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sans se préparer des maux bien plus grands que ceux << dont on espère s'affranchir. »

Il faut lire dans la Notice même tout ce que l'auteur dit des ouvrages de M. de Laharpe: ses jugemens sont toujours justes et toujours si heureusement relevés par des réflexions générales, qu'on ne pourroit rien reprendre dans ce moreeau, ni rien y ajouter. Les citations que je viens de faire doivent suffire pour montrer dans quel esprit ce Recueil est rédigé, et de quel style toujours net, élégant et précis, ces Notices sont écrites. Il semble au premier coup d'œil qu'il est aisé d'apprécier des auteurs et des ouvrages si souvent examinés et jugés, et de faire de bonnes Notices littéraires après tant de Notices dont tous les Recueils sont remplis; mais c'est la multitude même de ces sortes d'ouvrages qui en rend aujourd'hui la composition plus difficile: ils sont tous plus ou moins mêlés d'idées fausses, qui ont acquis plus ou moins de crédit, et dont il faut se défendre; il faut les épurer; il faut faire un choix judicieux parmi tant de matériaux défectueux, et penser d'après soi-même, au milieu de tant d'idées étrangères que l'habitude et l'opinion commandent presque d'adopter de confiance. Depuis cinquante ans, notre littérature n'offre guère que des ouvrages de critique littéraire: nous n'écrivons plus que sur ce qui a été écrit; et cet esprit de dissertation et d'analyse que nous substituons au génie qui nous manque, a plus corrompu les idées qu'il ne les a perfectionnées. Le mérite des auteurs du Recueil que nous annonçons est de joindre avec beaucoup de discernement aux traditions les plus pures et les plus anciennes, tout ce qu'ont pu leur fournir leurs propres réflexions et celles de leurs contemporains.

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XX.

Premier Chant d'un poëme intitulé : la Veillée du Parnasse, par M. ECOUCHARD-Lebrun.

16 janvier.

LE Mercure renferme de temps en temps des morceaux de poésie du plus grand intérêt : nos poëtes les plus distingués s'empressent de l'enrichir de leurs meilleures productions; pendant le cours de l'année qui vient de s'écouler, MM. Delille et Lebrun ont prodigué leurs richesses à ce journal. Ce premier chant d'un poëme inédit, que M. Lebrun a fait insérer dans le numéro du 10 janvier, n'en est pas un des moindres ornemens : c'est peut-être le morceau le plus brillant et le plus correct qui soit sorti de la plume étincelante, mais inégale, de cet écrivain célèbre. Il a été composé sous d'heureuses inspirations, et le poëte doit le compter parmi ses plus anciens titres de gloire tous les amateurs connoissent la traduction de l'Episode d'Aristée, que M. Lebrun a publiée depuis long-temps; c'est cet épisode qu'il a enchâssé dans ce premier chant de la Veillée du Parnasse, poëme où il a probablement dessein d'encadrer d'autres morceaux traduits ou imités des anciens. La muse sage et sévère de Virgile, en inspirant le génie ardent et téméraire de l'imitateur, en a réglé les mouvemens : les poëtes que leur talent porte à oser beaucoup, devroient se former long-temps sur le modèle de ces écrivains supérieurs, dont la hardiesse est toujours heureuse, parce qu'elle est toujours pru

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dente : des guides si sûrs les préserveroient de ces écarts où l'on regrette trop souvent de les voir tomber au milieu de leurs plus nobles élans. Un critique fameux a comparé cette traduction de M. Lebrun avec celle de l'illustre traducteur des Géorgiques; il a même osé décider entre ces deux poëtes: je n'ai pas cette audace; Les deux traductions offrent, de part et d'autre, assez de beautés pour qu'on puisse éprouver un agréable embarras le plaisir d'avoir deux bonnes traductions d'un des plus beaux endroits de Virgile, doit dispenser de la peine d'examiner quelle est la meilleure. Il faut avouer pourtant que M. Delille eut un grand avantage, puisque la traduction de M. Lebrun avoit paru long-temps avant la sienne: il profita même de cet avantage dans toute son étendue, puisqu'il ne craignit point de s'approprier non-seulement des hémistiches, mais des vers entiers de son prédécesseur. Le rigoureux M. Clément a eu soin de noter ces larcins légitimes, avec une exactitude peut-être trop scrupuleuse: je n'ai point son livre entre les mains, et je ne me propose d'ailleurs ici que de rappeler le souvenir d'une concurrence également honorable pour les deux rivaux.

C'est Erato qui, dans le poëme de M. Lebrun, raconte à ses sœurs l'aventure d'Aristée :

Dans ces rians vallons où le fleuve Pénée
Promène entre des fleurs son onde fortunée,
Poursuivi du Destin, un berger demi-dieu,
Avoit dit à ces bords un éternel adieu :

Aristée est son nom. Loin de ce doux rivage,
Pleurant ses doux essaims que la Parque ravage,
Aristée égaroit ses pas et ses douleurs :

Aux sources du Pénée il accourt tout en pleurs ;
Et là, tendant les mains vers ses grottes profondes:
O Cyrène! ete.

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Ces vers ont du nombre et de l'harmonie; mais ils n'ont peut-être pas assez de précision : Virgile ne parle ni des rians vallons, ni du fleuve qui se promène entre des fleurs il ne présente pas d'abord Aristée comme un demi-dieu; il ne le peint que comme un simple berger, pastor Aristous, et peut-être l'intérêt s'en augmente; il ne dit pas que ce berger avoit dit à ces bords un éternel adieu, ni qu'il égaroit ses pas et ses douleurs, parce qu'Aristée alloit droit à la source du fleuve, pour se plaindre à sa mère. Ces traits, ajoutés par le traducteur, peignent bien le désespoir; mais, outre qu'ils ne sont pas dans Virgile, ils offrent quelque discordance. Ainsi, après avoir dit que Aristée égaroit ses pas et ses douleurs, le poëte ajoute : Aux sources du Pénée il accourt tout en pleurs, ce qui prouve qu'il ne s'égaroit pas beaucoup. La période de quatre vers qui commence ce morceau, et qui représente bien celle de Virgile, est un peu gênée : Dans ces rians vallons, un berger dit à ces bords un éternel adieu. Peut-être que dans le dernier vers, le pronom ces n'a pas assez de netteté, parce qu'il est précédé de ces mots : Aux sources du Pénée. M. Delille a traduit avec plus de simplicité et de brièveté; mais il n'a pas rendu l'harmonie mélancolique de cette belle période, qui ouvre si convenablement ce triste récit :

Pastor Aristaus fugiens Peneia Tempe,

Amissis, ut fama, apibus morboque fameque,
Tristis ad extremi sacrum caput adstitit amnis,
Multa querens.

Aristée autrefois vit mourir ses abeilles :

Des vallons du Pénée, il part en soupirant;
Vers la source du fleuve il arrive en pleurant ;
Il s'arrête, il s'écrie, etc.

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Ces quatre vers décousus tombent désagréablement les uns sur les autres, et ne retracent aucune idée de l'effet que Virgile a voulu produire. Il part en soupirant; il arrive en pleurant ; ces deux hémistiches uniformes, où les pleurs et les soupirs semblent avoir été distingués les uns des autres avec affectation, sont d'une sécheresse bien répréhensible dans un pareil morceau : si M. Lebrun a prêté des ornemens à Virgile,M. Delille l'a dépouillé; il lui a ôté son harmonie, et l'élégance attendrissante et majestueuse de ce beau vers:

Tristis ad extremi sacrum caput adstitit amnis,

le seul de ce début où Virgile ait prodigué la magnificence des épithètes, parce qu'il renferme l'image sur laquelle le poëte veut principalement fixer l'esprit du lecteur : il est bien dangereux d'ôter ou d'ajouter rien å Virgile.

Je me hâte de passer au plus beau morceau de cet épisode, qui étincelle partout des plus grandes beautés: c'est la descente d'Orphée aux enfers. Protée révèle au berger la cause de ses malheurs; Orphée arme les dieux contre Aristée. Écoutons M. Delille:

Un jour, tu poursuivois sa fidelle Eurydice :
Eurydice fuyoit, hélas ! et ne vit pas

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Un serpent que les fleurs recéloient sous ses pas.
La Mort ferme ses yeux : les nymphes ses compagnes,
De leurs cris douloureux remplissent les montagnes;
Le Thrace belliqueux lui-même en soupira;
Le Rhodope en gémit et l'Èbre en murmura.
Son époux s'enfonça dans un désert sauvage :/
Là, seul, touchant sa lyre, et charmant son veuvage,
Tendre épouse! c'est toi qu'appeloit son amour;
Toi qu'il pleuroit la nuit, toi qu'il pleuroit le jour.

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