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§ VIII. L'on tente pour la quatrième fois l'entrée dans cette méthode, et l'on en désespère. Votre concept de la puissance est clair, dites-vous, parce que vous le connoissez certainement, et il est distinct, parce que vous ne connoissez rien autre chose; et si vous existez tel que vous vous connoissez, vous n'êtes qu'une chose qui pense et rien davantage. Or, 1o du connoître à l'être la conséquence n'est pas bonne : la substance qui pense est ou indivisible, comme dans Platon, ou divisible, comme dans le cheval; 2° pesez bien les mots déterminément, indéterminément, distinctement, confusément; 3° ce qui conclut trop ne conclut rien. Si vous ne vous connoissez que comme une substance qui pense et rien autre chose, vous excluez de vous, nonseulement le corps, mais l'esprit.

§ IX. On fait sûrement retraite dans l'ancienne forme. De ce principe: « Nulle chose qui est telle que je puis douter si elle existe, n'existe en effet, » on peut tirer par syllogisme régulier cette conséquence, que je ne suis pas un corps, et aussi que je ne suis pas un esprit. Ce principe est donc mal posé, et il faut l'abandonner.

RÉPONSE à la seconde question: Si c'est une bonne méthode de philosopher que de faire une abdication générale de tout ce qui est douteux. Cette méthode pèche 1o par les principes, en voulant tirer le certain de l'incertain; 2o par la forme, en ne remplaçant le syllogisme par aucun autre procédé : et d'ailleurs quel syllogisme pourroit tenir contre le rêve, la folie et le génie trompeur dont elle est sans cesse effrayée? 3° par la conclusion, car elle ne peut arriver à aucun but après s'être fermé tous les chemins; 4° par excès, en voulant prouver que deux et trois font cinq et que les corps existent, choses qui se passent de démonstration; 5° par défaut, car ayant voulu embrasser trop de choses, elle n'a rien tenu, si ce n'est: Je pense, je suis, ce qui est de peu de profit; 6° par péché général, car elle admet la non-existence des corps aussi gratuitement que les autres en admettent l'existence; 7° par péché particulier, en niant ce que les autres affirment; 8° par ignorance, en s'appuyant sur ce

principe: il n'y a pas de corps; 9° avec connoissance, car elle s'aveugle elle-même par une abdication volontaire; 10° par concession, lorsqu'on reprend toutes les vieilles opinions qu'elle avoit rejetées; 11° par omission, en ne démontrant pas des choses qu'elle admet pour vraies, comme les erreurs des sens, le rêve perpétuel, etc.; 12° enfin elle pèche en ce qu'elle n'a rien de bon ou rien de nouveau, et qu'elle a beaucoup de superflu; car si par l'abdication générale qu'elle recommande, elle entend une abstraction métaphysique; si elle prétend qu'on peut concevoir sa pensée sans concevoir pour cela rien de l'âme, de l'esprit ou du corps, de même que l'on conçoit l'animal sans concevoir celui qui hennit ou rugit, etc.; si enfin elle veut dire que la conscience de notre pensée ne peut appartenir qu'à une chose spirituelle, tout cela sera bon, mais ne sera pas nouveau; si, au contraire, par l'abdication générale, elle demande une négation absolue, si elle dit qu'on peut penser sans qu'il existe ni âme, ni esprit, ni corps, et que la pensée non réfléchie n'est le propre d'aucun animal, cela sera nouveau mais ne sera pas bon.

REMARQUES DE L'AUTEUR

SUR LES SEPTIÈMES OBJECTIONS

PREMIÈRE QUESTION. Le doute général que je demande ne doit s'appliquer qu'aux matières spéculatives et non à la pratique de la vie. Les raisons qui ne suffisent pas pour nous faire douter toujours peuvent légitimer un doute temporaire. En disant qu'il falloit regarder les choses douteuses comme fausses, j'ai voulu dire que dans la recherche de la vérité on ne devoit pas plus tenir compte des incertitudes que des faussetés, mais non pas qu'il fallût affirmer le contraire de ce qu'on révoquoit en doute.

Deuxième questioN. § I. Si j'ai mis d'abord l'esprit su rang des choses qui me sont inconnues, et que j'aie reconnu ensuite que mon esprit existe, c'est que les choses que je nie dans un

temps, lorsqu'elles me paroissent incertaines, peuvent devenir évidentes pour moi par la suite. Le doute et la certitude sont des relations de notre esprit aux objets, et non des propriétés appartenant aux objets eux-mêmes et devant leur demeurer toujours attachées. Les raisons qui m'obligent de douter sont assez fortes, tant que je n'en ai pas trouvé d'autres à leur opposer.

§ II. Si j'ai rejeté l'esprit, d'abord comme douteux, rien n'empêche que je le puisse reprendre, si j'arrive à le concevoir clairement. Faire la revue de ses anciennes opinions, après les avoir rejetées, c'est vider sa corbeille et n'y replacer les fruits qu'après examen.

§ III. Pour effacer la différence que j'établis entre l'esprit et le corps, et que je fonde sur ce que le premier pense et que le second ne pense pas, mais est étendu, vous appelez corps toutes les choses qui sentent, imaginent et pensent; mais je ne tiens.

pas aux noms.

§ IV. Je ne demande point toutes les opinions qu'on a pu concevoir de l'âme. Il est faux que je suppose sans démonstration que l'esprit n'est pas corporel; je ne dispute pas des mots corps et âme, mais de deux choses qui sont fort distinctes.

§ V. Je n'ai point dit que je fusse quelqu'une des choses que je croyais être autrefois; au contraire, j'ai admis que je pouvois être quelqu'une des choses qui m'étoient inconnues. Je me suis attribué la pensée, à laquelle j'ai donné le nom d'esprit, et par ce nom je n'ai rien voulu dire de plus qu'une chose qui pense. je n'ai donc pas supposé que l'esprit fût incorporel, je l'ai démontré dans ma sixième Méditation, et, en conséquence, je n'ai pas fait de pétition de principes.

§ VI. En cherchant ce que j'ai pensé que j'étois autrefois, Je cherche ce qu'il me semble maintenant ce que j'ai été. Je n'ai pas posé en principe que j'étois certain d'avoir connu tout ce qui appartenoit au corps, par conséquent on ne peut m'apliquer la fable du paysan.

§ VII. Pour bien philosopher, il faut se résoudre une fois en sa vie à se défaire de toutes ses opinions, quoiqu'il y en ait parmi elles qui puissent être vraies, afin de les reprendre ensuite une à une, et de n'admettre que celles qui sont indubitables. Or, le révérend père, au lieu de s'arrêter à ce dessein se bat contre mon ombre, et croit m'arrêter tout court par ces mots déterminément et indéterminément.

§ VIII. Un concept n'est pas clair parce qu'on le connoît certainement; car on peut savoir certainement une chose (par exemple, une chose révélée) sans la concevoir clairement, et pour que ce concept soit distinct, il n'est pas nécessaire de ne connoître rien autre chose. Du connoître à l'être la conséquence est bonne, parce que nous ne pouvons connoître une chose si elle n'est en effet comme nous la connoissons. Il n'a pas été prouvé qu'aucune substance pensante fût divisible. Les mots déterminément, indéterminément, seuls, comme ils sont ici, n'ont aucun sens. Je n'ai pas trep conclu si vous entendez par là faussement conclu.

§ IX. Votre syllogisme n'est pas de moi; mes écrits n'en justifient ni la majeure ni la mineure. Vous imitez un maçon qui, voyant un architecte creuser une fosse et rejeter le sable et le gravier pour trouver la terre ferme, et y asseoir une chapelle, voudroit faire croire que l'architecte a rejeté aussi les pierres de taille. Ma construction ne pèche ni par les fondements, car je n'ai rejeté que ce qui devoit l'être; ni par les moyens, car je me suis servi de l'équerre et du compas comme les autres; ni par la fin, car je ne me suis pas interdit l'usage de tous les matériaux; ni par excès, car en philosophie on ne sauroit creuser trop profondément; ni par défaut, car, après avcir mis le roc à nu, j'ai élevé dessus une chapelle; ni enfin d'aucune autre façon, car je n'ai pas rejeté définitivement, mais seulement mis de côté les anciens matériaux. Avancer qu'on peut concevoir une chose qui pense sans concevoir un esprit, c'est prétendre qu'on peut concevoir un homme versé dans l'architecture sans concevoir Un architecte. N'attribuer la spiritualité qu'à la pensée réflé

chie, c'est n'accorder le talent de l'architecture qu'à celui qui se sait en possession de ce talent. Si la pensée appliquée au corps est matérielle, il en sera de même de la pensée appliquée à ellemême; enfin, donner la pensée aux bêtes est pire que de prèter le talent de l'architecte au maçon.

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