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c'est là, dans l'âge où l'on commence à sentir le prix de cet amour qu'aucun autre ne remplace, que je vis mourir, avant trente ans, celle de qui je tenais la vie, et dont la perte me fit connaître le premier sentiment douloureux, le seul que le tems n'ait pu détruire.....

La seule pièce du château qui n'eût souffert aucun changement était la salle de billard, blasonnée du haut en bas; on avait eu le soin, pendant les dix premières années de la révolution, d'en cacher les nobles murailles par une boiserie derrière laquelle se sont conservés ces précieux lambris, que le nouveau propriétaire remet au jour plus sottement, mais avec autant d'orgueil que ceux qui les ont fait peindre.

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Je ne suis pas de l'avis des Athéniens, je ne veux pas qu'on emploie les fonds destinés à la guerre, aux dépenses du théâtre, et je ne proposerais pas, comme eux, la peine de mort contre ceux qui, dans un cas urgent, hasarderaient la proposition contraire. A cela près, j'attache, je dois en convenir, un très-haut degré d'importance à notre situation dramatique, et j'entre dans une sainte colère contre les Welches qui cherchent à dégrader chez nous les deux muses de la scène, en les couyrant de tout cet oripeau

de fabrique étrangère que le bon goût doit prohiber.

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Depuis deux siècles, le Théâtre-Français n'a plus de rival; et, quoi qu'en disent les romantiques d'outre-Rhin et d'outre-mer, il faut bien qu'ils finissent par convenir que la scène sur laquelle on représente les chefs-d'œuvre des Corneille, des Molière, des Racine, des Voltaire, est préférable, à celle où se jouent les monstruosités de Shakespeare, d'Otway, de Lillo, les romans dialogués de Schiller et les rapsodies de Kotzebuë. Notre supériorité à cet égard est incontestable; cette partie de notre gloire nationale n'a reçu aucun échec : nous avons, par cela même, d'autant plus d'intérêt à la conserver. C'est dans cette vue, et dans ses différens rapports avec l'état actuel de la société, que j'examine aujourd'hui l'institution théâtrale, où je vois trois objets bien distincts: be théâtre (pris dans son acception la plus éten– due), les acteurs et les spectateurs.

Le théâtre n'est point une école de mœurs: il est tems d'en convenir, et tous les sophismes de d'Alembert, toute l'éloquence de Diderot, ne prévaudront pas, à cet égard, contre quel

pas

ques-unes des raisons du citoyen de Genève. Je conçois.qu'avec la meilleure volonté du monde on ait peine à saisir la morale de Georges Dundin, du Légataire universel, du Mariage de Figaro; et je ne vois pas pourquoi M. le chevalier de Mouhy n'aurait fait un roman moins ennuyeux sur le Danger des spectacles. En effet, il y a du danger là comme il y en a partout où l'on se rassemble, partout où l'on s'instruit, partout où l'on s'amuse; c'est-à-dire que les dispositions perverses y peuvent trouver des prétextes ou des occasions, comme les penchans honnêtes y peuvent trouver des modèles.

Le théâtre ne doit pas être une école de morale; je dirai plus : cette prétention, lorsqu'elle se fait remarquer, est un premier indice de la décadence de l'art. C'est un délassement qu'on vient chercher au spectacle: amuser, intéres ser, séduire, tel est l'objet de toute représentation théâtrale. Si quelques génies supérieurs ont atteint plus haut, c'est toujours sans y viser et sans y prétendre.

Je ne pense pas non plus, encore que j'aie entendu soutenir ce paradoxe avec beaucoup d'esprit et de talent, que le théâtre puisse être

regardé comme une galerie de tableaux où sont retracées fidèlement les mœurs des nations, aux différentes époques de leur histoire. Je ne vois que l'exemple des Grecs que l'on puisse appeler å l'appui d'un pareil système. Les représentations dramatiques étaient bien véritablement chez eux la peinture de leurs mœurs civiles, politiques et religieuses. Les Romains, qui se sont bornés à des traductions, ou tout au plus à de froides imitations de la scène grecque, n'ont laissé, dans ce qui nous reste de leur théâtre, aucun monument de leur histoire.

On en peut dire autant des théâtres modernes sans même en excepter celui des Français, où le costume et le caractère particuliers de l'époque sont presque toujours ce qu'on y rencontre le moins. Si l'on en excepte la comédie des Femmes Savantes, où la satire est tout-à-fait locale et per sonnelle, dans ses autres ouvrages, Molière s'est attaché à saisir les grands traits de la nature humaine; il a peint les vices, les préjugés, les ridicules de tous les tems; aussi a-t-il écrit pour tous les siècles; je ne pense pas qu'il y eût, de son tems, plus de misantropes, de tartufes, d'avares et de Georges Dandin qu'il n'y en a du nôtre. En

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