Page images
PDF
EPUB

Et l'écho du rivage et la voûte des bois
Rendent en murmurant le bruit confus des voix.

Ces fautes sont rares dans l'ouvrage de M. Gaston, et l'on rencontre presqu'à chaque page de beaux vers et de belles tirades; la description du retour du vaisseau de Sergeste, qui rentre le dernier, dans cette joute des vaisseaux, me paroît très-bien rendue :

Tel sous un char d'airain, obliquement pressé,
Ou meurtri d'un caillou qu'un chasseur a lancé,
Un serpent demi-mort, du sein de la poussière,
Se soulève en sifflant, dresse sa tête altière,
Et s'efforçant en vain de rattacher ses nœuds,
Se roule sur lui-même en replis douloureux;
Tel chargé de débris, honteux de son naufrage,
Le Centaure tardif imploroit le rivage.

Se roule en replis douloureux est d'une hardiesse sage et vraie. Imploroit le rivage ne me paroît pas d'aussi bon goût : ici le terme propre eût été d'un meilleur effet que l'expression figurée. Revenoit au rivage, regagnoit le rivage eût mieux valu que cette métaphore ambitieuse et absolument déplacée. Au reste, la belle période qui commence ce morceau, est d'un homme qui sait écrire.

en vers.

Je voudrois pouvoir citer en entier les morceaux de Cacus et du bouclier d'Énée, que le traducteur a beaucoup travaillés, et dans lesquels il me paroît avoir trèsbien réussi; mais les bornes où je suis renfermé ne me le permettent pas : il faut montrer que le nouvel interprète de Virgile ne réussit pas moins bien dans ce qui est du genre dramatique et passionné que dans le genre des criptif, infiniment plus facile. Je choisis la fameuse tirade sur Marcellus, laquelle fit verser tant de larmes à

Octavie, et lui ravit même l'usage de ses sens. On est confondu devant l'art prodigieux avec lequel Virgile a terminé le chef-d'œuvre peut-être de la poésie épique, par un trait si vif et si pénétrant : c'est une éloquence plus qu'humaine. Je ne puis lire de tels endroits sans être profondément ému, et sans concevoir les honneurs extraordinaires rendus par le peuple romain à un pareil homme. On retrouvera, je crois, quelques accens de l'original dans la traduction de M. Gaston:

Oh! de quel deuil ta voix vient d'affliger mon ombre,
Dit Anchise; et pourquoi ne m'épargnes-tu pas
La douleur d'annoncer les secrets du trépas?
La parque tranchera cette fleur passagère !
Dieux! ne la voulez-vous que montrer à la terre !
Votre pouvoir, jaloux du pouvoir des Romains,
Leur ravit ce présent échappé de vos mains :
Pleure, cité de Mars, la gloire de tes armes!
Tibre, combien tes flots doivent rouler de larmes,
Lorsque sur ton rivage, un peuple gémissant,
L'appellera trois fois sur son bûcher récent!
Illustre enfant de Troie, espoir de l'Italie,
Combien il eût aimé les dieux et la patrie!
Antique loyauté, valeur dans les combats,
Nul mortel n'auroit pu résister à son bras,
Soit qu'un coursier sous lui du pied frappât la plaine,
Soit qu'il eût voulu seul descendre dans l'arène.

Cher enfant, si tu peux échapper aux destins,
Tu seras Marcellus!..... etc.

Je prie le lecteur, s'il veut apprécier le mérite de cette traduction, de vouloir bien comparer lui-même, dans les deux ouvrages, la traduction de M. Delille à celle-ci. Je finis en affirmant, sans craindre d'être démenti par ceux qui liront avec impartialité la traduction de M. Gaston, qu'elle est très-digne de l'honneur que lui a fait la commission des gens de lettres, nommée

pour le choix des livres classiques, de la mettre au nombre de ceux qui doivent faire partie de l'instruction de la jeunesse.

V.

Traduction d'une Ode d'Horace, par M. de WAILLY.

28 mars.

C'EST une heureuse et fidèle copie d'un des tableaux les plus aimables et les plus rians qu'ait tracés le pinceau d'Horace je ne sais si le poëte latin a puisé dans quelque poëte grec l'idée de ce charmant dialogue qu'il établit entre sa maîtresse et lui, mais cette pièce est assurément une des plus agréables de son recueil. Horace, doué par la nature d'un si beau génie, d'une imagination si brillante, et même d'une si riche provision de ce que nous appelons esprit, a fait aux Grecs beaucoup d'emprunts: la plupart de ses odes, ses chants les plus gracieux et les plus sublimes ne sont, pour ainsi dire, que l'écho des chants dont les rivages de l'Ionie, de l'Attique et de la Sicile avoient autrefois retenti. Horace imitoit Simonide, Sapho, Pindare, Alcée ; comme Virgile imitoit Homère, Hésiode et Théocrite. Boileau copioit Horace, qui copioit les Grecs. Ces derniers, joints aux Latins, leurs premiers élèves, ont tout enseigné à notre Europe moderne, dans les arts qui appartiennent au goût et à l'imagination. Le ciel plaça chez ce peuple heureux la source de toutes les grâces et de toutes les beautés. Quelle seroit donc la ridicule sottise

d'un merveilleux, d'un fat ignorant et stupide, d'un descendant léger des Welches et des Ostrogoths, qui croiroit se rendre aimable en méprisant les anciens, et en traitant de pédans ceux qui les étudient? Il est vrai que nos calembourgs et notre insipide jargon sont fort audessus de ce qu'a écrit Horace.

Quelques savans ont examiné très-sérieusement si l'on pouvoit donner le nom d'ode à un dialogue; c'est une pure question de mots: Horace et sa maîtresse chantent ici tour à tour leur couplet, et c'est le chant qui constitue l'ode. « L'ode, dit M. Lunier, dans son << excellent Dictionnaire des Sciences et des Arts, <«< étoit anciennement une pièce de vers propre à être «< chantée, et dont le chant étoit ordinairement accom« pagné de quelque instrument comme la lyre. » Celleci est un vrai drame, parfait dans l'ensemble et dans les détails : qu'on se représente deux amans qui se rencontrent, après avoir été séparés pendant quelque temps par une mutuelle inconstance : malgré les nœuds nouveaux et passagers qu'ils ont formés l'un et l'autre, leurs coeurs sont demeurés réciproquement enchaînés par un lien plus fort, et brûlent de se raprocher. Les convenances veulent que l'amant parle le premier; il ne doit dire que deux mots, faire un reproche et vanter son bonheur passé avec l'expression du plus vif enthousiasme, et c'est ainsi qu'Horace commence; Lydie répond à peu près la même chose, avec le même ton de regret et de reproche. Il y a pourtant ici une délicatesse à observer : Horace ne nomme point le rival qui lui a été préféré; mais Lydie prononce hardiment le nom de celle qui lui a ravi le cœur de son amant : ce nom, prononcé sans doute avec une indignation méprisante, forme la

transition la plus heureuse pour passer à un sentiment qui devient le noeud de ce petit drame. Horace ne l'a pas entendu, qu'il fait avec une sorte de fierté l'éloge le plus pompeux de sa nouvelle maîtresse, et va jusqu'à dire qu'il donneroit sa vie pour elle. Lydie reprend sur le même ton, nomme son nouvel amant, dont elle expose en deux mots les titres, et professe le même dévouement dont Horace vient de se targuer. Ici l'on croiroit que les deux amans sont brouillés pour jamais, et qu'il ne peut plus y avoir lieu au raccommodement; cependant Horace, effrayé du discours de Lydie, se hâte d'en faire lui-même la première 'ouverture, mais avec une certaine réserve, et une tournure conditionnelle. Lydie revient encore à l'éloge de son nouvel amant, en même temps qu'elle accable Horace de l'énumération de tous ses défauts, qui n'empêchent pas qu'elle ne lui donne la préférence, et qu'elle ne finisse par ce vers si passionné :

Tecum vivere amem, tecum obeam libens.

Il n'y a rien d'aussi heureusement imaginé, ni d'aussi bien composé dans les poésies légères de Voltaire, qui eût éminemment l'esprit du genre. Je connois plu-. sieurs de ses petites pièces qu'on peut rapprocher de quelques-uns des morceaux d'Horace, et qui soutiennent fort bien le parallèle; entre autres celle qui commence par ces vers charmans:

Si vous voulez que j'aime encore,
Rendez-moi l'âge des amours :
Au crépuscule de mes jours
Rejoignez, s'il se peut, l'aurore.

Mais il est en général, dans la poésie anacréontique

« PreviousContinue »