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SUR LA VIE ET LES ÉCRITS

DE PAUL-LOUIS COURIER.

COURIER (Paul-Louis), né en 1773, à Paris, mort assassiné à Véretz en 1825, a été sans contredit l'un des écrivains les plus remarquables de son temps; et quoiqu'il n'ait pas été l'un des moins remarqués, on doit avouer cependant que ́sa réputation est restée jusqu'ici au-dessous de son immense mérite. Cela vient sans doute de ce que, sur les matières toutes sérieuses qui l'ont occupé, Courier ne composa jamais aucun ouvrage considérable, aucun traité ex professo, mais seulement des opuscules en littérature, en politique des pamphlets. Pour que l'écrivain soit remis à sa place, que faut-il? réunir ces pamphlets et ces opuscules, et en donner un recueil complet. Quant à l'homme, au citoyen, il n'a pas besoin non plus d'autre chose pour être apprécié ce qu'il valait. Si nous faisons précéder le recueil des écrits de Courier de quelques lignes d'introduction, c'est

donc bien moins pour essayer son éloge, absolument inutile à qui les lira, que pour apprendre au lecteur à quelle occasion chacun de ces écrits fut publié. L'histoire de leur publication est en même temps celle de sa vie; l'histoire de sa vie, le plus beau panégyrique de son caractère.

Fils de Jean-Paul Courier, propriétaire du fief de Méré, en Touraine, Paul-Louis fut baptisé sous ce nom de terre, qu'il ne porta jamais, de peur qu'on ne le crût gentilhomme. Son père, homme d'esprit et d'un esprit cultivé, dirigea lui-même son éducation, et sans autre maître, le jeune Courier savait déjà le grec à l'âge de quinze ans. Il étudia aussi les mathématiques; il y devint habile de bonne heure, puis embrassa la carrière militaire; et tout en continuant à se livrer avec ardeur à ses études, particulièrement à celle du grec qui fut toujours son étude favorite (l'Éloge d'Hélène date de l'an XI), il montra tant d'activité, d'intelligence et de bravoure dans les différentes campagnes qu'il fit en Allemagne et en Italie, que du grade d'officier subalterne d'artillerie, auquel il avait été nommé en 1792, il atteignit rapidement celui de chef d'escadron. Mais l'indépendance naturelle de son caractère ne tarda pas à lui faire prendre en dégoût un métier où l'obéissance aveugle est le premier devoir; et ce dégoût devint extrême, lorsqu'un homme voulut employer au service de son ambition personnelle tous les

bras qui s'étaient armés pour la cause de la patrie. Après avoir combattu par patriotisme, au temps de l'invasion étrangère, Courier ne continua donc de faire la guerre sous l'empereur que par compagnie, pour ne pas délaisser ses anciens camarades. Mais après la bataille de Wagram (juillet 1809), il offrit enfin sa démission. Elle fut acceptée avec beaucoup d'empressement par ses chefs, auxquels déplaisaient fort la franchise de ses opinions et la tournure caustique de son esprit. L'anecdote suivante pourra donner une idée du peu de ménagement qu'il gardait dans ses propos sur leur compte. Le lendemain d'une mêlée assez chaude, où il lui avait semblé que César Berthier ne s'était pas conduit avec une bravoure romaine, il rencontra sur son chemin les fourgons de cet officier, portant son nom inscrit en grosses lettres. Aussitôt Courier se jette à la tête des chevaux, et rayant avec la pointe de son sabre le mot de César « Va dire à ton maître, crie-t-il au con» ducteur, qu'il peut continuer de s'appeler Ber>thier. Mais pour César, je le lui défends! »

La discipline militaire n'était guère plus respectée de lui dans ce qui gênait ses habitudes et ses goûts. Rien, par exemple, ne put le contraindre à se servir de selle et d'étriers. Jusque dans les parades il chevauchait à la grecque ; et quand son régiment ne se battait point, il lui arrivait ordinairement de le quitter, sans ordre ni per

mission , pour aller fouiller quelque bibliothèque d'Italie. Ce fut pendant l'une de ces excursions qu'en feuilletant, à Florence, un manuscrit des Pastorales de Longus appartenant à la bibliothèque Laurentienne, il crut y remarquer le passage du premier livre manquant dans toutes les éditions de cet auteur. Aussi en 1810, quand la liberté lui eut été rendue, le premier usage qu'il en fit, fut de s'assurer de la chose, puis de collationner avec soin le manuscrit entier et de copier le fragment inédit. Mais ayant eu le malheur de répandre de l'encre sur plusieurs lignes du précieux fragment, le bibliothécaire Furia, dont l'amour-propre souffrait de la découverte de Courier, profita de cette tache d'encre pour l'accuser d'avoir détruit l'original afin de s'en approprier, avec M. Renouard, la publication et la vente. Courier dédaigna d'abord de se disculper ; l'imputation lui paraissait trop absurde. Mais le préfet de Rome l'ayant sommé de répondre, il crut devoir le faire par-devant le public, dans une Lettre à M. Renouard, véritable chef-d'oeuvre de bon sens et de plaisanterie. Après quoi, pour montrer combien il était loin de vouloir spéculer sur sa découverte, il imprima le fragment lui-même qu'il distribua gratis à tous ceux qui le lui demandérent. Déjà auparavant il avait publié à Florence une traduction complète de Longus, où il avait pris d'Amyot tout ce qui était conforme au texte

grec, et imité à s'y méprendre son style et sa manière dans le supplément retrouvé du premier livre, ainsi que dans tous les endroits qu'il avait changés. Enfin il donna à ses amis cinquante-deux exemplaires du texte complet de Longus imprimés à Rome, petit in-4°, et réimprima plus tard à Paris, avec de nouveaux changements, la traduction de Florence qui n'avait été tirée qu'à soixante exemplaires.

De retour dans cette Capitale, après quatre ans de séjour en Italie, il écrivit sur l'Athénée de Schweighouser un article très-remarquable dans le Magasin encyclopédique de Millin, et donna une traduction du Traité de la Cavalerie de Xénophon accompagnée de notes fort estimées par les

érudits.

Vint la restauration de 1814. Tout en déplorant la manière dont elle s'opéra, Courier ne put s'empêcher de s'en réjouir. Ainsi firent bien d'autres amis sincères de la liberté, qui depuis....... Mais alors la Charte n'avait pas été interprétée. Ayant donc donné dans la Charte en plein, selon son propre aveu, il s'apprêtait à savourer les douceurs d'un régime franchement constitutionnel, lorsque les cent jours rappelèrent les étrangers en France, et à leur suite la réaction royaliste de 1815. Cette réaction ne fut nulle part plus violente que dans le département d'Indre-et-Loire pù Courier avait ses propriétés. M. Bacot, préfet de Tours, fit arrêter,

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