, c'est uniquement la physiologie du rire et non la théorie du plaisant.

Nous retrouvons à peu près les mêmes idées développées dans les Principes de psychologie du même auteur (deuxième édition, traduction française, passim et notamment t. II, p. 575). Ce livre, comme tous ses autres livres, abonde en observations extrêmement variées, bien choisies, coordonnées par une pensée directrice, et nous croyons intéressant de citer un passage qui décrit et signale les effets physiologiques propres à certains faits plaisants, à ceux dont nous avons fait une classe spéciale sous le nom de comique d'imposture.

$ 500. Outre ces caractères divers du langage des émotions, en tant que causé physiologiquement d'abord par les décharges nerveuses diffuses, ensuite par les décharges nerveuses restreintes, non dirigées d'une manière consciente, il y en a d'autres produits par des décharges nerveuses restreintes dirigées par des motifs délibérés. Ceux-ci compliquent souvent les manifestations émotionnelles et en rendent l'interpré

tation plus difficile. Je veux parler plus particulièrement de ces restrictions intentionnellement apportées aux actions des organes externes dans le dessein de cacher ou de déguiser les sentiments. Les sentiments secondaires qui provoquent cette dissimulation ont un langage qui leur est propre; et ce langage est dans bien des cas lu avec facilité, même par les intelligences ordinaires, et les hommes de pénétration rapide savent le lire dans des cas où il est comparativement fort discret.

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« Quelques-uns des plus communs d'entre ces caractères sont ceux auxquels les mains prennent part. Souvent une agitation qui ne se montre pas clairement sur le visage, se trahit par de faibles mouvements des doigts; on roulera et on déroulera, je suppose, le coin d'un tablier. Ou bien encore un état de mauvaise honte, assez bien caché d'ailleurs, est indiqué par la difficulté évidente qu'on éprouve de trouver une position pour ses mains. Semblablement la douleur ou la colère, dont les signes ordinaires sont consciemment comprimés, peuvent être indiqués par les poings qui se serrent. Dans les mouvements de la physionomie elle-même, on rencontre quelques modifications de même origine. Le fait, que la compression des lèvres accompagne souvent la colère quand elle n'est pas violente, a probablement sa cause originelle dans un effort qu'on fait pour s'empêcher de retirer ses lèvres en arrière et de montrer les dents, mouvements qui sont spontanés dans la colère naissante. Et de plus, il semble probable que ces tiraillements des muscles faciaux qui trahissent quelquefois

l'agitation résultent d'insuccès momentanés dans l'effort que nous faisons pour empêcher les actions musculaires appropriées aux sentiments présents. Nous trouvons une forme de ce langage naturel secondaire du sentiment, qui naît d'efforts tentés pour voiler le langage naturel primitif, dans certains rapports entre la position des yeux et celle de la tête. Quand nous regardons un objet placé près de nous, de côté, l'ajustement nécessaire du regard est obtenu, partie en tournant la tête, partie en tournant les yeux, les deux mouvements restant, l'un par rapport à l'autre, en proportion assez régulière. Des mouvements exécutés suivant cette proportion deviennent donc l'accompagnement naturel de la curiosité franche. Si maintenant on désire voir quelque chose d'un côté du champ visuel, sans laisser soupçonner qu'on voit cet objet, on éprouve une tendance à empêcher le mouvement si apparent de la tête, et à exécuter l'ajustement exigé entièrement avec les yeux, qui se trouvent par conséquent tournés tout à fait d'un seul côté. Ainsi quand les yeux sont tournés d'un côté, tandis que le visage est tourné de l'autre, nous obtenons le langage naturel de ce que nous appelons le caractère sournois. >>

M. H. Spencer fait dans une note l'application de cette dernière remarque aux portraits d'une certaine époque, où les artistes, pour éviter de donner au modèle une pose guindée, lui donnaient, sans le vouloir, un air sournois, par le désaccord de la direction du regard et de l'attitude générale de la tête. Pour nous, nous indiquerons comme un des exemples les plus complets et les plus charmants des expressions diver

ses de la curiosité le tableau du Louvre où le Poussin représente Eliézer abordant Rébecca entourée de ses compagnes: jamais belles jeunes filles n'ont montré, déguisé ou trahi avec plus de justesse et de grâce l'intérêt qu'elles prennent à une scène de ce genre.

III

Etymologie des mots exprimant en diverses langues l'action de rire, et quelques considérations sur le langage appropriées à notre sujet. De la désynonymisation. - De ce que sont les mots par rapport à l'idée.

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On n'a pas appris tout ce qu'on peut savoir sur un ordre de choses, tant qu'on n'a pas dressé la liste des mots qui les expriment ou qui s'y réfèrent (substantifs, adjectifs, verbes), et qu'on n'a pas étudié ces mots en les analysant et en les définissant, en les comparant, en en suivant la filiation et l'histoire aussi loin qu'il est permis de le faire. Nous n'étalerions qu'une érudition d'emprunt si nous consignions ici tous les renseignements philologiques que nous avons recueillis pour notre édification personnelle et que nous devons particulièrement à l'obligeant érudit que nous avons déjà nommé, M. David. Nous voulons seulement, pour en faire le point de départ de considérations plus générales, indiquer les mots qui, en diverses langues, désignent l'action de rire.

Il y a en sanscrit trois racines qui ont donné lieu à autant de familles de mots:

1° Hrish, concevoir de la joie (plus particulièrement, être horripilé), d'où provient le latin ridere, étymologie du mot français rire, lequel se retrouve en italien, espagnol, portugais, catalan, roumain, etc.

2. Has, jahasa, j'ai ri, souche du grec gelaổ, de l'anglais to laugh, de l'allemand lachen, du vieux haut allemand klahan, du hollandais lagchen...

3° Smi, qui a produit le vieux slave smiiatisin, le russe smieitsa, le polonais, le croate, le bulgare, l'anglais to smile (sourire).

Rire est vraisemblablement une onomatopée, << hihihi! » Avec le temps, il est devenu pour partie un mot descriptif qui montre la fente de la bouche et les plis qui se forment à l'entour (ride, rider, rideau). On dit plaisamment d'un soulier percé qu'il rit. Jahasa, gelao, etc., sont assurément aussi une imitation du son; on n'a pu nous dire avec certitude ce que représente smi.

Dans les langues sémitiques, le mot est également phonographique en hébreu so hak, en arabe d'ha'k, etc.

Ces sortes de recherches ne sont pas toujours ni même ordinairement une curiosité vaine; sans doute on ne gagne rien à savoir que rire se disait en latin ridere, et sourire subridere; ce n'est qu'un pur renseignement de l'histoire morphologique des mots; l'étymologie n'a de valeur pour l'intelligence que lorsqu'elle lui apporte une idée nouvelle et qu'elle vivifie le mot par un sens caché. Ainsi, par exemple, il n'est pas sans intérêt de noter que l'ironie vient de la méthode employée par Socrate; il vous interrogeait

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