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et galante, bien moins varié, bien moins ingénieux que le poëte latin, malgré sa fécondité et son esprit.

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Nous avons quelques imitations en vers français de cette ode dialoguće; mais aucun des imitateurs n'avoit pu jusqu'ici en atteindre la grâce, quoique quelquesuns ne fussent assurément pas sans talent: celui qui s'en étoit le plus approché, à mon sens, c'est un homme qui n'étoit pas poëte, quoiqu'il ait fait des poésies, et qui n'étoit que médiocrement philosophe, quoiqu'il n'ait presque composé que des ouvrages philosophiques, mais qui, par sa prose éloquente, s'est placé au rang de nos plus grands orateurs et de nos premiers écrivains, J.-J. Rousseau. Il avoit beaucoup de goût, beaucoup de cette sensibilité sans laquelle l'ame est fermée à l'impression des beautés de la nature et de l'art. Il savoit à peine le latin, et il a fait, dans ses divers ouvrages, les applications les plus heureuses de quelques vers de Virgile, d'Horace et d'Ovide : il a parodié entre autres, et enchassé dans son ·Devin du Village, le dialogue dont nous parlons; et quoique les vers ne soient pas excellens, l'intention du morceau est parfaitement saisie; et Rousseau me paroît avoir ici sur les autres imitateurs un avantage d'autant plus réel, que cette petite scène, toujours agréable, même lorsqu'elle est détachée, se trouve convenablement encadrée dans son charmantouvrage.

Je ne crois pas qu'il soit possible de la traduire en vers français avec plus d'exactitude, de fidélité, de goût et de grâce que ne l'a fait M. de Wailly: cette traduction, qu'il a bien voulu nous communiquer, me semble un ouvrage parfait dans son genre. C'est aux connoisseurs à juger s'il y a de l'exagération dans ce que j'avance:

DIALOGUE D'HORACE ET DE LYDIE.

HORACE.

Tandis qu'à vingt rivaux ton cœur m'a préféré,
Quand mes bras amoureux pressoient ton cou d'ivoire,
De plaisir Horace enivré

N'envioit au grand roi ni son rang,

LYDIE.

ni sa gloire.

Quand j'étois la plus belle à ton œil enchanté,
Avant que ta Chloé l'emportât sur Lydie,
Lydie a vu son nom vanté

Le disputer dans Rome au nom fameux d'Ilie.

HORACE.

Chloé m'a subjugué, Chloé qui sait unir
Au luth harmonieux sa voix plus douce encore:
Je ne craindrois pas de mourir

Pour prolonger les jours de celle que j'adore.

LYDIE.

Calais qui se plaît à vivre sous mes lois,
Brûle d'un feu pareil au feu qui me dévore:
Je consens à mourir deux fois

Pour prolonger les jours de l'amant que j'adore.

HORACE.

Si Vénus réveilloit notre première ardeur,
Qu'elle nous enchaînât à son char pour la vie,
Banissant Chloé de mon cœur,

A reprendre son bien si j'invitois Lydie.....

LYDIE.

Quoiqu'il ait la jeunesse et l'éclat d'Apollon,
Que tu sois en amour plus léger que Zéphire,
Plus orageux que l'Aquilon,

Près de toi que je vive, avec toi que j'expire!

Ce qui distingue la manière de M. de Wailly, c'est une grande pureté de goût, qui ne s'est jamais laissée corrompre par l'influence de la mode: on a pu remar➡ quer ce genre particulier de mérite dans les différentes pièces qu'il a publiées; dans sa belle imitation du Cantique sur le roi de Babylone; dans sa traduction de l'Ode de M. le colonel Grobert, sur la Prise d'Ulm enfin, dans les morceaux traduits d'Horace, dont il a de temps en temps enrichi les journaux. On sait qu'il s'occupe d'une traduction complète des odes de ce grand poëte, et l'on doit désirer que les travaux importans auxquels il se livre, dans une des premières places de l'instruction publique, lui laissent assez de loisir pour achever un ouvrage attendu par tous les amateurs de la littérature ancienne, et de la poésie française.

VI.

Lettres de madame de Sévigné à sa fille et à ses amis, édition de 1806; par M. GROU→ VELLE, ancien ministre plénipotentiaire, exlégislateur, et correspondant de l'Institut.

28 avril.

Je crois pouvoir me dispenser de faire des observations sur les lettres et le style de madame de Sévigné : s'il est quelquefois nécessaire de parler d'ouvrages anciens comme s'ils étoient nouveaux, c'est lorsqu'ils sont ou négligés ou mal jugés par la plupart des lecteurs; un nouvel examen devient alors utile, soit pour re

mettre en honneur des chefs-d'oeuvre dégradés par d'injustes préjugés, soit pour apprécier à leur valeur des productions trop exaltées par le caprice de l'opinion, et par le fanatisme de l'esprit de parti. Les Lettres de madame de Sévigné sont hors de ces deux suppositions: elles ont joui d'une constante renommée; elles ont une vogue qui ne s'est jamais démentie, quoiqu'elles appartiennent à un siècle dont les souvenirs et les ouvrages ont trouvé dans le nôtre plus de rigueur que de justice: tandis que les écrits les plus brillans de cet âge heureux, qui sera éternellement l'époque de notre gloire littéraire, ont souffert quelques éclipses dans l'âge suivant, ces lettres ont toujours conservé le même éclat ; Boileau, Racine, Bossuet, La Fontaine ont rencontré des détracteurs dans le dix-huitième siècle : madame de Sévigné n'y a trouvé que des admirateurs et des amis; sa destinée fut d'être au-dessus des talens de son sexe par la supériorité de son esprit, et au-dessus des prétentions du nôtre par l'abnégation même de toute prétention: on n'a rien disputé à cette femme qui ne dispute rien à personne.

non,

Il semble qu'on ne puisse parler de ses Lettres, sans rappeler aussitôt celles de Balzac et de Voiture, celles de Pline, celles de Cicéron, celles de madame de Mainteetc. Mais c'est parce que toutes ces comparaisons, fort inutiles en elles-mêmes, ont été faites, qu'il ne faut plus les faire : il est naturel que les premiers critiques, qui ont voulu analyser le mérite des Lettres de madame de Sévigné, aient cru devoir la comparer avec les écrivains qui se sont le plus distingués dans le genre épistolaire, quoiqu'il soit vrai de dire qu'ils n'auroient jamais dû la mettre en parallèle avec Balzac, Voiture et

Pline, qui écrivoient, suivant l'expression de M. de Laharpe, leurs moindres billets sous les yeux de la postérité; l'attrait que ces comparaisons puisoient dans leur nouveauté même, pouvoit leur servir d'excuse: aujourd'hui elles sont usées, et jamais elles n'ont été d'aucune utilité. En général, les parallèles entre les écrivains peuvent être comptés parmi les nombreuses superfluités de la critique; et ces parallèles sont encore plus inutiles, quand il s'agit d'un genre dont l'unique règle est de n'en consulter aucune, et d'écrire tout simplement comme on est affecté.

On peut en dire autant des questions qui ont été élevées dans ces derniers temps, sur la prééminence des sexes dans le genre épistolaire: on a cru devoir examiner si Voltaire et Cicéron, qui tous deux ont excellé dans ce genre, ne pouvoient pas disputer la palme à madame de Sévigné. La question étoit peu galante; mais je crois qu'elle étoit encore plus futile: on lit également avec un très-grand plaisir les Lettres de Voltaire, celles de Cicéron, et celles de madame de Sévigné, quand on a l'esprit cultivé, quand on est assez instruit pour savoir de quoi il s'agit dans ces lettres; car elles demandent toutes plus ou moins d'instruction dans le lecteur; et les Lettres de madame de Sévigné sont celles qui en demandent le moins: il est sûr qu'on ne sauroit se plaire beaucoup à lire les Lettres de Cicéron à Atticus, si l'on n'a quelque teinture de l'histoire romaine; que celles de Voltaire doivent perdre de leur agrément pour ceux qui ne sont pas instruits des intrigues littéraires et philosophiques du 18° siècle, et qu'il faut connoître un peu le siècle de Louis XIV pour goûter parfaitement celles de madame de Sévigné. Cependant, comme

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