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les donneurs de conseils en titre d'office indiquaient aux auteurs des changemens, sans s'apercevoir qu'ils leur proposaient de refaire un autre ouvrage, j'étais assis dans un coin du salon avec mon ami Binôme, qui triomphait des aveux qu'il arrachait à ma franchise. « Il nous reste un point à examiner, me dit-il; c'est celui des mœurs, prises dans le sens de la morale publique. Si j'en faisais ici l'objet d'une discussion en règle, vous me diriez avec Boccace:

Reservate questo per la predica ;

mais je continue à vous citer des faits, à vous offrir des preuves, et je vous laisse le soin d'en tirer les conséquences.

» N'est-il pas vrai qu'une cinquantaine de personnes, prises au hasard dans les classes supérieure et moyenne de la société, peuvent donner une idée assez exacte de la société même, et que si, dans ce petit nombre de personnes, je vous en montre plusieurs qui se distinguent par les plus hautes vertus, par les plus excellentes qualités du cœur, je serai en droit, en ma qualité de philosophe mathématicien, d'établir une règle de proportion dont on ne pourra

me contester le résultat que par de vaines déclamations, auxquelles je ne sais jamais répondre ?

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Maintenant je ne suis embarrassé que du choix. Vous avez entendu nommer celui qui parle en ce moment à Mme de Lorys, et son nom vous a révélé son rang et son titre. Aucun Français n'a plus à se plaindre et ne serait plus excusable de chercher à se venger de la révolution. Renversé par elle du faîte des honneurs, dépouillé d'une fortune immense, traîné de prison en prison, et, pour ainsi dire, d'échafaud en échafaud, non-seulement contre toute justice, mais contre les lois cruelles que ses persécuteurs avaient faites, et dont il invoquait en vain la terrible protection; cet homme, plus noble encore par son ame que par sa naissance est aujourd'hui un des plus fermes appuis de cette liberté nationale, de ces principes libéraux dont on a si affreusement abusé contre lui.

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>> Je ne vous citerai pas Mme de Lorys ellemême vous connaissez son dévouement à ses amis, son inépuisable bonté; mais vous ignorerez toujours la noblesse et la grandeur des sacrifices qu'elle s'impose, et dont elle n'a jamais que Dieu pour témoin.

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» Cette dame, assise près de la cheminée, dont l'air est si triste et les manières si affectueuses, était depuis long-tems séparée de son mari par le plus insurmontable des obstacles celui des opinions politiques. Tant qu'il fut heureux et puissant, aucun motif ne put la déterminer à se rapprocher de lui. Le sort de son époux changea: un orage de calamités fondit sur sa tête; il n'avait plus à offrir que le partage de ses maux; son épouse se hâta de le réclamer: aucune considération ne l'arrêta, aucun danger ne la retint; sa fortune, ses espérances, ses principes ( qu'elle pouvait regarder comme ses devoirs), tout fut sacrifié, sans ostentation, sans réserve, et malheureusement sans succès

>> Je pourrais vous montrer ici plusieurs autres modèles d'un semblable dévouement; mais j'oublierais peut-être de vous faire connaître ce jeune militaire qui porte son bras en écharpe. Il a servi avec beaucoup de distinction; il est aujourd'hui sans emploi. On lui a offert, dans l'étranger, un rang, une fortune, un grade supérieur à celui qu'il avait en France. Il a tout refusé; il se doit à sa patrie et à son prince, et

ne connaît de gloire que celle que l'on acquiert en les servant tous deux.

» Je ne vous parle pas de vertus plus communes, d'amour maternel, de piété filiale, de désintéressement, de reconnaissance; il n'est peut-être pas un individu dans cette société qui ne pût en fournir un exemple; mais je veux indiquer à vos respects, à votre vénération.... »

Mme de Lorys vint nous interrompre. Elle avait besoin de notre Encyclopédiste pour sa partie de reversi. « De grâce, lui dis-je, laissez-le-moi, il me donne des consolations. - Je parie, ajouta-t-elle en l'emmenant, qu'il a oublié de vous parler du grand consolateur? Du tems, allez-vous me dire? Non pas, mon cher Hermite, du jeu.

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JE lisais dernièrement, dans les Petites-Affiches, l'avis suivant :

«<< Une dame de naissance, à qui les malheurs du tems ont enlevé une fortune considérable, mais pour qui la bonne compagnie est un besoin de première nécessité, désire augmenter le nombre des pensionnaires qu'elle réunit à sa table : une nourriture saine et abondante, un logement élégant et commode, et tous les agrémens qui résultent d'une société choisie, tels sont les avantages que l'on offre en échange d'une

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