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Français, mais comme hérétiques (1). Ces messieurs disent bien ici quelque chose d'approchant; mais je vous assure qu'ils déguisent fort peu les vrais motifs de leur haine; tout le monde en est instruit. Mon premier crime a été de découvrir leur ignorance, mais cela seul n'eût été rien; car s'ils persécutaient tous ceux qui en savent plus qu'eux à qui pourraient-ils pardonner? le second, qui me rend indigne de toute grâce, c'est que je ne prononce pas comme eux le mot ciceri (2). C'est là une sorte de péché originel que rien ne peut effacer.

Si j'avais le moindre crédit, le moindre petit emploi, quelque gain à leur promettre, quelques bribes à leur jeter, ils seraient tous à mes pieds et imagineraient autant de bassesses pour me faire la cour, qu'ils inventent aujourd'hui de calomnies pour me nuire. Soyez assuré, Monsieur, qu'avant de se décider à m'entreprendre, comme on dit, ils se sont bien informés si je n'avais point quelque appui, et comme ils ont appris que je ne tenais à rien, que je vivais seul avec quelques amis aussi obscurs que moi, que je me tenais

(1) Les Espagnols, dans la Floride, firent pendre et brûler les Français protestants, avec cet écriteau : Non comme Français, mais comme hérétiques; à quoi les flibustiers, depuis, répondirent en massacrant les Espagnols: Non comme Espagnols, mais comme assassins.

(2) Ceci fait allusion aux Vêpres Siciliennes, où, pour connaître les Français, on les obligeait de dire ce mot. Ceux qui ne le prononçaient pas bien étaient massacrés.

loin des grands, et qu'aucun homme en place ne s'intéressait à moi, ils m'ont déclaré la guerre. Avouez que ce sont d'habiles gens; car que ces bons Espagnols fissent un auto-da-fé des Français dans la Floride, c'était quelque chose assurément, il y avait là de quoi louer Dieu; mais si on pouvait faire brûler un Français par les Français mêmes, quel triomphe, quelle allégresse! Je vois ici des gens qui lisent cette triste rapsodie de Furia contre moi: Son style est mauvais, disent-ils, son intention est bonne.

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La découverte que j'ai faite dans le manuscrit n'est rien, au dire de ces messieurs; c'est la plus petite chose qu'on pût jamais trouver; mais le mal que j'ai fait est immense. Entendez bien ceci, Monsieur : le fragment tout entier n'est rien, mais quelques mots de ce fragment, effacés par malheur, font une perte immense, même alors que tout est imprimé. M. Furia a étendu cette perte le plus qu'il a pu, puisque la tache est aujourd'hui double au moins de celle que j'ai faite, si le dessin qu'en a publié M. Furia est exact. Il l'a augmentée à ce point, afin de pouvoir dire qu'elle était immense; car il accommode non l'épithète à la chose, mais la chose à l'épithète qu'il veut employer. Avec tout cela, il s'en faut que le dommage soit immense, et quand j'aurais noyé dans l'encre tous ses vieux bouquins et lui, le mal serait encore petit. Cependant cette découverte, toute méprisable qu'elle est, M. Furia entend qu'elle nous soit commune, ou,

pour mieux dire, il y consent; car on voit bien d'ailleurs qu'elle lui appartient toute, puisque c'est lui, ditil, qui m'a fait connaître, montré, déchiffré ce manuscrit, que sans lui apparemment je n'aurais pu ni trouver ni lire. C'est là, au vrai, le but principal de son libelle, et à quoi tendent tous les détails par lui inventés, dont son récit est rempli. Sans y mettre beaucoup d'art, il a trouvé ses lecteurs disposés à le croire et à lui adjuger la moitié de cet honneur; car tout pour un seul, ce serait trop.

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Que de haines accompagnent la renommée! qu'il est difficile d'échapper à l'oubli et à l'envie! De tous les chemins qui mènent au temple de Mémoire, j'ai suivi le plus obscur huit pages de grec font toute ma gloire, et voilà qu'on me les dispute! M. Furia en veut sa part ; il crie dans les gazettes, il arrange, il imprime un tissu de mensonges pour arriver à ce mot: Notre commune découverte. Vous, Monsieur, vous voyez la fourbe, et bien loin de la découvrir, vous tâchez d'en profiter pour vous glisser entre nous deux. Vous semblez dire à chacun de nous: Souffre qu'au moins je sois ton ombre. Furia y consentirait; mais moi, je suis intraitable : je veux aller tout seul à la postérité.

La gloire aujourd'hui est très-rare: on ne le croirait jamais; dans ce siècle de lumières et de triomphes, il n'y a pas deux hommes assurés de laisser un nom. Quant à moi, si j'ai complété le texte de Longus, tant qu'on lira du grec, il y aura toujours quatre ou cinq

hellénistes qui sauront que j'ai existé. Dans mille ans d'ici, quelque savant prouvera, par une dissertation, que je m'appelais Paul-Louis, né en tel lieu, telle année, mort tel jour de l'an de grâce..... sans qu'on en ait jamais rien su, et pour cette belle découverte, il sera de l'académie. Tâchons donc de montrer que je suis le vrai, le seul restaurateur du livre mutilé de Longus la chose en vaut la peine; il n'y va de rien moins que de l'immortalité.

Vous savez,

Monsieur, ce qui en est, quoique vous n'en disiez rien, et M. Clavier le sait aussi, à qui j'écri vis de Milan ces propres paroles :

Milan, le 13 octobre 1809.

« Envoyez-moi vite, Monsieur, vos commissions » grecques; je serai à Florence un mois, à Rome tout » l'hiver, et je vous rendrai bon compte des manuscrits » de Pausanias. Il n'y a bouquin en Italie où je ne >> veuille perdre la vue pour l'amour de vous et du grec. » Je fouillerai aussi pour mon compte dans les manus>> crits de l'abbaye de Florence. Il y avait là du bon » pour vous et pour moi, dans une centaine de volu» mes du neuvième et du dixième siècles; il en reste ce » qui n'a pas été vendu par les moines peut-être y >> trouverai-je votre affaire. Avec le Chariton de Dorville » est un Longus que je crois entier; du moins n'y ai-je >> point vu de lacune quand je l'examinai; mais, en vé– » rité, il faut être sorcier pour le lire. J'espère pourtant

>> en venir à bout, à grand renfort de bésicles, comme » dit maître François. C'est vraiment dommage que ce >> petit roman d'une si jolie invention, qui, traduit dans >> toutes les langues, plaît à toutes les nations, soit dans >> l'état où nous le voyons. Si je pouvais vous l'offrir com>> plet, je croirais mes courses bien employées, et mon » nom assez recommandé aux Grecs présents et futurs. » Il me faut peu de gloire; c'est assez pour moi qu'on >> sache quelque jour que j'ai partagé vos études et votre >> amitié.... >>

M. Lamberti lut cette lettre, où il était question de lui, et me promit dès-lors de traduire le supplément, comme il pouvait faire mieux que personne. Il se rappelle très bien toutes ces circonstances, et voici ce qu'il m'en écrit :

Della speranza che avevate di scoprire nel codice Fiorentino il frammento di Longo Sofista, voimiparlaste sino dai primi momenti del vostro arrivo in Milano. Questa cosa fu me in quel tempo ancor detta ad alcuni amici, che non possono averne la rimenbranza. Si parlò ancora della traduzione italiana che sarebbe stato bene di farne, quando non fossero riuscite vone le sparanze della scoperta; ed io, per l'infinita amicizia chi vi professo, mi vi obligai con solenne promessa per un tale lavoro. A gran ragione adunque mi dovettero sorprendere le ciancie del signor Furia, che nel suo scritto si voleva far credere come cooperatore e partecipe di quello scoprimento..... (1).

(1) C'est-à-dire en français : « L'espoir que vous aviez de trouver

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