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II. L'idée d'un être souverain peut dériver des perfections que vous voyez en vous et dans les autres. Il n'est pas besoin que toutes les perfections de l'effet soient dans la cause : les mouches et les plantes sont produites par l'action du soleil, de la pluie et de la terre, qui n'ont point de vie. L'idée de la souveraine perfection vous vient de l'éducation, de l'idée des choses corporelles (car vous ne nous avez pas indiqué le moyen de nous former l'idée de quelque chose d'incorporel), et enfin de la généralisation.

III. Puisque vous n'êtes assuré d'une vérité qu'à la condition d'être certain de l'existence de Dieu, vous ne savez pas encore certainement que vous êtes une chose qui pense, au moment où vous vous appuyez sur ce principe. Un athée conçoit clairement les propositions géométriques, quoiqu'il nie Dieu. La présence du mal et la pluralité des êtres sont en contradiction avec l'hypothèse d'un être infini et parfait, lequel exclut non-seulement tout mal, mais encore toute autre existence que la sienne; car si quelque chose existe avec lui, il n'est pas infini.

IV. Quelques scolastiques admettent, contre votre opinion, que Dieu peut être trompeur, comme lorsqu'il annonce dans l'Écriture des événements qui cependant n'arrivent pas, lorsqu'il endurcit le cœur de Pharaon, et qu'il met l'esprit de mensonge dans les prophètes. Ne peut-il pas tromper les hommes pour leur bien, comme un père ses enfants, comme un médecin ses malades? D'ailleurs l'erreur ne peut-elle pas venir de votre nature? La clarté n'est pas une preuve de vérité, puisqu'on s'est trompé souvent en des choses qui paroissent plus claires que le soleil.

V. Si la volonté ne pèche qu'en s'attachant aux conceptions confuses et obscures de l'entendement, les infidèles ne pèchentils pas en embrassant la religion catholique, dont ils ne connoissent pas clairement la vérité?

VI. La question est de savoir si l'existence de Dieu n'est pas en contradiction avec son essence. De plus, nous ne connoissons pas assez clairement la nature de Dieu pour en rien conclure; vous avouez vous-même que vous ne concevez l'infini qu'imparfaitement.

VII. Les Méditations ne contiennent aucune démonstrat.on de l'immortalité de l'âme, ni même de la distinction de l'âme et du corps. Il seroit fort utile de présenter à la suite des réponses une série de définitions, de postulats, d'axiomes et de démonstrations selon la méthode géométrique.

RÉPONSES AUX SECONDES OBJECTIONS

1. Je ne cherche pas encore, dans la seconde Méditation, si l'esprit est différent du corps, et j'ai renvoyé à la sixième la démonstration que le corps ne peut penser. Je la fais ressortir de la clarté avec laquelle nous concevons que le corps et l'esprit peuvent exister l'un sans l'autre. Or, si le corps et l'esprit sont réellement. distincts, nul corps n'est esprit, donc nul corps ne peut penser.

II. Je crois que l'idée de Dieu peut trouver un fondement suffisant en nous-mêmes, puisqu'elle nous est innée. Les mouches et les plantes n'ont rien de plus que la terre et le soleil, ou elles ne dérivent pas de ces causes, comme de leurs causes totales. Ce sont des principes évidents d'eux-mêmes qu'il n'y a dans un effet rien qui ne se trouve à un plus haut degré dans la cause; que rien ne se fait de rien; que toute la réalité, qui n'est qu'objectivement dans les idées, doit être formellement ou éminemment dans leurs causes. Si j'ai puisé l'idée de Dieu dans l'enseignement des autres, où les autres l'ont-ils puisée? Vouloir former cette idée de la connoissance des choses corporelles, c'est vouloir acquérir par la vue l'idée du son. J'ai donné, dans ma deuxième Méditation, les moyens de s'élever à la conception de quelque chose d'incorporel; car ce que j'ai dit de l'esprit humain peut s'appliquer à l'entendement divin. Observons toutefois que les qualités que nous trouvons en nous ne sont pas en Dieu de la même façon, mais avec une unité et une immensité dont nous ne voyons ailleurs aucun exemple. Ce qui prouve que l'idée de Dieu n'est pas une fiction de notre esprit, c'est 1° que nous concevons en lui la science et la puissance infinie, et que nous ne pouvons y concevoir le nombre et la longueur

infinie; 2o que Dieu est conçu de la même manière par tout le monde, et que tous les théologiens s'accordent sur les attributs qu'ils lui reconnoissent. On ne s'écarte de la connoissance du vrai Dieu que parce qu'on ne porte pas son attention sur l'idée qui en est gravée dans notre âme; on y mêle d'autres idées, on se fait un Dieu chimérique dont il n'est pas étonnant qu'on reJette ensuite l'existence. La faculté que j'ai d'ajouter toujours au plus grand des nombres ne peut me venir que d'un être plus parfait que moi.

III. La certitude de l'existence de Dieu ne nous est pas nécessaire pour admettre les principes au moment où nous la concevons avec clarté, mais pour recevoir les conséquences des principes que nous avons oubliés et que nous nous souvenons seulement d'avoir clairement conçus autrefois. Cette vérité, je pense, donc je suis, ne doit pas être regardée comme la conclusion, mais au contraire comme le fondement de cette majeure : tout ce qui pense existe. L'athée n'a pas la vraie science des mathématiques, parce qu'il n'a aucun motif de croire qu'il n'est par trompé dans les choses qui lui paroissent les plus évidentes. La puissance de penser peut être infinie en Dieu, sans diminuer en rien la nôtre; on en peut dire autant de ses autres attributs; il peut donc être conçu infini sans exclusion des choses créées.

IV. Il faut distinguer le mensonge verbal du mensonge d'intention, et c'est le second qui seroit commis si Dieu nous trompoit dans l'évidence. Dieu peut prononcer temporairement quelque mensonge dans l'intérêt des hommes, mais nos jugements clairs et distincts ne sont pas susceptibles d'être corrigés par d'autres, et s'il nous trompoit notre erreur seroit éternelle. Ceux qui se sont trompés dans les choses qui leur paroissoient plus claires que le soleil s'appuyoient, non sur une conception distincte, mais sur les sens ou sur quelque préjugé.

V. La foi a pour objet des choses obscures, mais la raison qui nous détermine à les croire est distincte et claire; et cette raison est une umière intérieure et surnaturelle que Dieu nous Ccorde par sa grâce. Si les infidèles pèchent, c'est en résistant à

cette grâce ou en ne la méritant pas; et si, destitués de la grâce, ils se laissent attirer à la religion par de faux raisonnements, ils pèchent parce qu'ils ne se servent pas bien de leur raison. Au reste, la règle que j'impose à la volonté de ne suivre que les conceptions claires n'est applicable qu'aux choses spéculatives et non aux choses pratiques.

VI. L'essence de Dieu est possible, car elle ne répugne pas à l'intelligence humaine. Quoique nous ne concevions Dieu que fort imparfaitement, nous n'en avons pas moins une idée assez claire pour savoir que sa nature est possible ou qu'elle n'implique pas contradiction.

VII. J'ai dit ailleurs pourquoi je n'avois pas traité de l'immortalité de l'âme, et je crois avoir suffisamment prouvé la distinction de l'âme et du corps. Dans la méthode des géomètres il y a deux points à considérer: 1° l'ordre qui consiste en ce que les choses proposées les premières doivent être connues sans le secours des suivantes, et celles-ci démontrées à l'aide des premières; 2o la manière de démontrer, qui se divise en analyse, en synthèse. La première est la voie même par laquelle la vérité a été découverte; c'est celle que j'ai suivie dans les Méditations; la seconde n'est pas aussi applicable aux vérités métaphysiques qu'aux principes géométriques qui sont en rapport. avec les sens. Cependant on peut essayer cette route. (Abrégé des Méditations, disposé suivant la méthode géométrique, en définitions, demandes, axiomes, théorèmes et démonstrations.)

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I. Il y a longtemps qu'on a remarqué l'incertitude des choses sensibles. L'auteur auroit dû s'abstenir de publier des observations si anciennes.

Réponse. On ne les a pas publiées pour acquérir de la gloire, mais pour décrire la maladie dont on vouloit enseigner le remède.

II. De ce que je pense, on peut inférer que je suis, mais non pas que je suis un esprit. On ne peut concevoir un acte sans un sujet; la pensée sans une chose qui pense, et par conséquent sans quelque chose de corporel, car tout sujet est considéré comme matériel.

Réponse. J'ai ajourné la question de savoir si tout ce qui pense est corporel. Tout le monde distingue des substances spirituelles et des substances corporelles.

II. L'entendement et le sujet qui entend sont deux choses différentes.

Réponse. Je ne nie pas que moi qui pense je ne sois distinct de ma pensée; mais je ne m'attache en cet endroit qu'à la distinction des différentes manières de penser.

IV. L'auteur n'établit pas bien la différence qui existe entre l'imagination et l'entendement. Imaginer, c'est avoir quelque idée, et entendre, c'est conclure par le raisonnement que quelque chose existe. Mais si le raisonnement n'étoit qu'un assemblage de noms, par le mot est, nos conclusions ne porteroient pas sur la nature des choses, mais seulement sur l'accord des appellations que nous leur aurions imposées. De sorte qu'il faudroit rapporter le raisonnement aux noms, les noms à l'imagination, et l'imagination au mouvement des organes corporels.

Réponse. Le raisonnement n'assemble pas les noms, mais les choses signifiées par ces noms. Pour imposer des noms, il faut connoître les choses. Si l'on affirme que l'esprit est un mouvement, on peut tout aussi bien affirmer que la terre est le ciel. V. L'idée étant un image, nous n'avons pas idée de Dieu. Réponse. J'entends quelquefois par idée tout ce qui est inmédiatement conçu par l'esprit.

VI. Dans la volonté ou dans la crainte, il n'y a rien autre chose que l'idée de l'objet, et un mouvement du corps pour le rechercher ou le fuir; ce mouvement n'est pas une pensée; il n'y a

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