Page images
PDF
EPUB

Peut-être aura-t-on peine à croire qu'un ouvrage sur les mœurs nationales, où la satire personnelle n'a jamais trouvé d'accès, où la critique et l'éloge même ne se montrent que sous des traits généraux, où je puis affirmer que l'esprit de parti ne m'a jamais dicté une seule phrase; peut-être, dis-je, aura-t-on peine à croire qu'un pareil ouvrage ait pu me faire des ennemis, même de l'espèce de ceux que je me vantais tout-àl'heure de ne pas craindre? Rien n'est plus vrai, cependant; et je remarque, comme un trait caractéristique de l'époque où nous vivons, l'impudente naïveté avec laquelle des libellistes, rebut de la littérature et de la société, des dénonciateurs à gages dont l'espèce se multiplie si honteusement, confessent euxmême leur turpitude, en poussant contre moi des cris de fureur chaque fois qu'il m'arrive d'exposer un vice ou de signaler une bassesse. Sans avoir d'aussi bonnes raisons que La Bruyère pour me

consoler d'une semblable injustice, j'ai du moins la certitude qu'elle ne saurait m'atteindre dans l'esprit des honnêtes gens et des véritables hommes de lettres, dont le jugement finit toujours par former l'opinion publique.

Je n'ai rien à dire sur ce premier volume de l'Hermite de la Guiane, sinon que j'ai cherché à le rendre digne des honorables suffrages que les précédens ont obtenus : l'exécution typographique, qui a déjà mérité de justes éloges à l'éditeur de cette collection, a été plus particulièrement soignée dans ce nouveau volume, orné de deux gravures, où de l'avis des connaisseurs, la finesse du dessin, la vérité de l'expression, l'esprit et la grâce des détails, ne sauraient être portés plus loin dans un genre dont M. Desenne peut être regardé comme l'inven

teur.

DE LA GUIANE.

No Ier.

--

16 juillet 1815.

ARRIVÉE DE L'HERMITE DE LA GUIANE.

A MONSIEUR L'EDITEUR DE L'HERMITE DE LA chaussée-d'ANTIN

ET DU FRANC-PARLEUR.

Je suis, etc. aux premiers renseignemens que l'on a déjà obtenus.

Signé P. PIAUD.

MONSIEUR, j'avais accepté, dans une entreprise qui a pour objet de former la Galerie des Mœurs françaises, une tâche que j'ai remplie le moins mal qu'il m'a été possible; je n'ai plus les moyens, et je ne me sens plus le courage de la continuer. Quel tems, en effet, pour observer et pour peindre nos mœurs! La nation française n'a plus de physionomie; les convulsions de la souffrance ont si profondément altéré ses traits, si complètement déna

I.

turé son caractère, qu'elle est devenue tout-àfait méconnaissable. D'ailleurs je ne connais, tout Franc-Parleur que je suis, ni vérités bonnes à dire, ni vérités bonnes à entendre, au milieu de cinq ou six cent mille baïonnettes étrangères qui peuvent si facilement nous couper la parole. Je résigne donc, avec votre consentement, mes fonctions d'observateur entre les mains d'un homme que le hasard vous envoie, et qui semble qualifié tout exprès pour un pareil emploi, dans les circonstances où nous

nous trouvons.

Le corps politique est dangereusement malade; la faculté des journalistes, appelée à son aide, aggrave encore le mal : dans cette consultation de charlatans, les uns n'ont pour but que de se faire payer leurs visites, les autres, qui s'entendent avec les héritiers du mourant, se hâtent de ruiner, par des remèdes violens, sa faible constitution. Je suis du nombre de ceux qui ne comptent plus que sur une de ces crises salutaires que la nature amène quelquefois contre toute espérance et toutes probabilités. Je la désire trop pour ne pas craindre de la contrarier par des efforts dont je ne pourrais garantir que l'intention.

L'heure de la retraite a sonné pour moi; si j'étais forcé de rendre compte du parti que je prends, je me contenterais de citer un vers cé lèbre du Caton d'Addisson, dont la pensée affaiblie est qu'il y a telle circonstance où le poste de l'honneur est dans la vie la plus obscure. Agréez, je vous prie, etc.

Guillaume le Franc-Parleur.

Note de l'Éditeur. La lettre suivante, que Mme de Lorys a écrite à M. Guillaume, et dont celui-ci veut bien nous permettre de faire usage, servira d'introduction, auprès de nos lecteurs, au singulier personnage qui remplira désormais dans ce recueil la place que la retraite du Franc-Parleur y laisse vacante.

Lettre de madame de Lorys à M. Guillaume de Montliver.

Paris, 4 juillet 1815.

MONSIEUR, deux ans à peine écoulés depuis la perte que nous avons faite de notre vieil ami l'Hermite de la Chaussée d'Antin, ne l'ont point banni de votre mémoire, et sans doute yous

« PreviousContinue »