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<< public : la parole une fois envolée ne revient plus. »

Membranis intùs positis, delere licebit

Quod non edideris : nescit vox missa reverti.

Nos écrivains actuels ont donné un démenti à cet axiome: ils savent faire revenir la parole qui s'est envolée ; ils se hâtent de donner l'essor aux embryons de leur génie, pour sonder, pour essayer, disent-ils, le goût du public; et ils comptent modestement sur la nécessité d'une édition nouvelle, qui présentera les corrections, les retranchemens, les additions, les variantes. Nous sommes encore fort heureux lorsqu'ils veulent bien se donner la peine de corriger un ouvrage qu'ils regardent ordinairement comme irréprochable et parfait, dès qu'il est en vente chez un libraire, et annoncé dans un journal. Mais si cet usage a de graves inconvéniens pour les auteurs, il n'en a pas de moins considérables pour les acheteurs: on s'empresse de se procurer une première édition, qui bientôt est annulée par une seconde, laquelle ne tarde pas à être remplacée par une troisième; et c'est ainsi que la précipitation des écrivains, si funeste à l'intérêt des lettres, ne l'est pas moins à l'intérêt des lecteurs, obligés de payer trois ou quatre fois le même livre.

Il y a six mois que les derniers volumes de M. de Gaston ont paru; il étoit donc impossible que dans une édition qui les a suivis si promptement, l'ouvrage pût être remanié dans son ensemble : l'auteur n'a pas eu le temps de retoucher tous les endroits foibles, de s'occuper de la masse du style, de corriger ce genre de défauts qui sont, pour ainsi dire, attachés aux entrailles de l'ouvrage, et qui exigent une refonte totale et une création

nouvelle; mais il me semble qu'il auroit dû et qu'il auroit pu effacer quelques-unes des fautes les plus saillantes, qui ne tiennent qu'aux détails, et qu'un trait de plume auroit fait diparoître, sans que la correction fût ni longue ni difficile. Par exemple, on lui avoit fait observer qu'il donnoit au vieux roi Aceste une ceinture d'un goût tout-à-fait singulier, en le représentant

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Pourquoi n'a-t-il pas supprimé cette image choquante? et pourquoi s'est-il contenté de changer seulement le masculin en féminin:

Ceint d'une ourse africaine, Aceste, de ses traits
Poursuivoit sur les monts les monstres des forêts.

Un genre, ici, ne vaut pas mieux que l'autre; et cette correction n'est pas heureuse : je ne conçois pas ce qui peut attacher M. de Gaston à cette peinture; seroitce le mérite de l'exactitude? Mais s'il faut être exact, il faut aussi se garder d'être ridicule : l'une de ces règles n'est pas plus impérieuse que l'autre. D'ailleurs, est-il bien sûr que le traducteur soit ici d'une fidélité parfaite? Virgile n'a pas été aussi hardi que lui: il n'a pas revêtu Aceste d'une ourse, mais de la peau d'une ourse do Lybie :

Horridus in jaculis, et pelle Libistidis ursæ.

De plus, il n'a pas dit qu'Aceste étoit ceint de la peau d'une ourse, parce que, probablement, Aceste avoit cette peau jetée sur les épaules, comme on nous représente Hercule couvert de la peau du lion de Némée. Il est

arc,

vrai qu'il n'a pas expressément caractérisé la manière dont Aceste portoit cette dépouille; mais je suis persuadé qu'aucun de nos peintres n'en feroit une ceinture, s'il vouloit transporter cette image sur la toile. Quelle noblesse et quelle vigueur ce tableau n'a-t-il pas dans les vers du poëte latin! Ce qui frappe d'abord, c'est l'air sauvage de ce vieux chasseur, horridus; son ses flèches, son carquois, représentent la situation du personnage, in jaculis; et le poëte achève le tableau en peignant Aceste couvert de la dépouille d'un animal terrible, qui sans doute a succombé sous ses traits, et pelle Libistidis ursa. Mais quelle harmonie? quel accord des sons et des images! Ces beautés s'éclipsent en partie dans la traduction. Il ne sera du moins pas difficile à M. de Gaston de trouver quelque équivalent, s'il lui est impossible de draper le bon Aceste comme l'a fait Virgile. C'est ici le cas d'user de cette sorte de licence: on ne le chicanera pas làdessus; mais il faut absolument que l'ours africain et l'ourse africaine disparoissent.

Il y a d'autres petites fautes encore plus faciles à corriger, que M, de Gaston a laissé subsister, en dépit et au mépris de mes critiques: je n'en suis pas du tout piqué; mais j'avoue qu'en retour des louanges que je me suis plu à lui donner, et des encouragemens que j'ai été assez heureux de pouvoir lui prodiguer, j'aurois souhaité qu'il eût fait un peu plus de cas de mes observations, lorsqu'elles avoient quelque justesse ; et ce vou, je le formois pour lui beaucoup plus que pour moi. Quel intérêt peut m'animer en effet? Je n'en ai d'autre que celui de voir un jour la perfection d'un ouvrage achevé justifier les éloges prématurés que je

me suis hâté d'accorder aux ébauches d'un ouvrage naissant j'avois repris le mot mirer comme trop peu noble, trop peu poétique, trop indigne de figurer dans le style épique, et d'entrer dans un vers alexandrin; et voilà que je retrouve encore, dans cette nouvelle édi→ tion, ce malheureux mot mirer! Etoit-il si difficile au traducteur de le changer, de tourner son vers autre➡ ment, et d'employer un terme moins trivial? M. de Gaston sait aussi-bien que moi que ce sont ces vétilles là qui constituent le fond du style, et qu'aucune cri→ tique ne doit paroître minutieuse à l'écrivain qui veut être correct. Assurément s'il n'y avoit d'autre faute dans cette traduction, que le mot mirer, ce seroit bien peu de chose, dût le traducteur s'obstiner à le maintenir; mais ce mot fait nombre avec d'autres : espérons que, dans la troisième édition, nous ne trouverons plus le mot mirer.

Je suis moins surpris que M. de Gaston ait conservé les tournures à prétention, les expressions affectées, les hardiesses de mauvais goût, qu'on avoit relevées dans son ouvrage : c'est un genre de fautes auquel les auteurs tiennent beaucoup, qu'ils défendent tant qu'ils peuvent, qu'ils chérissent, qu'ils choyent, et dont ils s'applaudissent; d'ailleurs ces défauts sont généralement plus rebelles à la correction. Dans la comparaison de l'hirondelle, au douzième livre, on avoit remarqué comme affectée et comme trop hardie cette hypallage, le babil affamé, par lequel le traduc→ teur a voulu peindre le cri redoublé des petits oiseaux qui demandent la nourriture, et rendre cette heu reuse et sage métonymie de Virgile:

Fabula parva legens, nidisque loquacibus escas,

On avoit fait la même observation sur cette apposition, riche d'ún vermisseau, qui n'est point dans l'original, et que probablement Virgile n'auroit point approuvée. Ces fautes, et d'autres de la même espèce, sont restées; peut-être le goût du traducteur les maintiendra-t-il toujours. Quoi qu'il en soit, il a montré trop de talent dans sa traduction, et un trop bon esprit dans ses notes, pour qu'on puisse le soupçonner de braver la critique, et de ne pas sentir que toutes les louanges encourageantes qu'on lui a données sont autant de dettes qu'il a contractées envers le public, envers notre littérature, et même envers ceux qui ont cherché à faire valoir les premiers essais de sa muse.

XLVIII.

Lettres de Pline le jeune, traduites par
SACY, de l'Académie française.

S. Ier.

M. de

23 juillet.

CETTE nouvelle édition étoit nécessaire. Depuis longtemps la traduction des Lettres de Plines par M. de Sacy manquoit au commerce de la librairie et au besoin de la littérature. Cette traduction est une de celles qui ont le privilège très-rare de ne pouvoir être séparées de l'original nous en comptons peu de ce genre; et le vers de Boileau sur les honnêtes femmes, ce vers très

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