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Rien n'est plus propre à réparer autant qu'il est possible, cet inconvénient des écrits périodiques, et à donner plus d'étendue au bien qu'ils ont produit, que l'ouvrage dont il s'agit ici.

VIII.

Discours sur l'Histoire universelle, depuis le commencement du monde jusqu'à Charlemagne, avec la continuation depuis Charlemagne jusqu'en 1661, par BossUET.

S. Ier.

16 juin.

Nous ne sentons jamais mieux les difficultés nombreu. ses de la tâche qui nous est imposée, que lorsqu'il s'agit de parler de ces hommes extraordinaires, de ces génies rares qui, par la sublimité de leurs ouvrages, se sont élevés au plus haut degré où l'esprit humain puisse atteindre, et qui jugés, appréciés depuis long-temps par les arbitres de l'art, et par le public, ont épuisé, pour ainsi dire, tous les termes de l'admiration comme toutes les analyses de la critique: le poids de leur talent accable ceux qui se chargent de les célébrer; la supériorité de leurs productions décourage ceux qui entreprennent d'en approfondir et d'en développer le mérite; et, d'ailleurs, soit qu'on veuille simplement exprimer l'enthousiasme qu'elles inspirent, soit qu'on se propose de détailler les beautés qu'elles renferment, on ne sauroit trouver ni

aucune expression qui n'ait été employée, ni aucune observation qui n'ait été faite.

On peut appliquer à Bossuet lui-même, quand on essaie de parler de lui, la pensée qu'il développe d'une manière si sublime dans l'exorde de l'oraison funèbre du Grand-Condé: « Au moment, dit il, où j'ou«vre la bouche pour célébrer la gloire immortelle du « prince de Condé, je me sens également confondu << et par la grandeur du sujet et par l'inutilité du tra«vail : quelle partie du monde habitable n'a pas ouï <«<les victoires de ce prince et les merveilles de sa vie; <«< on les raconte partout le Français qui les vante « n'apprend rien à l'étranger, et quoi que je puise au« jourd'hui vous en rapporter, toujours prévenu par « vos pensées, j'aurai encore à répondre au secret re« proche que vous me ferez d'être demeuré beaucoup << au-dessous : nous ne pouvons rien, foibles orateurs, << pour la gloire des ames extraordinaires ; le sage a rai<< son de dire que leurs seules actions les peuvent louer... <«<et la seule simplicité d'un récit fidèle pourroit sou« tenir la gloire du prince de Condé. »

L'embarras où l'orateur se suppose à l'égard du héros dont il entreprend l'éloge, devient bien réel pour le critique, à l'égard du grand écrivain qu'il ose examiner: la grandeur du sujet le confond, et l'inutilité du travail le frappe. En effet, qui n'a pas entendu parler de Bossuet et des merveilles de son éloquence? Qui n'a pas lu ses ouvrages? Qui est-ce qui ne connoît pas les réflexions qui ont été faites sur ses écrits par tous ceux qui on traité de la littérature? Que peut-on ajouter aux éloges qui lui ont été donnés? Se flattera-t-on, en parlant de lui, de se mettre au niveau de l'admira

tion qu'il inspire, et que pouvons-nous, foibles critiques, pour la gloire des grands écrivains? Leurs seuls ouvrages peuvent dignement les louer, et le simple exposé de ses sublimes productions pourroit seul soutenir la gloire d'un génie tel que Bossuet.

Nulle gloire n'a jamais été moins contestée : tous les monumens du siècle où il a vécu sont pleins des hom→ mages rendus à son savoir et à son éloquence; il faut entendre la Bruyère s'exprimant au sein même de l'Académie: «Que dirai-je de ce personnage, s'écrie-t-il, qui a fait parler si long-temps une envieuse critique, et qui l'a fait taire; qu'on admire malgré soi, et qui accable par le grand nombre et par l'éminence de ses talens? orateur, historien, théologien, philosophe d'une rare érudition, d'une plus rare éloquence, soit dans ses entretiens, soit dans ses écrits, soit dans la chaire; un défenseur de la religion, une lumière de l'Église; parlons d'avance le langage de la postérité, un père de l'Église? Que n'est-il pas? Nommez, Messieurs, une vertu qui ne soit pas la sienne!» Nos philosophes eux-mêmes, qui respectoient assez peu les pères de l'Eglise, n'ont pas du moins nié les titres de l'écrivain éloquent : « on a de « lui, » dit Voltaire, avec le ton qui convient à sa légèreté et à l'opinion qu'il professoit, «< on a de lui cin<< quante-un ouvrages; mais ce sont ses Oraisons fu<«< nèbres et ses Discours sur l'Histoire universelle, qui << l'ont conduit à l'immortalité. » Ainsi tout reconnoît ce génie puissant.

On ne peut considérer en lui-même le mérite de l'éloquence, sans la regarder comme le premier de tous les talens, et sans placer à la tête de tous les hommes qui se sont distingués dans les arts, ceux qui ont excellé

par le don du style et de la parole. « Ce qui relève in«< finiment le prix de l'éloquence, dit Cicéron, dans le << premier livre de l'Orateur, c'est la rareté étonnante << des bons orateurs dans tous les siècles. » Qu'on parcoure, ajoute-t-il, toutes les autres professions, toutes les sciences, tous les arts, on trouvera un grand nombre de personnes qui s'y sont distinguées : généraux d'armée, politiques, magistrats, philosophes, mathématiciens médecins, en un mot, des hommes excellens en tout genre; on ne peut pas en dire tout-à-fait autant des poëtes, je parle de ceux qui ont atteint la perfection de leur art : le nombre en a toujours été fort petit, mais beaucoup plus grand, toutefois que celui des bons orateurs. « Si c'est surtout par sa pensée et par sa parole, « dit un autre ancien, que l'homme se distingue de tout « ce qui respire ici-bas, rien n'est plus capable d'é«<tablir une véritable différence entre les hommes eux« mêmes que le degré plus ou moins grand de per<< fection dans lequel les particuliers possèdent ces deux <<< dons sublimes; et les premiers de tous les hommes << sont ceux qui les ont possédés dans le plus haut « degré. ››

En jugeant Bossuet d'après ces principes, on voit d'un coup d'œil quel rang il occupe dans l'histoire de l'esprit humain; et, sans parler ici de ses Oraisons funèbre, l'ouvrage seul dont nous annonçons une nouvelle édition eût suffi pour le lui assurer : il est grand peintre, grand théologien, grand philosophe dans ses Oraisons funèbres; mais il semble que la réunion de ces rares qualités soit encore mieux marquée et se fasse sentir d'une manière encore plus vive dans le discours sur l'Histoire universelle, quoique le genre même de

l'ouvrage ait interdit à l'écrivain les grands mouvemens qui animent les autres monumens de son éloquence. La division même et le plan de ce livre admirable semblent avoir été conçus pour montrer plus distinctement Bossuet sous ces trois points de vue, et pour démêler ces attributs de son génie qui se confondent en quelque sorte dans ses Oraisons funèbres : il est donc peintre sublime dans la première partie de ce discours, où il trace avec une rapidité si majestueuse le tableau des événemens qui ont varié la scène du monde dans l'espace de cinquante siècles; grand théologien dans la seconde, où il développe les mystères et la suite de la religion chrétienne; politique profond dans la dernière, où il sonde les causes de la grandeur, de la décadence, de la durée des empires.

Le but de l'ouvrage est placé à une grande hauteur, et la marche de l'écrivain semble encore plus sublime: qu'y a-t-il de plus important à mettre sous les yeux des hommes, dans un tableau rapide et plein de lumière, que les destinées du genre humain, exposées dans l'ordre des temps, méditées dans le grand ensemble d'une religion qui remonte aux premiers jours du monde, et qu'on voit naître avec l'univers, et interprétées, expliquées d'après les vues de la prudence et de la politique humaine, poussées au dernier degré de pénétration, d'intelligence et de sagacité? N'est-ce pas avoir réuni tout ce qui peut intéresser le plus vivement l'humanité? Mais Bossuet seul pouvoit exécuter ce plan, si simple à la fois et si magnifique ; et sa voix pouvoit seule retentir à travers les siècles, pour donner à l'avenir la plus grande leçon qu'il doive recevoir du passé on croit entendre à la fois, s'il est permis de rapprocher entre eux le profane et le sacré, tous ces grands précepteurs du genre

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