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peut recevoir; et comme ce n'est pas proprement une action, mais une passion dans la cire de recevoir diverses figures, il me semble aussi que c'est une passion dans l'âme de recevoir telle ou telle idée, et qu'il n'y a que ses volontés qui soient des actions; et que ses idées sont mises en elle, partie par les objets qui touchent les sens, partie par les impressions qui sont dans le cerveau, et partie aussi par les dispositions qui ont précédé dans l'âme même et par les mouvements de sa volonté ; ainsi que la cire reçoit ses figures, partie des autres corps qui la pressent, partie des figures ou autres qualités qui sont déjà en elle, comme de ce qu'elle est plus ou moins pesante ou molle, et partie aussi de son mouvement, lorsque, ayant été agitée, elle a en soi la force de continuer à se mouvoir. (Lett. cxv, tom. I, pag. 527.)

Ce que Descartes entend par le mot d'idées innées.

« L'esprit n'a pas besoin d'idées ou de notions ou d'axiomes qui soient nés, ou naturellement imprimés en lui; mais la seule faculté qu'il a de penser lui suffit pour exercer ses actions. >> Extrait d'un écrit qui parut en Hollande contre la philosophie de Descartes, uquel le philosophe répondit ainsi :

<< Dans le douzième article, je trouve qu'il n'est différent de ce que je dis qu'en la manière de s'exprimer; car, quand il dit que l'esprit n'a pas besoin d'idées ou de notions ou d'axiomes qui soient nés, ou naturellement imprimés en lui, et que cependant il lui attribue la faculté de penser, c'est-à-dire une faculté naturelle et née avec lui, il dit en effet la même chose que moi, quoiqu'il me semble ne pas le dire; car je n'ai jamais écrit ni jugé que l'esprit ait besoin d'idées naturelles qui soient quelque chose de différent de la faculté qu'il a de penser; mais reconnoissant qu'il y avoit certaines pensées qui ne procédoient ni des objets du dehors, ni de la détermination de ma volonté,

mais seulement de la faculté que j'ai de penser, pour établir quelque différence entre les idées ou les notions qui sont les formes de ces pensées, et les distinguer des autres qu'on peut appeler étrangères et factices, je les ai nommées naturelles; mais je l'ai dit dans le même sens que nous disons que la générosité, par exemple, est naturelle à certaines familles, ou que certaines maladies sont naturelles à d'autres; non pas que les enfants qui prennent naissance dans ces familles soient travaillés de ces maladies dès le sein de leur mère, mais parce qu'ils naissent avec la disposition ou la faculté de les contracter.

(Lett. xcix, tom. I, pag. 450.)

Dieu ne connoit pas les vérités éternelles parce qu'elles sont vraies ou possibles; mais elles sont vraies parce que Dieu les connoft comme telles.

Pour les vérités éternelles, je dis de nouveau que sunt tantum veræ aut possibiles quia Deus illas veras aut possibiles cognoscit; autem contra, veras a Deo cognosci, quasi independenter ab illo sint vera; et si les hommes entendoient bien le sens de leurs paroles, ils ne pourroient jamais dire sans blasphème que la vérité de quelque chose précède la connoissance que Dieu en a; car, en Dieu, ce n'est qu'un de vouloir et de connoître; de sorte que ex hoc ipso quod aliquid velit, ideo cognoscit, et ideo tantum, talis res est vera. Il ne faut donc pas dire que si Deus non esset, nihilominus istæ veritates essent vera; car l'existence de Dieu est la première et la plus éternelle de toutes les vérités qui peuvent être, et la seule d'où procèdent toutes les autres; mais c qui fait qu'il est aisé de se méprendre en ceci, c'est que la plupart des hommes ne considèrent pas Dieu comme un être infini et incompréhensible, et qui est le seul auteur et arbitre de toutes choses; ils ne considèrent pas que puisque Dieu est une cause dont la puissance surpasse les bornes de l'entendement humain,

et que la nécessité de ces vérités n'excède point notre connoissance, les mêmes vérités doivent être quelque chose de moindre et de sujet à cette puissance incompréhensible.

(Lett. cxii, tom. I, pag. 505.)

Eclaircissements sur les vérités éternelles; Dieu en est l'auteur et le créateur.

Vous me demandez in quo genere causæ Deus disposuit æternas veritates; je vous réponds que c'est in eodem genere causæ qu'il a créé toutes choses, c'est-à-dire ut efficiens et totalis causa, car il est certain qu'il est aussi bien auteur de l'essence comme de l'existence des créatures; or cette essence n'est autre chose que ces vérités éternelles, lesquelles je ne conçois point émaner de Dieu, comme les rayons du soleil; mais je sais que Dieu est l'auteur de toutes choses et que ces vérités sont quelque chose, et par conséquent qu'il en est l'auteur. Je dis que je le sais, et non pas que je le conçois et que je le comprends; car on peut savoir que Dieu est infini et tout-puissant, encore que notre âme, étant finie, ne le puisse comprendre ni concevoir; de même que nous pouvons bien toucher avec les mains une montagne, mais non pas l'embrasser, comme nous ferions un arbre ou quelque autre chose que ce soit qui n'excédât pas la grandeur de nos bras; car comprendre, c'est embrasser de la pensée; mais, pour savoir une chose, il suffit de la toucher de la pensée. Vous demandez aussi qui a nécessité Dieu à créer ces vérités; et je dis qu'il a été aussi libre de faire qu'il ne fût pas vrai que toutes les lignes tirées du centre à la circonférence fussent égales, comme de ne pas créer le monde; et il est certain que ces vérités ne sont pas plus nécessairement jointes à son existence que les autres créatures. Vous demandez ce que Dieu a fait pour les produire; je dis que ex hoc ipso quod illas ab æterno esse voluerit et intellexerit, illas creavit, ou bien (si vous

n'attribuez le mot creavit qu'à l'existence des choses), illas disposuit et fecit; car c'est en Dieu une même chose de vouloir, d'entendre et de créer, sans que l'un précède l'autre, nequidem ratione. (Lett. cx, tom. I, pag. 494.)

Les vérités éternelles sont les lois que Dieu a établies par sa volonté sur la nature.

Les vérités mathématiques, que vous nommez éternelles, ont été établies de Dieu et en dépendent entièrement, aussi bien que tout le reste des créatures. C'est en effet parler de Dieu comme d'un Jupiter ou d'un Saturne, et l'assujettir au Styx et aux destinées, que de dire que ces vérités sont indépendantes de lui. Ne craignez point, je vous prie, d'affirmer et de publier partout que c'est Dieu qui a établi ces lois dans la nature, ainsi qu'un roi établit des lois en son royaume; or, il n'y en a aucune en particulier que nous ne puissions comprendre, si notre esprit se borne à la considérer, et elles sont toutes mentibus nostris ingenitæ, ainsi qu'un roi imprimeroit ses lois dans le cœur de tous ses sujets, s'il en avoit aussi bien le pouvoir. Au contraire, nous ne pouvons comprendre la grandeur de Dieu, encore que nous la connoissions; mais cela même que nous la jugeons incompréhensible nous la fait estimer davantage, ainsi qu'un roi a plus de majesté lorsqu'il est moins familièrement connu de ses sujets, pourvu toutefois qu'ils ne pensent pas être sans roi, et qu'ils le connoissent assez pour n'en pas douter.

On vous dira que si Dieu avoit établi ces vérités, il les pourroit changer, comme un roi fait ses lois ; à quoi il faut répondre que oui, si sa volonté peut changer. Mais je les comprends comme éternelles et immuables. Et moi je juge de même de Dieu. Mais sa volonté est libre. Oui; mais sa puissance est incompréhensible, et, généralement, nous pouvons bien assurer que Dieu peut faire tout ce que nous pouvons comprendre, mais non

pas qu'il ne peut faire ce que nous ne pouvons pas comprendre; car ce seroit témérité de penser que notre imagination a plus d'étendue que sa puissance. (Lett. civ, tom. II, pag. 478.)

Suite de cette double opinion, que Dieu est le maître des vérités éternelles, et que lui seul fait leur vérité.

Pour la difficulté de concevoir comment il a été libre et indifférent à Dieu de faire qu'il ne fût pas vrai que les trois angles d'un triangle fussent égaux à deux droits, ou généralement, que les contradictoires ne peuvent être ensemble, on la peut aisément éloigner, en considérant que la puissance de Dieu ne peut avoir aucunes bornes; puis aussi que notre esprit est fini et créé de telle nature qu'il peut concevoir comme possibles les choses que Dieu a voulu être véritablement possibles, mais non pas de telle nature qu'il puisse concevoir comme possibles celles que Dieu auroit pu rendre possibles, mais qu'il a toujours voulu rendre impossibles; et de plus, encore que Dieu ait voulu que quelques vérités fussent nécessaires, ce n'est pas à dire qu'il les ait nécessairement voulues; car c'est tout autre chose de vouloir qu'elles fussent nécessaires et de le vouloir nécessairement, ou d'être nécessité à le vouloir. J'avoue bien qu'il y a des contradictions qui sont si évidentes que nous ne les pouvons représenter à notre esprit sans que nous les jugions entièrement impossibles, comme celles que vous proposez que Dieu auroit pu faire que les créatures ne fussent point dépendantes de lui. Mais nous ne devons point nous les représenter pour connoître l'immensité de sa puissance, ni concevoir aucune priorité entre son entendement et sa volonté; car l'idée que nous avons de Dieu nous apprend qu'il n'y a en lui qu'une seule action toute simple et toute pure; ce que ces mots de saint Augustin expri

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