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Saint-Ange a-t-il bien rendu ce magnæ parentis, pour lequel il triomphe si fièrement?

La déesse, propice à leurs vœux innoceris,

Leur répond en ces mots : Loin du sacré portique,
Allez, prenez les os de votre mère antique.

J'avoue que je trouve l'expression de mère antique encore plus ridicule et plus niaise que celle de grand' mère. Cette épithète, ainsi placée après le sub-stantif, a l'air d'un nom propre : on croiroit que la mère de Deucalion, qui du reste n'étoit pas la même que celle de Pyrrha, s'appeloit la mère antique. Boileau, dans sa dissertation sur Joconde, laquelle est un modèle de critique, fait observer que l'empire glorieux, dans la traduction de M. de Bouillon, semble vouloir dire l'empire des glorieux : cette remarque est applicable à la mère antique de M. de Saint-Ange. Je lui conseille de changer ce mot, et de supprimer la note orgueilleuse qui l'accompagne.

Je lui conseille aussi de changer dans les vers suivans sur Pyrame et Thisbé, les mots fissure et crevassé :

Leurs maisons se touchoient : une simple fissure,
Avoit du mur commun crevassé la clôture.

Crevassé est un mot bas; fissure est un terme d'anatomie, qui ne s'emploie que pour signifier certaines fractures des os, ou la division des lobes des viscères. On ne s'attendoit pas à rencontrer un pareil terme dans une description qui doit respirer la tendresse et la grâce. La Fontaine a mieux dit; et c'est tout simple:

Un vieux mur entr'ouvert séparoit leurs maisons ;
Le temps avoit miné ses antiques cloisons;

Là, souvent, de leurs maux ils déploroient la cause :
Les paroles passoient; mais c'étoit peu de chose.

Je ne puis, au reste, m'enfoncer dans plus de détails: il suffit d'avoir présenté quelques traits qui marquent le vice général du style de M. de Saint-Ange. Ovide reste encore à traduire : je ne crains pas de l'affirmer, sans vouloir rien ôter au mérite de la constance et de la longanimité avec lesquelles le traducteur a travaillé son ouvrage, qui sont pour lui un titre à l'estime et aux récompenses littéraires, et qui doivent servir de modèle à quelque autre écrivain d'un génie plus heureux, engagé dans la même carrière, sous de meilleurs auspices.

XLVII.

L'Enéide, traduite en vers par M. Hyacinthe de GASTON, proviseur du lycée de Limoges.

3 juillet.

VOICI le cinquième article que je fais sur l'Enéide de M. de Gaston: je n'ai donc plus ni de critiques à lui soumettre, ni d'éloges à lui donner; le public paroît avoir ratifié les uns, puisqu'en si peu de temps l'ouvrage obtient les honneurs d'une seconde édition; et l'auteur ne semble pas avoir approuvé les autres, puisqu'il n'en a tenu aucun compte. Si je me suis trompé, je suis du moins enchanté de ne m'être trompé que dans les criti

ques : j'ai toujours eu pour principes, dans l'exercice de mes fonctions, qu'il est permis d'exagérer un peu la louange; qu'il y a peu d'inconvéniens à enfler le mérite d'un écrivain; que l'axiome de droit, favores ampliantur, est applicable à l'homme de lettres qui se présente, avec son livre, au pied de notre tribunal; mais que la censure doit être dictée par une justice sévère, exacte, rigoureuse, et indulgente à la fois, qui ne donne rien au hasard, qui n'outre rien, qui pèse tout avec scrupule, qui n'accuse que les défauts bien caractérisés, ne condamne que les fautes évidentes, et jette un voile sur tout ce qui peut prêter aux contradictions de la dispute, et aux caprices de l'arbitraire. C'est dans ces vues que j'ai examiné précédemment l'ouvrage de M. de Gaston : j'aurois pu reprendre beaucoup plus; je ne pouvois louer davantage, et j'avoue que deux raisons principales m'ont engagé à ne garder presque aucune mesure dans mes éloges : d'abord, la considération du mérite réel qu'il faut toujours reconnoître dans toute grande entreprise littéraire, et qui même indépendamment du succès, doit toujours être apprécié, puisque,

à

Dans un noble projet, on tombe noblement.

Ensuite l'espérance que l'auteur, soutenu par les encouragemens, travailleroit à perfectionner son ouvrage, y mettre un peu plus de verve, un peu plus de coloris, à soigner davantage sa versification, à raffermir son style, à effacer quelques expressions ridicules, à tâcher d'avoir autant de poésie, de naturel, de correction, de grâce, et pas plus d'esprit, d'affectation, de

manière que son admirable modèle. Sa traduction n'a pu être regardée jusqu'ici que comme un premier jet, et ce premier jet sollicitoit l'indulgence, parce qu'il n'excluoit pas l'espoir du mieux; parce qu'on y voyoit un talent sinon très-pur, du moins très-susceptible de s'épurer; parce qu'on y remarquoit du travail, de l'effort, toutes les qualités qui supposent, dans un écrivain, une vue nette du but où il tend, et un vif désir d'y arriver. Mais on seroit obligé de désapprouver, sans restriction, un jour, ce qu'on a d'abord loué sans réserve, si les espérances venoient à ne se point remplir: il faudroit avouer un jour que cet ouvrage est extrêmement imparfait, si l'auteur, en le réimprimant, ne s'élevoit pas à un plus haut degré de perfection: plus les éditions se multiplieront, plus la critique deviendra sévère : si cette traduction, à une troisième ou à une quatrième édition, par exemple, étoit telle qu'elle est aujourd'hui, on pourroit dire qu'elle est mauvaise. Les débutans seuls ont le droit d'exiger qu'on les encourage : le public lui-même reconnoît ce droit, et veut bien s'y soumettre; mais les écrivains avancés dans la carrière, ne doivent plus compter que sur leur mérite: on pardonne tout à l'enfance; l'âge mûr ne trouve plus d'excuse :

Parcendum teneris ; et dùm se lætus ad auras
Palmes agit, laxis per purum immissus habenis,
Ipsa acies nondùm falcis tentanda.......
Indè ubi jam validis amplexæ stirpibus ulmos
Exierint, tùm stringe comas; tùm brachia tonde :

tùm deniquè dura

Exerce imperia; èt ramos compesce fluentes.

Dans cette seconde édition, l'ouvrage de M. de Gaston est demeuré à l'état d'enfance: il ne s'est point en

core perfectionné; il se présente avec les mêmes défauts, ou du moins il n'offre que très-peu de changemens et d'amendemens : la rapidité avec laquelle cette nouvelle édition a été faite, en est sans doute la cause : l'auteur a senti, et n'a pas redouté la nécessité de mettre le texte à côté de sa traduction; et c'est un avantage qu'on trouve dans cette réimpression. J'insiste un peu sur le devoir de corriger un ouvrage à mesure qu'on le rend à la presse, parce que la précipitation avec laquelle nos auteurs publient maintenant leurs productions, en leur ôtant tout moyen de faire autrement, est un des abus les plus frappans et une des plaies les plus dangereuses de notre littérature. Autrefois, et dans ces temps qui, sous tous les rapports, doivent servir de modèle et d'exemple aux gens de lettres, les écrivains gardoient patiemment leurs ouvrages dans leur portefeuille au lieu d'en publier des éditions imparfaites et avortées, ils en faisoient, en particulier et dans le secret, la lecture à quelques amis sincères; ils consultoient avec une modestie réelle, et corrigeoient avec une entière soumission: ils tenoient pendant des années leurs ébauches, pour ainsi dire, sous la lime; ils attendoient avec constance ce degré de perfection, ce point de maturité, que le travail seul, l'application et le temps amènent avec lenteur; ils exécutoient à la lettre ce grand précepte que Despréaux a consigné dans son Art poétique:

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage;
Corrigez-le sans cesse, et le recorrigez.

Ils avoient toujours présent à l'esprit ce conseil d'Horace: « Quand vos écrits sont dans le porte-feuille, « vous y pouvez effacer ce que vous n'avez pas rendu

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