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qu'elles auroient dû toujours avoir, à retrouver les dates de la correspondance de Racine, et à augmenter l'intérêt de cette portion si précieuse du recueil, par le rétablissement de l'ordre chronologique : cet ordre, qui n'existoit dans aucune des précédentes éditions, est un des caractères les plus marquans de celle que nous annonçons, et un de ceux qui lui assurent la supériorité. Il est à peine concevable qu'on eût jusqu'à présent oublié un travail si nécessaire, et qui rend infiniment plus attachante et plus instructive la lecture des lettres de Racine.

L'Histoire de Port-Royal a été soignée avec la même attention, et cette histoire a donné lieu à l'éditeur de faire une remarque dont je laisse l'examen aux bibliographes : « La seconde partie, dit-il, n'a paru que plu<«<sieurs années après la première; on lit au commence«ment, qu'on a peine à comprendre comment une «< maison si sainte a été détruite. Cette phrase prouve, <«< ce qui n'a point encore été observé, que Racine n'en <«<est point l'auteur. En effet, il mourut onze ans << avant cette destruction, et ne put par conséquent tout <«< au plus que la prévoir.» On sait que Boileau regardoit l'Histoire de Port-Royal, comme un des morceaux les plus achevés que nous eussions en prose; et ce jugement sera confirmé par tous ceux qui ne voudront pas chercher l'intérêt de l'histoire de la Grèce ou de Rome dans celle d'un couvent.

Il me resteroit à parler de la perfection avec laquelle M. Herhan a exécuté cet ouvrage; mais il suffit de nommer cet artiste, qui joint au mérite d'avoir fait faire un pas à l'imprimerie, celui de consacrer entièrement les

merveilles de sa belle invention à la gloire de nos chefsd'oeuvre littéraires.

J'ai mieux aimé, en rendant compte de cette édition, examiner le travail de M. Petitot, que de m'étendre sur les louanges de Racine : qu'aurois-je pu dire, qui déjà n'ait été répété cent fois? La meilleure manière de louer ce grand homme, c'est d'étudier les modèles qu'il nous a laissés; le plus bel hommage que nous puissions rendre à son génie, c'est de nous efforcer de suivre ses exemples; et si notre foiblesse ne nous permet pas de nous élever à cette hauteur, de laquelle il domine toute la littérature moderne, sachons, au moins, en méditant sur ses productions immortelles, nous pénétrer des principes qui lui ont toujours servi de guides dans sa glorieuse carrière, et qui l'ont conduit au comble de la perfection.

XXIX.

Pensées de Balzac, de l'Académie française, précédées d'observations sur cet écrivain, et sur le siècle où il a vécu; par M. de MERSAN,

14 juin.

BALZAC fut appelé, de son temps le grand Epistolier. Je ne sais si jamais ce mot a été français; mais il ressemble assez à un titre de charge, et, en cela, il convenoit parfaitement à cet auteur, qui avoit fait de l'art d'écrire des lettres une fonction, et même une dignité il y avoit alors, grâces au mauvais goût de Balzac,

qui étoit aussi celui de son siècle, un grand Epistolier, comme il y avoit un grand veneur et un grand louvetier. Quand on songe que Balzac et Voiture mettoient souvent quinze jours à composer leurs lettres les plus courtes, on est étonné qu'elles ne soient pas encore plus mauvaises, plus contournées, plus apprêtées, plus ridiculement ingénieuses. Ces deux hommes avoient bien de l'esprit, mais ils en faisoient un bien détestable usage. L'esprit est de tous les siècles; l'art de s'en servir n'appartient qu'à de certaines époques; et il en est de l'esprit comme de l'or, dont Horace a dit, qu'un usage réglé en fait le prix: Nullus argento color est, nisi temperato splendeat usu. Voiture et Balzac étoient des prodigues ils usoient de leurs richesses sans consulter les convenances, et mettoient des diamans sur leurs robes de chambre. J'ai toujours été persuadé que les âges les plus grossiers et les plus barbares avoient compté autant de gens d'esprit que les siècles les plus polis et les plus brillans: la nature n'est pas plus avare dans un temps que dans un autre; sa main libérale s'ouvre également sur les hommes de toutes les époques : ce n'est point elle qui change, c'est la société; le même soleil luit sur des campagnes jadis couvertes de fruits, et maintenant hérissées de ronces; les mêmes rosées les humectent, les mêmes vents les rafraîchissent de leurs fécondes haleines: la culture est l'oeuvre de la société ; les convenances et le goût sont aussi son ouvrage. Il n'a manqué à Balzac et à Voiture, comme à beaucoup d'autres, que de venir plus tard: ils avoient un fonds de génie qui ne demandoit que d'être mieux cultivé.

Mais que dire de ces auteurs qui semblent n'avoir point suivi les progrès de la société; qui, avec de l'es

prit et du talent, reproduisent aujourd'hui tous les défauts de l'enfance de l'art, se perdent dans une métaphysique digne du quinzième siècle, ou s'égarent dans un style rétrograde, dont les tours et les figures, sembables à ces images gothiques, ornemens de nos anciens édifices, nous retracent les temps de barbarie? Le bon goût n'a qu'un moment, parce qu'il n'est qu'un des rapports de la société, qui sans cesse varie, dont les changemens, pour être insensibles, n'en sont pas moins réels, et qu'un cours rapide entraîne du défaut à la perfection, et de la perfection dans tous les excès.

La postérité ne connoît guère que les Lettres de Balzac ; cependant il a composé beaucoup d'autres ouvrages: son Prince, son Socrate chrétien, son Aristippe, ses Dissertations, sont restés dans l'oubli le plus profond, ignorés de tout le monde, excepté des gens de lettres, qui seuls ont le courage d'échanger beaucoup d'ennui contre un peu d'instruction. Ce n'est pas, toutefois, que ces ouvrages soient plus mauvais que ses Lettres: ils sont seulement plus étendus; et dans ses dissertations, dans ses traités, comme dans ses lettres, Balzac court toujours après la phrase et l'hyperbole; c'est, en d'autres termes, courir après l'ennui: il pense souvent très-bien; mais le désir d'étaler son beau style, de tout orner, de tout amplifier, de tout exagérer, de mettre partout des pensées saillantes, de l'éloquence, de l'harmonie, l'entraîne invinciblement, lui fait perdre de vue la justesse, lui donne, pour ainsi dire, des distractions, et l'écartant de la ligne du vrai, le précipite dans le vide, dans le faux et dans le galimatias. Il pourroit même passer quelquefois pour un penseur trèsfin et très-profond, s'il n'étoit pas toujours un écrivain

très-recherché et très-ampoulé: son style fait tort à son esprit; c'est une physionomie noble, spirituelle et intéressante, gâtée par un costume ridicule; et c'est en lisant cet auteur qu'on peut sentir tout le prix du goût: n'a pas du mauvais goût qui veut, a dit un homme qui n'en manquoit pas; cela est vrai : car le mauvais goût n'est qu'un mauvais usage du talent ou de l'esprit, et l'abus suppose la chose dont on abuse; mais aussi le mauvais goût déguise souvent, et fait méconnoître les qualités heureuses, qu'il altère et corrompt; et tandis qu'il calomnie, en quelque sorte, le plus beau naturel, les moindres dispositions, les talens les plus médiocres reçoivent du bon goût un éclat et un prix qu'ils ne pourroient tirer d'eux-mêmes.

Balzac étoit fort savant: de son temps, l'érudition étoit de mode, à peu près comme l'ignorance l'est du nôtre: un homme de lettres devoit alors tout savoir, à peu près comme un écrivain d'aujourd'hui doit tout ignorer; avant l'époque où il parut, il suffisoit d'être érudit: sous François Ier, sous Henri II, sous Charles IX, sous Henri III, et même sous Henri IV, l'érudition étoit tout; mais lors qu › Balzac, né sous ce prince, écrivoit sous Louis XIII, on commençoit à ne plus se contenter de l'érudition: il falloit y joindre autre chose; bientôt on apprit à parler le langage, à prendre les parures de l'esprit et du goût, jusqu'à ce que cédant tout-à-fait l'empire au bel esprit, et à cette philosophie qui dédaigna toujours d'emprunter ses lumières, elle fut reléguée dans l'ombre de quelques cabinets solitaires, d'où elle ne sort plus que pour essuyer des mépris.

On a quelquefois voulu comparer Balzac à Sénèque; mais ces deux écrivains n'ont d'autre rapport que celui

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