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Enfin, voici une lettre de M. Akerblad, qui montre assez en quel temps je vis ce manuscrit pour la première fois :

Je me rappelle effectivement qu'il y a trois ans » nous allâmes ensemble voir la bibliothèque de l'ab» baye de Florence, où, entre autres manuscrits, on >> nous montra celui qui contient le roman de Longus, » avec plusieurs autres érotiques grecs. Je me souviens >> très-bien aussi que, pendant que j'étais occupé à » parcourir le catalogue de ces manuscrits, dont les >> plus beaux ont disparu depuis, vous vous arrêtâtes as>> sez long-temps à feuilleter celui de Longus, le même >> qui vous a fourni l'intéressant fragment que vous ve» nez de publier. »

Ainsi bien avant que ce manuscrit passât dans la bibliothèque de Saint-Laurent de Florence, je l'avais vu à l'abbaye; je savais qu'il était complet, je l'avais dit ou écrit à tous ceux que cela pouvait intéresser. Depuis, dans la bibliothèque, M. Furia me montra ce livre que je lui demandais, et que je connaissais mieux que lui, sans l'avoir tenu si long-temps, et moi je lui montrai

>> dans les manuscrits de Florence un texte complet de Longus, me >> fut annoncé par vous dès les premiers moments de votre arrivée » ici, et j'en parlai à quelques amis qui n'en peuvent avoir perdu >> le souvenir. Nous parlames aussi de traduire le supplément en » italien; à quoi je m'obligeai envers vous par une promesse fondée » sur l'amitié qui nous unit tous deux. Ainsi, ce ne fut pas sans beaucoup d'étonnement que je vis depuis l'étrange folie et le ba

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» vardage de M. Furia, qui, dans sa brochure, prétendait avoir » part à cette découverte. >>

dans ce livre ce qu'il n'avait pas vu en six ans qu'il a passés à le décrire et en extraire des sottises. On voit parlà clairement que tout le récit de M. Furia, et les pe tites circonstances dont il l'a chargé pour montrer que le hasard nous fit faire à tous deux ensemble cette découverte, qu'il appelle commune, sont autant de faussetés. Or, si, dans un fait si notoire, M. Furia en impose avec cette effronterie, qu'on juge de sa bonne foi dans les choses qu'il affirme comme unique témoin; car, à ce mensonge, assez indifférent en lui-même, il joint d'autres impostures, dont assurément la plus innocente mériterait cent coups de bâton. C'était bien sur quoi il comptait pour être un peu à son aise, comme l'huissier des plaideurs. J'aurais pu donner dans ce piége il y a vingt ans; mais au jourd'hui je connais ces ruses, et je lui conseille de s'adresser ailleurs. J'ai très-bien pu, par distraction, faire choir sur le bouquin la bouteille à l'encre; mais frappant sur le pédant, je n'aurais pas la même excuse, et je sais ce qu'il m'en coûterait.

Depuis l'article inséré dans la gazette de Florence, par lequel vous annonciez une édition du supplément et de l'ouvrage entier, j'étais en pleine possession de ma découverte, et plus intéressé que personne à sa conservation. Tout le monde savait que j'avais trouvé ce fragment de Longus, que j'allais le traduire et l'imprimer; ainsi mon privilége, mon droit de découverte étaient assurés: on ne saurait imaginer que j'aie fait exprès la tache au manuscrit, pour m'approprier ce morceau inédit qui

était à moi. C'est néanmoins ce que prétend M. Furia: cette tache fut faite, dit-il, pour le priver de sa part à la petite trouvaille (vous voyez, par ce qui précède, à quoi cette part se réduit), et afin de l'empêcher, lui ou quelqu'autre aussi capable, d'en donner une édition. Cela est prouvé, selon lui, par le refus de la copie.

Ce discours ne peut trouver de créance qu'auprès de ceux qui n'ont nulle idée d'un pareil travail; car qui eût pu l'entreprendre à Florence, quand même votre annonce n'eût pas appris au public et la découverte et à qui elle appartenait? Ne m'en croyez pas, Monsieur; consultez les savants de votre connaissance, et tous vous diront qu'il n'y avait personne à Florence en état de donner une édition supportable de ce texte d'après un seul manuscrit. Il faut pour cela une connaissance de la langue grecque, non pas fort extraordinaire, mais fort supérieure à ce qu'en savent les professeurs Florentins.

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En effet, concevez, Monsieur, huit pages sans points ni virgules, partout des mots estropiés, transposés, omis, ajoutés, les gloses confondues avec le texte, des phrases entières altérées par l'ignorance, et plus souvent par impertinentes corrections du copiste. Pour débrouiller ce chaos, Schrevelius donne peu de lumière à qui ne connaît que les Fables d'Ésope. Je ne puis me flatter d'y avoir complètement réussi, manquant de tous les secours né→ cessaires; mais hors un ou deux endroits, que ceux qui ont des livres corrigeront aisément, j'ai mis le tout au point que M. Furia lui-même, avec ma traduction et son

Schrevelius, suivrait maintenant sans peine le sens de l'auteur d'un bout à l'autre. Tout cela se pouvait faire par d'autres que moi, et mieux, à Venise ou à Milan, mais non à Florence.

Les Florentins ont de l'esprit, mais ils savent peu de grec: et je crois qu'il ne s'en soucient guère: il y a parmi eux beaucoup de gens de mérite, fort instruits et fort aimables; ils parlent admirablement la plus belle des langues vivantes: avec cela on se passe aisément du grec.

Quelle préface aurait pu, je vous prie, mettre à ce fragment M. Furia, s'il en eût été l'éditeur? il aurait fallu qu'il dit: Dans le long travail que j'ai fait sur ce manuscrit, dont j'ai extrait des choses si peu intéressantes, j'ai oublié de dire que l'ouvrage de Longus s'y trouvait complet; on vient de m'en faire apercevoir. Et là dessus, il aurait cité votre article de la gazette. Vous voyez, Monsieur, par combien de raisons j'avais peu à craindre que ni lui ni personne songeât à me troubler dans la possession du bienheureux fragment. J'en ai refusé à M. Furia, non une copie quelconque, qui lui était inutile comme bibliothécaire, mais une certaine copie dont il voulait abuser comme mon ennemi déclaré; et l'abus qu'il en voulait faire n'était pas de la publier, car il ne le pouvait en aucune façon; mais de l'altérer, pour jeter dudoute sur ce que j'allais publier. Tout cela est, je pense, assez clair.

Mais si l'on veut absolument que, contre mon intérêt visible, j'aie mutilé ce morceau, que je venais de détenir

et dont j'étais maître, pour consoler apparemment M. Furia du petit chagrin que lui causait cette découverte, encore faudrait-il avouer que les adorateurs de Longus me doivent bien moins de reproches que de remerciements. Si ce texte est si sacré, pour l'avoir complété je mérite des statues. La tache qui en détruit quelques mots dans le manuscrit ne saurait être un crime d'état, que la restauration du tout dans les imprimés ne soit un bienfait public: mais si tout l'ouvrage, comme le pensent des gens bien sensés, n'est en soi qu'une fadaise, qu'est-ce donc que ce pâté, dont on fait tant de bruit? En bonne foi, le procès de Figaro, qui roulait aussi sur un pâté d'encre, et la cause de l'Intimé, sont, au prix de ceci, des affaires graves.

texte

Et quand il serait vrai, que par pure folie,
J'aurais exprès gâté le tout ou bien partie
Dudit fragment, qu'on mette en compensation
Ce que nous avons fait depuis cette action,

et l'édition du supplément qui se distribue gratis, et celle du livre entier donnée aux savants, et enfin cette traduction dont vous rendez compte, qui certes éclaircit plus le que la tache ne l'obscurcit. On ne vous soupçonnera pas, Monsieur, de partialité pour moi. Vous trouvez que j'ai complété la version d'Amyot si habilement, ditesvous, qu'on n'aperçoit point trop de disparate entre ce qui est de lui et ce que j'y ai ajouté, et vous avouez que cette tache était difficile. Je ne suis pas ici en termes de

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