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à propos de pousser la plaisanterie plus loin; et sans égard aux sollicitations de Mme Dubourg, qui mé flattait de l'espoir d'entendre son Amélie jouer, à livre ouvert, un concerto de Steibelt (qu'elle étudiait depuis dix ans); de la voir danser un bollero avec accompagnement de castagnettes; sans faire attention au regard dédaigneusement courroucé que Mlle Amélie laissa tomber sur moi, je sortis de cette maison, moins fier de ma conquête que satisfait des observations que j'avais faites. Il y a des gens et des choses qu'il faut voir; l'imagination ne les devinerait pas.

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Tout ce qui s'offre à nous (à moins qu'il n'ait été

précédé de quelque chose plus extraordinaire) est en droit de nous plaire par sa nouveauté,

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je m'étais contenté d'intituler ce discours les jongleurs, on aurait pu exiger de moi que je traitasse un pareil sujet dans toute son étendue. Je me verrais dans la nécessité de parler de ces jongleurs politiques qui ont le secret de faire passer un royaume à travers un traité d'alliance sans le déchirer (c'est-à-dire sans déchirer le traité), qui placent une guinée sous chacun de leurs gobelets, et y font trouver une province; qui se tiennent en équilibre sur un seul pied au sommet d'une pyramide dont ils déplacent à volonté la base.

Je serais forcé de faire mention de ces jongleurs de tribune qui ont toujours un préjugé à mettre à la place d'une raison, et qui passent leur vie à souffler en l'air des bulles de savon qu'ils veulent nous faire prendre pour des étoiles.

Je ne pourrais me dispenser de vouer au ridicule et à l'opprobre ces jongleurs d'antichambre qui escamotent une place avec tant d'adresse, qui font passer d'une bourse dans l'autre l'argent des spectateurs, et qui dansent sans balancier sur la corde à laquelle ils finissent quelquefois par rester suspendus.

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Je serais nécessairement conduit à dire deux mots de ces jongleurs littéraires qui vendent au poids de l'or le papier qu'ils salissent; qui taillent une plume comme on aiguise un poignard, et qui parviennent quelquefois à achalander les drogues ou les poisons qu'ils débitent à l'aide des compères qu'ils ont soin de distribuer dans

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Mais je me suis expliqué: c'est uniquement des jongleurs de profession qu'il s'agit, et particulièrement des jongleurs indiens, près desquels nos Comus, nos Pinetti, nos Olivier, ne sont que des écoliers mal-adroits.

Pendant un séjour de plusieurs années sur les bords du Gange, j'ai eu souvent occasion de voir et d'admirer la prodigieuse adresse d'une classe d'hommes que l'on serait tenté de croire organisés, à certains égards, d'une manière beaucoup plus parfaite que les autres, tant il est difficile d'expliquer comment, avec les mêmes organes, ils peuvent exécuter des mouvemens et des actions qui semblent appartenir à une autre nature. L'habileté des jongleurs de l'Inde ne consiste pas, comme celle de leurs confrères d'Europe, à fasciner les yeux par des apparences, mais à produiré, sans aucun prestige, des effets dont il est impossible de se rendre compte par les lois physiques dont les moyens d'exécution nous sont les plus familiers. Avant d'en venir aux jongleurs indiens que l'on voit en ce mo ment à Paris, et du ́ talent desquels je me suis assuré par mes yeux, je veux faire connaître l'espèce entière à mes lecteurs. Il me suffira pour cela de citer quelques fragmens d'un chapitre du journal de mes voyages.

«Les jongleurs se divisent en quatre classes: les caradisis (joueurs de gobelets); les tombairs (faiseurs de tours de force); les chottis (lut

teurs), et les pambatis (enchanteurs de serpens). Ces différentes troupes (composées pour l'ordinaire de cinq acteurs, en comptant le musicien qui en fait partie) se réunissent dans les grandes villes, à certaines fêtes solennelles. Plus de cent mille étrangers sont accourus cette année (1790) à Bénarès, de toutes les parties de l'Indoustan, pour y voir la bande de jongleurs la plus nombreuse et la plus étonnante que la fête de la Dourga ait encore attirée. J'assistai hier à leurs jeux, qui tiennent véritablement du prodige.

» Les caradivis parurent les premiers sur une estrade carrée qne l'on avait élevée au milieu de la place qui sert de parvis à la grande pagode. Leurs tours de gobelets sont à peu près les mêmes qu'exécutent les escamoteurs européens; mais ils exigent plus d'adresse, parce que les caradivis sont presque nus, n'ont point de gibecière, point de table, et se servent de gobelets de cuivre d'une dimension très-petite,

* Dourga ou Drugha, divinité indienne, femme de Sieble le destructeur, et déesse de la volupté: sa fète se célèbre le septième jour de la lune de septembre, et dure une semaine entière.

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