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composé de l'esprit et du corps ne peut qu'elle ne soit quelquefois fautive et trompeuse. Car s'il y a quelque cause qui excite, non dans le pied, mais en quelqu'une des parties du nerf qui est tendu depuis le pied jusqu'au cerveau, ou même dans le cerveau, le même mouvement qui se fait ordinairement quand le pied est mal disposé, on sentira de la douleur comme si elle étoit dans le pied, et le sens sera naturellement trompé ; parce qu'un même mouvement dans le cerveau ne pouvant causer en l'esprit qu'un même sentiment, et ce sentiment étant beaucoup plus souvent excité par une cause qui blesse le pied que par une autre qui soit ailleurs, il est bien plus raisonnable qu'il porte toujours à l'esprit la douleur du pied que celle d'aucune autre partie. Et s'il arrive que parfois la sécheresse du gosier ne vienne pas comme à l'ordinaire de ce que le boire est nécessaire pour la santé du corps, mais de quelque cause toute contraire, comme il arrive à ceux qui sont hydropiques, toutefois il est beaucoup mieux qu'elle trompe en cette rencontre-là que si, au contraire, elle trompoit toujours lorsque le corps est bien disposé, et ainsi des autres.

Et certes cette considération me sert beaucoup non-seule ment pour reconnoître toutes les erreurs auxquelles ma nature est sujette, mais aussi pour les éviter ou pour les corriger plus facilement car sachant que tous mes sens me signifient plus ordinairement le vrai que le faux touchant les choses qui regardent les commodités ou incommodités du corps, et pouvant presque toujours me servir de plusieurs d'entre eux pour examiner une même chose, et, outre cela, pouvant user de ma mémoire pour lier et joindre les connoissances présentes aux passées, et de mon entendement qui a déjà découvert toutes les causes de mes erreurs, je ne dois plus craindre désormais qu'il se rencontre de la fausseté dans les choses qui me sont le plus ordinairement représentées par mes sens. Et je dois rejeter tous les doutes de ces jours passés, comme hyperboliques et ridicules, particulièrement cette incertitude si générale touchant le sommeil, que je ne pouvois distinguer de la veille : car à

présent j'y rencontre une très-notable différence, en ce que notre mémoire ne peut jamais lier et joindre nos songes les uns avec les autres et avec toute la suite de notre vie, ainsi qu'elle a de coutume de joindre les choses qui nous arrivent étant éveillés. Et, en effet, si quelqu'un, lorsque je veille, m'apparoissoit tout soudain et disparoissoit de même, comme font les images que je vois en dormant, en sorte que je ne pusse remarquer ni d'où il viendroit ni où il iroit, ce ne seroit pas sans raison que je l'estimerois un spectre ou un fantôme formé dans mon cerveau et semblable à ceux qui s'y forment quand je dors, plutôt qu'un vrai homme. Mais lorsque j'aperçois des choses dont je connois distinctement et le lieu d'où elles viennent, et celui où elles sont, et le temps auquel elles m'apparoissent, et que, sans aucune interruption, je puis lier le sentiment que j'en ai avec la suite du reste de ma vie, je suis entièrement assuré que je les aperçois en veillant et non point dans le sommeil. Et je ne dois en aucune façon douter de la vérité de ces choses-là, si, après avoir appelé tous mes sens, ma mémoire et mon entendement pour les examiner, il ne m'est rien rapporté par aucun d'eux qui ait de la répugnance avec ce qui m'est rapporté par les autres. Car de ce que Dieu n'est point trompeur, il suit nécessairement que je ne suis point, en cela, trompé; mais, parce que la nécessité des affaires nous oblig souvent à nous déterminer avant que nous ayons eu le loisir de les examiner si soigneusement, il faut avouer que la vie de l'homme est sujette à faillir fort souvent dans les choses particulières, et enfin, il faut reconnoître l'infirmité et la faiblesse de

notre nature.

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I. Il n'y a pas d'autre réalité objective dans l'entendement que l'acte même de l'esprit; et cet acte n'a pas besoin d'une cause productrice étrangère. Ainsi l'idée de Dieu ne demande pas une cause en dehors de l'esprit. Les idées sont déterminées par la nécessité de la vérité, et si toutes les idées ne sont pas semblables, c'est que la vérité ne se montre à nous que par fragments. On a raison de dire que l'idée n'est rien, si par là on entend qu'elle n'est pas une réalité, mais on a tort, si on la déclare par là un être imaginaire; c'est un acte de conception, lequel toutefois n'a pas besoin d'une cause productrice étrangère à l'esprit.

II. Pour appuyer l'existence de Dieu sur l'argument de la cause efficiente, il falloit rechercher non la cause de nos idées, mais la cause de nous-mêmes. Le mot par soi a deux sens : l'un positif, etre par soi comme par une cause; l'autre négatif, étre de soi, non par autrui. La première acception est absurde; dans la seconde, ce qui est par soi est limité de sa nature et n'a pas pu se donner toutes les perfections.

III. Les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies; mais connoissons-nous clairement et distinctement l'infini? De ce que nous aurions l'idée claire de l'infini, vous concluriez qu'il existe, parce que l'existence est une perfection qui ne peut manquer à l'être souverainement parfait; mais il résulteroit de ce raisonnement que les choses signifiées par le nom de Dieu sont dans l'entendement et non dans la nature; Dieu peut avoir eu de toute éternité l'idée du composé: Lion existant, sans que cette idée impliquât que l'une ou l'autre partie de ce composé fût réellement dans la nature. IV. La distinction de l'âme et du corps est une distinction formelle dont on ne peut conclure la distinction réelle.

RÉPONSES AUX PREMIÈRES OBJECTIONS

I. L'objet extérieur n'est que dans l'entendement; mais il y a dans l'entendement une entité représentative de l'objet extérieur, et c'est ce que j'appelle la réalité objective de l'idée. J'accorde que cette réalité objective n'est pas un être réel, en ce sens qu'elle n'est pas hors de l'entendement; je suis également d'avis que ce n'est pas un être de raison, mais quelque chose de réel qui est conçu; or cette conception a besoin d'une cause. Il ne suffit pas de dire que l'entendement la produit comme une de ses opérations, car il faut indiquer la source de la réalité objective de cette conception. La réalité objective de l'idée de Dieu ne peut venir de ce que les choses ne se montrent à nous que par fragments, de même que l'idée d'une machine parfaite ne peut venir de ce que nous ne savons pas la mécanique.

II. Je n'ai pas appuyé l'existence de Dieu sur les causes des objets sensibles, parce qu'elle est plus évidente que ces objets, et parce que l'impossibilité d'admettre une série infinie de causes ne prouve que l'imperfection de notre esprit; mais je l'ai fondée sur la cause qui me conserve moi-même en tant que j'ai l'idée de l'infini. Il n'est pas impossible qu'un être soit la cause efficiente de lui-même; car la cause efficiente est contemporaine

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de son effet. Dieu se conserve lui-même, et cette conservation étant une création perpétuelle, on peut dire qu'il est sa propre cause. C'est l'imperfection de notre esprit qui nous fait admettre souvent qu'une cause est par soi dans le sens négatif, c'est-àlire sans cause. Mais quand nous arrivons à nous demander comment elle se conserve, nous nous trouvons forcés de concevoir qu'elle se conserve par soi positivement, c'est-à-dire comme par une cause, ou qu'elle est conservée par un être qui est luimême par soi positivement, ou comme sa propre cause à luimême. Or, si moi, qui suis une chose qui pense, je ne me connois pas la puissance de me conserver moi-même, je conclus que je suis par un autre, qui, ayant la force de me conserver, doit à plus forte raison se conserver lui-même, et qui par conséquent est par soi.

III. L'infini peut être, non pas embrassé, mais saisi du moins par la pensée; car entendre clairement qu'une chose ne peut avoir de limites, c'est avoir idée de l'infini, qu'il faut distinguer de l'indéfini ou des choses dont je n'aperçois pas la fin, bien qu'elles en aient une. Il ne faut pas distinguer en Dieu l'existence de l'essence, comme dans les autres objets; car il est le seul dont l'existence soit nécessaire. Les choses qui ne sont pas unies par leur nature, mais par une fiction de l'entendement, peuvent être désunies de la même manière, comme un lion existant, un triangle inscrit dans un carré; mais il n'en est pas ainsi de Dieu existant.

IV. La distinction qui existe entre l'esprit et le corps est réelle et non pas formelle.

SECONDES OBJECTIONS

RECUEILLIES PAR LE R. P. MERSENNE

I. C'est par une fiction que vous avez rejeté les apparences des corps; vous ne pouvez donc conclure de là qu'en réalité la pensée n'est pas le mouvement de quelque corps.

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