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couleurs, ce malheureux père de toutes parts assailli dans sa fuite, par la cavalerie des Volsques qui le poursuivent, et auxquels il a beaucoup de peine à se dérober:

Tela undiquè sæva premebant,

Et circumfuso volitabant milite Volsci.

Virgile ne dit point qu'il reprit l'espérance en embrassant sa fille : il étoit trop occupé de sauver ce cher enfant,'pour s'amuser à lui faire des caresses; cette pensée, et la tournure du vers qui l'exprime, ont d'ailleurs je ne sais quoi de maniéré, qui s'accorde mal avec la noble et franche simplicité de ce récit. L'épithète de fleurie, donnée à la rive du fleuve par le traducteur, seroit une affectation, si elle n'étoit un remplissage trop évidemment commandé par la rime : il y a dans Virgile gramineo de cespite vellit : mais Virgile n'a point intention de peindre ici une pelouse verdoyante et fleurie; il veut seulement faire entendre que le javelot s'étoit profondément enfoncé dans le gazon du rivage. Je pourrois encore faire plusieurs remarques sur quelques endroits de ce morceau; mais elles ne tendroient qu'à prouver la supériorité de l'original sur la traduction, et c'est ce qu'il est inutile de démontrer. Les parties les plus brillantes du onzième livre, avec l'épisode de Métabus, sont les funérailles de Pallas, fils d'Evandre; le récit des ambassadeurs envoyés par les Latins à Diomède, fondateur de la colonie grecque d'Arpi, et les harangues contradictoires de Turnus et de Drancès dans le conseil du roi Latinus, chefs-d'oeuvre d'éloquence, tels que la parole humaine ne sauroit s'élever au delà. Que de beautés, que de richesses dans ces derniers chants, si négligés et presque dédaignés!

Toute la magnificence de la plus sublime poésie éclate dans le douzième livre, et couronne dignement un si bel ouvrage on y aperçoit quelques négligences qui montrent que ce n'est qu'un premier jet; mais ce premier jet est celui de Virgile. Quelles peintures que celles de la pudeur de Lavinie, de la blessure d'Enée, de la rupture du traité par Tolumnius, du sac de la ville de Laurente, de la mort de la reine Amata, et enfin, du combat singulier d'Enée et de Turnus! Quelle profusion de fictions poétiques et de comparaisons ou gracieuses ou sublimes! Nos étroites limites ne me permettent pas de suivre le traducteur dans une si vaste carrière, où il bronche sans doute quelquefois, mais où il marche d'un pas généralement assez ferme; je ne puis même citer qu'un morceau très-court, et je choisirai l'endroit où Virgile compare au vol continu, rapide et varié de l'hirondelle, les divers mouvemens, que se donne l'infatigable Juturne, sœur de Turnus, pour sauver son frère :

Telle on voit s'éloignant du dôme accoutumé,
Pour calmer de son nid le babil affamé,
L'hirondelle effleurer de son aile rapide
Le portique sonore et le ruisseau limpide,
Et d'un palais désert parcourant les débris,
Riche d'un vermisseau, voler vers ses petits;

Telle à travers les rangs, la nymphe vigilante, etc.

Cette phrase poétique est bien faite; mais l'expression babil affamé me paroît bien hardie : Virgile est plus simple, nidis loquacibus ; il n'a pas dit non plus riche d'un vermisseau : il n'a jamais tant d'esprit; il s'est contenté de mettre pabula parva legens. Nul auteur n'est plus éloigné de la manière et de l'affectation que

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ANNALES LITTÉRAIRES. (1807.)

Virgile. Le bourreau, disoit Boileau, parlant des traductions de Toureil, il donne de l'esprit à Démosthènes! M. Gaston se sert, dans un autre endroit, du mot s'alanguir : je ne sais s'il le crée ou s'il le ressuscite; dans tous les cas, il est trop vieux ou trop nouveau. Le traducteur déroge ailleurs à la noblesse habituelle de son style, en employant une expression qu'on s'étonne de trouver dans un vers alexandrin :

Turnus mire sa tête, et le trait acéré
S'attache à son cerveau sous le casque doré.

Mirer n'est pas du Dictionnaire de l'épopée.

Les notes dont M. Gaston a enrichi sa traduction, seront très-utiles aux jeunes étudians : le proviseur du lycée de Limoges a travaillé pour tous les lycées de la France. Dans l'édition que nous annonçons, il n'a pas mis (par modestie, sans doute) le texte latin en regard de mais il en prépare une qui ne sera pas plus volumineuse, et qui sera moins dispendieuse, où Virgile et son traducteur se trouveront réunis on aura donc, à moins de frais, deux bons auteurs pour un.

ses vers;

ANNÉE 1808.

XXXIX.

Comparaison entre la Phèdre de Racine et celle d'Euripide, par M. SCHLEGEL.

S. Ier.

16 février.

Si l'auteur de cette brochure s'est proposé seulement de marquer la différence qui existe entre la Phèdre d'Euripide et celle de Racine, il n'a fait que remanier un sujet qui a été souvent traité, et revenir sur un point de la littérature, usé depuis très-long-temps; s'il a eu dessein d'attenter à la gloire d'un des plus grands poëtes dont les temps modernes puissent s'honorer, et de répandre quelques nuages sur l'éclat du siècle fortuné, comme dit Boileau, qui vit naître sous les mains de Racine ces pompeuses merveilles, il faudra le ranger parmi ces écrivains à paradoxes, dont les opinions tirent d'autant moins à conséquence, qu'elles n'ont pas même le mérite de la bonne foi, et qu'elles sont uniquement inspirées par le désir de briller, par l'ambition de se distinguer, et l'envie de faire du bruit; s'il a voulu enfin examiner lequel du théâtre grec ou du théâtre français mérite la préférence, et se porter pour juge en dernier ressort dans ce procès littéraire, on se croit obligé de lui dire que c'est renouveler una

question surannée, qui paroît insoluble en elle-même, et reproduire un problème indéterminé, assez semblable, dans un autre genre, à la quadrature du cercle. Toutes ces suppositions font entendre suffisamment que les intentions de M. Schlegel ne sont pas bien nettes, et qu'il a laissé beaucoup de choses à deviner dans sa dissertation. Pourquoi ne s'exprime-t-il pas plus franchement? Quel scrupule a pu l'arrêter? A-t-il craint de trop ressembler à M. Mercier, et à tant d'autres écrivains français qui auroient été très-dignes d'être les compatriotes de M. Schlegel? A-t-il pensé que nous sommes, aujourd'hui, encore assez fermes sur les principes du bon goût et des saines doctrines littéraires, pour avoir besoin de ménagemens, et pour nous révolter contre des opinions sophistiques et paradoxales trop naïvement exprimées?

Je ne sais s'il ne nous fait pas en cela trop d'honneur: je crois apercevoir que ce qui est neuf, ou du moins ce qu'on prend pour tel, séduit encore les esprits, indépendamment de la justesse, du bon sens, de la raison et de la vérité; il me semble que ce littérateur allemand nous a crus trop complétement et trop sincèrement convertis; quoi qu'il en soit, son parallèle est un tissu de propositions vraies, justes et claires, et d'insinuations timides, obliques et insidieuses, d'énoncés très-francs, et de sous-entendus fort adroits; de raisonnemens très-concluans, et de sophismes captieux; et quelquefois aussi, dans le torrent d'une dialectique rapide, il laisse échapper, à la faveur du fracas de l'argumentation, des assertions d'une crudité révol– tante; de manière que s'il agit avec nous, en général, comme avec des gens très-fins et très-délicats, dont il

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