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J'étais bien tenté de borner là le cours de mes visites, dont je n'apercevais encore ni le but, ni l'utilité; le nom de Laxeuil, que je trouvai sur ma liste, en me rappelant celui d'un magistrat dont la réputation héréditaire avait traversé sans tache les années orageuses de notre longue révolution, me décida sans peine à remplir envers lui une formalité qui pourrait fort bien n'être qu'un abus.

Je me fis conduire chez ce magistrat : il ha¬ bite une petite maison dans l'île Saint-Louis, dont l'extérieur décent prévient en faveur de l'ordre et de l'aisance de celui qui l'occupe. Au coup de sifflet du portier; un domestique vint me recevoir, et me conduisit dans une salle du rez-de-chaussée, où M. de Laxeuil déjeûnait en famille il tenait sur ses genoux un enfant de cinq ans auquel il s'amusait à faire épeler le frontispice d'un Télémaque; une de ses filles, âgée de douze ou treize ans, dessinait dans l'embrasure d'une croisée, et Mme de Laxeuil faisait à sa belle-mère, infirme, la lecture d'un journal.

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Ce magistrat, dont la gravité n'a rien d'austère, me reçut avec une politesse froide, la seule qu'on soit en droit d'exiger de l'homme

en place qui ne vous connaît pas; il remit son fils à sa gouvernante, et me pria de passer dans son cabinet; tout y inspirait le respect et la confiance une antique bibliothèque en garnissait le pourtour; sur la cheminée, un buste en bronze du chancelier de Lhôpital servait de pendant à celui de d'Aguesseau; un beau portrait de Mathieu Molé se trouvait en regard avec celui de M. de Malesherbes. Des Mémoires de parties, des rapports, plusieurs dossiers étiquetés avec soin, étaient rangés sur un vaste bureau placé au milieu du cabinet.

M. de Laxeuil me parla de mon affaire avec autant de précision que de clarté; et, sans me laisser même entrevoir son opinion, il me dit en souriant que le nom de mon adversaire était de bon augure pour ma cause. En me recondui ́sant jusqu'à la porte extérieure, par un excès de civilité dont j'étais redevable à mon âge, il s'éleva poliment contre cette coutume abusive des visites en matière de procédure, dont la séduction, en dernière analyse, était toujours le motif, quelquefois même à l'insu de ceux dont elle dirigeait les démarches.

La leçon ne fut point perdue; j'achevai de

payer mon tribut à l'usage, en me faisant écrire chez ceux de mes juges à qui j'évitai l'ennui de ma visite; et, tranquille autant qu'on peut l'être en se reposant sur son bon droit, j'attendis mon jugement.

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Quid est suavius quàm benè rem gerere bono publico!
PLAUTE, les Captifs, acte III, sc. 2.

Quoi de plus honorable que de bien s'acquitter d un devoir qui tend à l'utilité publique !

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La révolution a produit bien des maux : elle a causé de grands ravages, de grands malheurs,' de grandes injustices; tout le monde en convient la révolution a déraciné de honteux préjugés, d'intolérables abus; elle a amené des réformes indispensables, et fondé des institutions utiles : voilà ce qu'on ne saurait nier, et ce dont il importe de convaincre des hommes dont la mémoire est sujette à tromper le jugement, et qui s'arment trop souvent des regrets du passé contre les espérances de l'avenir.

Au premier rang de ces institutions utiles fondées au sein de nos orages politiques, comme

le nid de l'alcyon au milieu des vagues, il faut compter l'établissement de la Garde nationale. Rien de plus noble dans son but, de plus géné reux dans son exécution, que cette association volontaire des habitans d'une même ville, où chacun, tour-à-tour soldat et citoyen, veille pour le repos de tous, et s'endort le lendemain dans une sécurité dont il trouve à son tour la garantie dans la vigilance des autres.

Je conçois tout ce qu'un pareil état de choses doit avoir eu de pénible, dans le principe, pour cette classe de Parisiens à qui il en coûte tant de se désheurer, comme dit le cardinal de Retz; qui, totalement étrangers à la discipline militaire, n'avaient jamais reçu d'ordres que de leurs femmes, et dont la pendule réglait invariablement les pacifiques habitudes; mais, d'un autre côté, j'ai vécu si long-tems parmi les nations sauvages, pour qui le mot patrie est synonyme de famille, où les charges et les bénéfices de la société sont si également répartis, où l'intérêt de l'individu est si étroitement lié à l'intérêt de la peuplade, que je n'estime peutêtre pas assez les avantages de cette civilisation européenne à laquelle nous devons ces armées

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