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XLIX.

Les Fleurs, idylles morales, suivies de poésies diverses, par M. Constant DUBOS.

24 août.

Si l'on ne jugeoit de cet ouvrage que par le titre, on seroit tenté de croire qu'il a été composé par quelqu'un de ces écrivains, qui voulant suppléer au défaut du talent qui leur manque, par l'étalage de la sensibilité qu'ils affectent, qui ne pouvant être d'eux-mêmes ni intéressans, ni agréables, cherchent à faire illusion par le choix de leur sujet, et par la sévérité de leur morale, et qui s'érigent en en prédicateurs, parce qu'ils sentent qu'ils ne sont pas poëtes; mais ce n'est pas ainsi qu'il faut en juger. J'avoue que des idylles ne sont guère dans le goût du temps où nous vivons; je ne sais même si ce genre a été jamais fort goûté parmi nous : on a prétendu que les Français n'avoient point la téte épique ; je crois qu'à aucune époque ils n'ont eu la téte pastorale. Nous avons toujours attaché une certaine idée de fadeur, de douceur affectée, de sensibilité niaise aux églogues et aux idylles. Il y a long-temps aussi que le mot moral nous paroît le synonyme d'ennuyeux : nous n'aimons pas la morale, et nous lisons peu les proverbes de Salomon et les vers dorés de Pythagore. Nous contemplons avec quelque plaisir les fleurs d'un parterre brillant et nuancé de mille couleurs ; le coup d'oeil d'une prairie émaillée a même pour nous quelque agrément; mais nous n'accueillons pas, avec une entière bienveillance, les poé

sies dont les fleurs sont le sujet : nous trouvons peutêtre qu'il est trop facile de faire des phrases harmonieuses, et d'assembler des hémistiches parasites sur la rose et l'œillet, sur Flore et les Zéphirs; tout cela même nous paroît un peu usé : est-il une fleur dans nos jardins, en est-il une dans nos campagnes, qui n'ait déjà reçu cent complimens, soit en vers, soit en prose, qui ne s'énorgueillisse de l'hommage de quelque poëte fameux, ou de quelque prosateur visant à la poésie? Le sujet paroissoit déjà suranné à M. Delille lorsqu'il composa son joli poëme des Jardins chaque printemps ramène à sa suite les mêmes fleurs, et nous trouve toujours disposés à sentir avec délices l'uniforme pouvoir de ses enchantemens; mais les ouvrages de la nature sont supérieurs aux ouvrages de l'art : les uns ont une fraîcheur inaltérable; les autres n'ont qu'un coloris passager.

Ces réflexions, loin de rien ôter au mérite de l'auteur de ces idylles, ne serviront qu'à le faire mieux sentir. Et, d'abord, éloignons toute idée d'idylles et de pastorales; il n'en est pas ici question. M. Dubos auroit pu donner tout aussi-bien au Recueil de ses poésies le titre d'Odes, de Stances, de Cantates ou de Chansons, que celui d'Idylles; mais pardonnons à un professeur d'avoir pris ce dernier mot dans son sens propre et étymologique : «Le mot idylle, dans la langue grecque, d'où <«< il tire son origine, désigne, dit-il, une pièce déta« chée, qui renferme une image agréable, une petite << peinture dans le genre gracieux. » Cette définition savante et parfaitement exacte sera d'un grand soulagement pour ceux qui n'aiment pas les idylles: l'explication de la racine grecque leur fera plus volontiers ac

cueillir l'ouvrage du poëte français. Quant aux moralités qui pourroient effaroucher les ennemis de la morale, ce sont elles précisément qui donnent aux poésies composées, dans le genre précieux, par M. Dubos, un caractère d'originalité. Il y a long-temps en effet qu'on parle du sexe des plantes; il y a long-temps qu'une philosophie un peu hasardeuse peut-être veut les rapprocher du règne animal, et leur prêter les instincts, les affections, les sensations qui appartiennent aux êtres animés, et même les passions, les sentimens, les idées qui appartiennent plus particulièrement à la nature humaine. Mais l'audace de la poésie étoit restée jusqu'à présent fort en arrière de la hardiesse philosophique : on n'avoit guère introduit que des animaux sur la scène de l'apologue; M. Dubos y introduit les fleurs : car ses poésies sont de vrais apologues, et des apologues d'un genre absolument neuf: ici, la culture de l'oeillet devient le symbole de l'éducation; là, nos jeunes demoiselles reçoivent du bouton de rose une leçon de décence et de pudeur; plus loin, le souci nous instruit à fuir l'avarice; ailleurs, l'amaranthe nous apprend à ne pas craindre la vieillesse et à nous en consoler; la marguerite nous donne l'exemple de la modestie; la belle-denuit nous présente le modèle de la bienfaisance, discrète et délicate, etc. En général, ce qui nuit un peu à la morale exprimée en prose et en vers, c'est qu'elle est bien vieille : M. Dubos a essayé de la rajeunir en la parant de guirlandes de fleurs, et ses rides disparoissent un peu sous les ornemens nouveaux dont il la couvre. Il seroit possible qu'une critique sévère reprochât à ce poëte de n'avoir pas établi des nuances assez marquées et assez sensibles entre les différentes moralités, de les

faire trop rentrer les unes dans les autres, et d'y avoir laissé trop de vague; mais ce reproche tomberoit sur l'ensemble et la totalité du recueil, et ne pourroit rien dérober à l'agrément, à la grâce, à la précision et à la justesse de chaque pièce en particulier.

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Un tel défaut deviendroit sans doute plus choquant, à mesure que le poëte traiteroit un plus grand nombre de fleurs. Ce recueil n'en contient que quinze; mais l'auteur se propose d'en traiter beaucoup d'autres; et c'est une raison pour lui de faire plus d'attention à cette critique, et de s'étudier à marquer, d'une manière moins indécise et plus fixe, les caractères moraux qu'il donne à ses fleurs. Je pourrois citer quelques exemples de ce manque général de précision, qui répand sur l'ensemble une sorte de monotonie je montrerois que la moralité de la violette est à peu près la même que celle de la marguerite; que le bouton d'or, le souci et le chardon, fleurs malheureuses, sont proscrits à peu près par la même sentence, et présentent le même emblème dans l'ouvrage de M. Dubos, si je n'aimois mieux me hâter de rendre justice au goût avec lequel ce poëte a proportionné son style à la nature des sujets qu'il avoit à versifier, de manière que la monotonie du fond est déguisée par les variétés de la forme, par les grâces diversifiées du style, par les différences du ton et de la diction, par celles du rhythme et de l'harmonie : ainsi, quand il veut chanter l'impériale, il emploie la stance majestueuse, qui s'annonce pompeusement par quatre grands vers, se repose sur un vers de huit syllabes, et se termine par un alexandrin. Il adapte au narcisse un genre de couplets qui commencent par quatre vers de huit syllabes, et finissent par deux vers de sept, dont

la chute semble exprimer le dédain qu'inspire cette fleur amante d'elle-même. Il applique au saule pleureur la strophe de trois vers alexandrins, appuyés sur un vers de huit syllabes; rhythme dont Rousseau a fait usage pour déplorer la mort du prince de Conti. Mais notre grand lyrique termine cette strophe par un vers de trois pieds; ce qui est plus conforme à l'abattement de la douleur. Cette intelligence délicate du rapport exact qui doit toujours régner entre l'harmonie et le sentiment, semble avoir abandonné M. Dubos lorsqu'il a chanté l'œillet sur le ton de l'ode à la Fortune; mais quelque rhythme qu'il emploie, il le manie en homme habile, en écrivain qui s'est formé sur les meilleurs modèles, qui s'est pénétré de leur esprit, de leurs beautés, et qui possède les secrets de son art.

Ses compositions ne sont pas dénuées d'un genre d'invention supérieur même à celui qu'elles supposent naturellement : car je crois que l'origine très-poétique et très-ingénieuse qu'il a donné à la rose, lui appartient; je trouve aussi, dans l'idylle du souci, une fic→ tion qui, bien que moins heureuse, est cependant d'un poëte dont le mérite ne se borne pas aux grâces du style; mais ce qui caractérise surtout ces productions, c'est une grande délicatesse de pensées et de sentimens, presque toujours exprimés avec une rare pureté de goût. Remarquez cette comparaison de la rose naissante avec l'innocence virginale :

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