En vérité, M. Luce peut-il regarder comme un vers cette ligne d'humble prose : Et du roi de Scyros elle a vu la famille..... Et quel effet produisent ces mots, elle brille, à la fin du vers! Est-ce parler la langue des poëtes, que de dire de Thétis qui enlève son fils endormi sur un rocher : Sur le roc elle prend son divin nourrisson..... Comment un écrivain aussi exercé que M. Luce n'a-t-il pas senti qu'il devoit remettre sous l'enclume les deux vers suivans: Son fils, pour l'écouter, se faisoit violence..... N'auroit-il pas dû ennoblir cette image de Thétis, qui, pour transporter son fils appelle deux dauphins: on croit en effet la voir faire à ces deux dauphins un geste très-familier du bout du doigt, lorsque le poëte dit: Elle voit deux dauphins: son geste les appelle. Enfin, ne peut-on pas mettre au nombre des familiarités excessives que se permet M. Luce, l'image encore plus grotesque du centaure, qui se dresse sur ses pieds de derrière, comme un cheval qui se cabre, pour suivre plus long-temps de l'oeil Thétis qu'emportent ses deux dauphins : qu'on imagine l'effet que produiroit dans un tableau cette attitude du docte Chiron; quelle plaisante figure fait là le précepteur d'Achille! Au rivage attaché, sur sa croupe docile Le Centaure se dresse, et regardė immobile, Au rivage attaché! Ne diroit-on pas que le centaure est attaché, comme un cheval, par un lien, sur le rivage? Et quelle tournure: Tant qu'il croit voir....! el un vestige écumant!! Quelle expression! Quelle construction! Quels vers! Quelle caricature! Lorsque l'auteur s'écarte de cette bonhomie de style, c'est pour tomber dans l'affectation et dans le précieux: représente-t-il Pâris qui enlève Hélène sur son vaisseau, il dit : Le berger phrygien regagnant sa patrie, On sent combien cette coupe et cette expression sont peu naturelles; et le goût n'est pas moins offensé, lorsqu'après avoir dit : Les vents dormoient, il ajoute précieusement : Hélène avoit su les charmer..... Stace a dit: Jam gravis amplexu, en parlant d'Achille qui embrasse sa mère : M. Luce a cru devoir broder cette pensée déjà un peu recherchée, et ne s'est pas contenté de traduire : Son embrassement pèse, il a fallu qu'il ajoutât avec mignardise : Et ne fatigue pas! Quand il décrit la joie de toute la Thessalie au moment de l'arrivée de Thétis; au milieu d'une peinture, d'ailleurs assez commune, et beaucoup trop prolongée, il encadre ce vers très-remarquable par le faux éclat d'une épithète, qui seroit peut-être bonne en la tin,mais qui n'est que ridicule en français: Le gazon nuptial fleurit sur son passage. L'auteur a si bien reconnu que cette épithète précieuse étoit en même temps inintelligible, qu'il a fait une note pour rappeler que Thétis avoit été mariée en Thessalie. On doit considérer aussi comme une espèce d'affectation bien froide le soin que prend M. Luce d'avertir, en quelques endroits, de la pantomime de ses personnages: ainsi, lorsque Achille, pendant le repas que le centaure donne à la déesse, après avoir célébré sur sa lyre les exploits des héros, chante l'hymen de sa mère, le poëte met en parenthèse (ici Thétis sourit); et ailleurs, quand Ulysse, à la cour de Lycomède, peint devant Achille la perfidie de Pâris, l'auteur rompt le fil du discours par cette réflexion incidente: l'œil d'Achille s'enflamme. Mais de tous les vers de M. Luce, aucun ne me paroît mériter mieux le prix de l'affectation que celui où l'auteur veut peindre par un trait vif et rapide la fierté d'Achille, qu'indignent ses habits de femme : Sous le lin qui le couvre, il frémit indigné Un lion dans des filets de gaze! Quelle supposition Ce style recherché, dont on fait vanité, << Sort du bon caractère et de la vérité : « Ce n'est que jeux de mots, qu'affectation pure, Enfin, les deux vices capitaux de la manière de l'auteur, la recherche et la trivialité, se confondent souvent ensemble par un mélange fort bizarre: lorsqu'il dit, par exemple, de la mère d'Achille: (Ici Thétis sourit) d'un sourire forcé Le rayon fugitif est bientôt effacé. Le second vers est très-précieux, tandis que l'expression de sourire forcé, qui termine le premier, est du style le plus familier. On retrouve à peu près le même défaut dans le morceau suivant, où le poëte compare Déidamie à Vénus et à Diane : Mais autant Cythérée Brille parmi ses sœurs, à la cour de Nérée, Quel contraste entre l'élégance maniérée de cette expression, l'essaim virginal, et la foiblesse de cet hémistiche, qui ressemble à une rime des racines grecques, à la biche fatal! Ne peut-on pas remarquer aussi comme un singulier amalgame d'affectation et de fami liarité le vers suivant, qui est un des traits du tableau de l'éducation d'Achille, lequel apprend à Rire au tigre qui gronde, au lion qui rugit..... mais il me semble que les beuglemens sacrés de Jupiter enlevant Europe, passent tout le reste : Agénor, indigné d'un lâche stratagėme, Des beuglemens sacrés!... J'engage fort M. Luce à effacer cette incroyable expression, lorsqu'il s'occupera de corriger son poëme : Ah! ciel, des beuglemens sacrés!!! XXXII. OEuvres choisies de M. Le Franc de Pompide l'Académie française. gnan S. Ier. 26 septembre. La renommée de M. le Franc de Pompignan se seroit élevée plus haut et brilleroit d'un éclat moins équivoque, s'il avoit eu des ennemis moins cruels, et des panégyristes plus discrets: ses rares talens furent en butte aux haines les plus acharnées, aux satires les plus amères, aux railleries les plus insultantes, à ces bons mots qui, chez une nation très-légère, sont des décisions et des arrêts; ils n'eurent pas moins à souffrir de ces éloges exagérés, de ces louanges emphatiques et enflées qu'inspire une admiration aveugle, et que dicte un zèle - imprudent. Sa réputation ainsi balancée, tourmentée entre deux injustices, a fini par ne rencontrer, au lieu de l'ardeur des haines, qui s'éteignent toujours tôt ou |