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faut bien se garder de le confondre avec les honneurs, qui signifient toute autre chose. Tel a beaucoup d'honneurs qui n'a pas du tout d'honneur.

» L'honneur des hommes et celui des femmes sont deux plantes d'espèces tout-à-fait différentes; l'une croît au soleil, l'autre ne fleurit qu'à l'ombre.

» NATURE. Le mot à la mode excelpar lence. C'est bien celui-là qui en dit plus qu'il n'est gros: il s'applique à tout, il répond à tout, il explique tout et tient lieu de tout; chacun le définit à sa manière : c'est une cause, c'est un effet, c'est un lieu, c'est une situation, c'est un bien, c'est un mal, c'est un instinct, un devoir, un sentiment; le plus souvent c'est une absurdité.

» Tel philosophe descend de la chaire où il vient de prêcher la nature, pour aller mettre ses enfans à l'hôpital; tel autre se ravale au-dessous de la nature pour nous prouver qu'il n'y a rien au-dessus. Celui-ci se fait centre de la nature; celui-là prétend qu'il en est le terme. — Les femmes du grand monde sont tellement enthou-. siastes des beautés de la nature, qu'elles ne leur préfèrent que le bal masqué, le mélodrame et

l'Opéra. — C'est sur-tout dans les arts brille

que

la nature : un peintre, un sculpteur, vous dit que ses figures sont nature; les poètes invoquent à tout moment la nature, les moralistes, les physiciens ne sortent pas de la nature, et chacun sait que les médecins et les acteurs sont presque toujours à côté de la nature.

» PATRIE. — Le lieu où l'on est né pour les 99 centièmes des hommes; la passion dominante de quelques pauvres diables dont on se moque dans le monde en les appelant les oies du Capitole. Il existe un peuple insulaire chez qui l'amour de la patrie est synonyme de fléau de

l'humanité.

» PRÉJUGÉ.

S'entend d'une manière différente, suivant qu'il s'applique aux hommes ou aux femmes. Un homme à préjugés est un homme armé de vieilles opinions qu'il oppose sans examen à des vérités nouvelles. Une femme à préjugés est presque toujours une femme attachée à ses devoirs. Il y a des préjugés appuyés sur des vertus; les gens qui les attaquent ne tirent pas toujours juste. Il faut l'adresse et le coupd'œil de Guillaume Tell pour enlever la pomme sans toucher l'enfant.

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» PRÉTENTIONS. Le plus innocent des mensonges, parce qu'il n'en impose à personne ; le plus dangereux des témoins, parce qu'il dépose toujours contre la personne en faveur de laquelle il parle. Les prétentions à la jeunesse donnent toujours à une femme quelques années de plus qu'elle n'en a. Valsain n'était qu'un homme ignorant; ses prétentions à l'esprit en ont fait un sot. Les prétentions à la naissance sont les plus ridicules, et pourtant les plus modestes de toutes.

>> RIDICULE.

Ce n'est pas un défaut; ce n'est pas un vice; ce n'est pas un crime : c'est bien pis.

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» SENTIMENT. Affection nervale. Madame telle a un sentiment. Ne vous découragez pas; on peut changer de sentiment; on peut même en avoir plusieurs à-la-fois. Il y a des femmes qui sont tout sentiment : comment se fait-il que les femmes à sentiment n'aiment pas les hommes à sentiment? C'est que le sentiment, chez les hommes, n'a pas le même siége, le même empire, la même expression.

» TALENT.

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Voyez Intrigue.

Quand une femme vous dit qu'un homme a de grands talens,

il est toujours mal-honnête de rire.

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VALEUR. Dans les revers,

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les poltrons l'appellent témérilé, extravagance. Montaigne: n'était pas de cet avis : Le vrai vaincre, dit-il, a pour son rôle le choc, et non pas le salut; et consiste l'honneur de la vertu à combattre, non à battre.

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» VÉRITÉ. Vieux mot exprimant une chose toute nouvelle. Antoine Perez disait que c'était pour savoir la vérité que les rois entretenaient des fous auprès d'eux depuis long-tems ils ne sont plus entourés que par des sages. - Vous. avez pour vous la force, j'ai pour moi la vérité : la lulle peut être longue, mais la victoire me restera. La violence est passagère, la vérité est éternelle. N'est-ce pas Massillon qui a dit cela?

» VIE.Grammaticalement parlant, jamais on n'a tant abusé de la vie. C'est après la nature le mot.dont nos poètes, et sur tout nos romanciers, font le plus d'usage : l'amour même a perdu de son crédit; ce n'est plus qu'une vie dans la vie. Je m'informe de la santé d'une jolie femme; elle me répond qu'elle porte légèrement la vie. Un bon bourgeois, à qui je demande si sa femine: est accouchée, me dit que depuis huit jours son enfant essaie la vie. Je parle du prix du tems à un jeune homme dissipé: il convient avec moi

qu'il éparpille sa vie. Une femme à sentiment, pour me donner une idée de l'état de son ame, me dit qu'elle se balance sur la vie, entre le passé qu'elle regrette et l'avenir qu'elle craint. Pour moi, sans être attaqué du spleen, je déclare que je suis las de la vie; je n'y entends plus rien, depuis qu'on la place dans le discours comme on la reçoit et comme on la donne, sans savoir ce qu'on fait. »

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