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Oh! que Gail l'entend bien mieux! il ne s'est jamais trompé, jamais fourvoyé de la sorte, jamais n'eut la pensée d'apprendre ce qu'il est chargé d'enseigner. Certes un homme comme Gail doit rire dans sa barbe, quand il touche cinq ou six traitements de savants, et voit les savants se morfondre.

Messieurs, voilà ce que c'est que l'esprit de conduite. Aussi, avoir donné le fouet jadis à un duc et pair, il faut en convenir, cela aide bien un homme, cela vous pousse furieusement, et comme dit le poète,

Ce chemin aux honneurs a conduit de tout temps.

Le pédant de Charles-Quint devint pape; celui de Charles-Neuf fut grand aumônier de France. Mais tous deux savaient lire; au lieu que Gail ne sait rien, et même est connu de tout le monde pour ne rien savoir, d'autant plus admirable dans les succès qu'il a obtenus comme

savant.

Vous n'ignorez pas combien sont désintéressés les éloges que je lui donne. Je n'ai nulle raison de le flatter, et suis tout-à-fait étranger à ce doux commerce de louanges que vous pratiquez entre vous. M. Gail ne m'est rien, ni ami, ni ennemi, ne me sera jamais rien, et ne peut de sa vie me servir ni me nuire. Ainsi le pur amour du grec m'engage à célébrer en lui le premier de nos hellénistes, j'entends le plus considérable par ses grades littéraires. Le public, je le sais, lui rend assez de justice; mais on ne le connaît pas encore. Moi, je le juge sans prévention,

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et je vois peu de gens qui soient de son mérite, même parmi vous, Messieurs. En Allemagne, où vous savez que tout genre d'érudition fleurit, je ne vois rien de pareil, rien même d'approchant. Là, les places académiques sont toutes données à des hommes qui ont fait preuve de savoir. Là, Coraï serait président de l'Académie des inscriptions, Haase garde des manuscrits, quelque autre aurait la chaire de grec, et Gail... qu'en ferait-on? Je ne sais, tant l'industrie qui le distingue est peu prisée en ce pays-là. Ces gens, à ce qu'il paraît, grossiers, ne reconnaissent qu'un droit aux emplois littéraires, la capacité de les remplir, qui chez nous est une exclusion.

Ce que j'en dis toutefois ne se rapporte qu'à votre Académie, Messieurs, celle des Inscriptions et Belles-Lettres. Les autres peuvent avoir des maximes différentes. Et je n'ai garde d'assurer qu'à l'Académie des Sciences un candidat fût refusé, uniquement parce qu'il serait bon naturaliste ou mathématicien profond. J'entends dire qu'on y est peu sévère sur les billets de confession, et un de mes amis y fut reçu l'an passé, sans même qu'on lui demandat s'il avait fait ses Pâques, scandales qui n'ont point lieu chez vous.

Mais, Messieurs, me voilà bien loin du sujet de ma lettre. J'oublie, en vous parlant, ce que je viens vous dire, et le plaisir de vous entretenir me détourne de mon objet. Je voulais répondre aux méchantes plaisanteries de ce journal qui dit que je me suis présenté, que je me présente actuellement, et que je me présenterai encore pour être reçu parmi

vous. Dans ces trois assertions, il y a une vérité, c'est que je me suis présenté, mais une fois sans plus, Messieurs. Je n'ai fait, pour être des vôtres, que quarante visites seulement, et quatre-vingts révérences, à raison de deux par visite. Ce n'est rien pour un aspirant aux emplois académiques; mais c'est beaucoup pour moi, naturellement peu souple et neuf à cet exercice. Je n'en suis pas encore bien remis. Mais je suis guéri de l'ambition, et je vous proteste, Messieurs, que même assuré de réussir, je ne recommencerais pas.

Quant à ce qu'il ajoute touchant les principes de ceux que vous avez élus, principes qu'il dit être connus, cette phrase tendant à insinuer que les miens ne sont pas connus, me cause de l'inquiétude. Si jamais vous réussissez à établir en France la Sainte-Inquisition, comme on dit que vous y pensez, je ne voudrais pas que l'on pût me reprocher quelque jour d'avoir laissé sans réponse un propos de cette nature. Sur cela donc j'ai à vous dire que mes principes sont connus de ceux qui me connaissent, et j'en pourrais demeurer lå. Mais, afin qu'on ne m'en parle plus, je vais les exposer en peu de mots.

Mes principes sont, qu'entre deux points la ligne droite est la plus courte, que le tout est plus grand que sa partie que deux quantités, égales chacune à une troisième, sont égales entre elles.

Je tiens aussi que deux et deux font quatre; mais je n'en suis pas sûr.

Voilà mes principes, Messieurs, dans lesquels j'ai été

élevé, grâce à Dieu, et dans lesquels je veux vivre et mourir. Si vous me demandez d'autres éclaircissements (car on peut dire qu'il y a différents principes en différentes matières, comme principes de grammaire; il ne s'agit pas de ceux-là, ces Messieurs ne sachant, dit-on, ni grec, ni latin; principes de religion, de morale, de politique), je vous satisferai là-dessus avec la même sincérité.

Mes principes religieux sont ceux de ma nourrice, morte chrétienne et catholique, sans aucun soupçon d'hérésie. La foi du centenier, la foi du charbonnier sont passées en proverbe. Je suis soldat et bûcheron, c'est comme charbonnier. Si quelqu'un me chicane sur mon orthodoxie, j'en appelle au futur Concile.

Mes principes de morale sont tous renfermés dans cette règle Ne point faire à autrui ce que je ne voudrais pas qui me fût fait.

et

Quant à mes principes politiques, c'est un symbole dont les articles sont sujets à controverse. Si j'entreprenais de les déduire, je pourrais mal m'en acquitter, vous donner lieu de me confondre avec des gens qui ne sont pas dans mes sentiments. J'aime mieux vous dire en un mot ce qui me distingue, me sépare de tous les partis, et fait de moi un homme rare dans le siècle où nous sommes ; c'est que je ne veux point être roi, et que j'évite soigneusement tout ce qui pourrait me mener là.

Ces explications sont tardives et peuvent paraître superflues, puisque je renonce à l'honneur d'être admis parmi vous, Messieurs, et que sans doute vous n'avez pas

plus d'envie de me recevoir que je n'en ai d'être reçu dans aucun corps littéraire. Cependant je ne suis pas fâché de désabuser quelques personnes qui auraient pu croire, sur la foi de ce journaliste, que je m'obstinais, comme tant d'autres, à vouloir vaincre vos refus par mes importunités. Il n'en est rien, je vous assure. Je reconnais ingénument que Dieu ne m'a point fait pour être de l'Académie, et que je fus mal conseillé de m'y présenter une fois.

Paris, le 20 mars 1819.

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