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servent à élever les murs d'une maison de paysan, d'une sainte et chaste demeure, où jamais ne cesse le travail, ni par conséquent la prière? Qui travaille prie.

Une terre non plus n'est pas détruite; c'est pure façon de parler. Bien le peut être un marquisat, un titre noble, quand la terre passe à des vilains. Encore dit-on qu'il se conserve et demeure au sang, à la race, tant qu'il y a race; je m'en rapporte..... Prenez le titre, a dit la Fontaine, et laissez-moi la rente. C'est, je pense, à peu près le partage qui a lieu lorsqu'un fief tombe en roture, malheur si commun de nos jours! Le gentilhomme garde son titre, pour le faire valoir à la cour. Le vilain acquiert seulement le sol, et n'en demande pas davantage, content de posséder la glèbe à laquelle il fut attaché; il la fait valoir à sa mode, c'est-à-dire par le travail. Or, plus la glèbe est divisée, plus elle s'améliore et prospère. C'est ce que l'expérience a prouvé. Telle terre vendue il y a vingt-cinq ans, est à cette heure partagée en dix mille portions, qui vingt fois ont changé de mains, depuis la première aliénation, toujours de mieux en mieux cultivée (on le sait: nouveau propriétaire, nouveau travail, nouveaux essais); le produit d'autrefois ne paierait pas l'impôt d'aujourd'hui. Recomposez un peu l'ancien fief, par les procédés indiqués dans le Conservateur, et que chaque portion retourne du propriétaire laboureur à ce bon seigneur adoré de ses vassaux dans son château, pour être substitué à lui et à ses hoirs, de mâle en mâle, à perpétuité; ses hoirs ne laboureront pas, ses vassaux peu.

Plus d'industrie. Tout ce qui maintenant travaille se fera laquais, ou mendiant, ou moine, ou soldat, ou voleur. Monseigneur aura ses pacages et ses lods et ventes, avec les grâces de la cour. Bientôt reparaîtront les créneaux, puis les ronces et les épines, et puis les forêts, les druides de M. de Marcellus; et la terre alors sera détruite.

Ils ne songent pas, les bonnes gens qui veulent maintenir toutes choses intactes, qu'à Dieu seul appartient de créer; qu'on ne fait point sans défaire; que ne jamais détruire, c'est ne jamais renouveler. Celui-ci, pour conserver les bois, défend de couper une solive; un autre conservera les pierres dans la carrière; à présent, bâtissez. L'abbé de la Mennais conserve les ruines, les restes de donjons, les tours abandonnées, tout ce qui pourrit et tombe. Que l'on construise un pont du débris délaissé de ces vieilles masures, qu'on répare une usine, il s'emporte, il s'écrie: L'esprit de la révolution est éminemment destructeur. Le jour de la création, quel bruit n'eût

il

pas fait? il eût crié : Mon Dieu, conservons le chaos.

En somme, ces gens-ci, ces destructeurs de terres, font grand bien à la terre, divisent le travail, aident à la production, et, faisant leurs affaires, font plus pour l'industrie et pour l'agriculture que jamais ministre, ni préfet, ni société d'encouragement, sous l'autorisation du préfet. Le public les estime peu. En revanche, il honore fort ceux qui le dépouillent et l'écrasent; toute fortune faite à ses dépens lui paraît belle et bien acquise.

Voilà ce que me dit mon voisin. Mais, moi, tous ces discours me persuadent peu. Je ne suis pas né d'hier, et j'ai mes souvenirs. J'ai vu les grandes terres, les riches abbayes; c'était le temps des bonnes œuvres. J'ai vu mille pauvres recevoir mille écuelles de soupe à la porte de Marmoutiers. Le couvent et les terres vendues, je n'ai plus vu ni écuelles, ni soupes, ni pauvres, pendant quelques années, jusqu'au règne brillant de l'empereur et roi qui remit en honneur toute espèce de mendicité. J'ai vu jadis, j'ai vu madame la duchesse, marraine de nos cloches, le jour de Sainte-Andoche, donner à la fabrique cinquante louis en or, et dix écus aux pauvres. Les pauvres ont acheté ses terres et son château, et ne donnent rien à personne. Chaque jour la charité s'éteint, depuis qu'on songe à travailler, et se perdra enfin, si la SainteAlliance n'y met ordre.

LETTRE VI.

Véretz, 30 novembre 1819.

MONSIEUR,

Il faut mettre de l'encre et tirer avec soin. Dites cela, je vous prie de ma part, à votre imprimeur, s'il a quelque envie que ses feuilles sortent lisibles de la presse. Je déchiffre à peine la moitié d'un de vos paragraphes du 22, dans lequel je vois bien pourtant que vous louez les Français comme un peuple rempli de sentiments chrétiens, et faites un juste éloge de notre dévotion, bonne conduite, soumission aux pasteurs de l'église. Nous vous en som mes bien obligés; cela est généreux à vous, dans un mo– ment où tant de gens nous traitent de mauvais sujets, et appellent pour nous corriger les puissances étrangères. Votre dessein, si je ne me trompe, est de faire voir que nous pouvons nous passer de missions, et que, chez nous, les bons pères prêchent des convertis. Vous dites d'abord excellemment : La religion est honorée; puis vous ajoutez quelque chose que j'eusse voulu pouvoir lire, car la matière m'intéresse. Mais dans mon exemplaire, je distingue seulement ces lettres, l. p..p. e cro..t t p..e; là-dessus, quoique nous ayons pu faire, moi et tous mes amis, à grand renfort de bésicles, comme dit maître François nous sommes encore à deviner si vous avez écrit en style d'Atala, le peuple croit et prie, ou, moins poéti

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quement, le peuple croît (circonflexe) et paie. Voilà sur quoi nous disputons, moi et ces messieurs, depuis deux jours. Ils soutiennent la première leçon; je défends la seconde, sans me fâcher néanmoins, car mon opinion est probable; mais, comme disent les jésuites, le contraire est probable aussi.

Mes raisons, cependant, sont bien bonnes. Mais je veux premièrement vous dire celles de mes adversaires, sans vous en rien dissimuler ni rien diminuer de leur force. Le peuple croit, disent-ils, cela est évident. Il croit qu'on songe à tenir ce qu'on lui a promis; que tout à l'heure on va exécuter la charte, et il prie qu'on se hâte, parce qu'il se souvient de la poule au pot qu'on lui promit jadis, et qui lui fut ravie par un de ces tours que l'agneau enseigne à ceux de la société (belle expression du père Garasse). Or, le peuple, en même temps qu'on lui présente la charte, aperçoit dans un coin la société de l'agneau et cela l'inquiète.

Il croit que ses mandataires vont faire ses affaires. Il croit bien d'autres choses, car il est fort crédule. Il prie les gouvernants de l'épargner un peu, et il croit qu'on l'écoute. En un mot, le peuple est toujours priant et croyant. Croire et prier, c'est son état, sa façon d'être de tout temps; et le journaliste, homme d'esprit, ne peut avoir eu d'autre idée. C'est ainsi qu'ils expliquent et commentent ce passage. Doctement!

Mais je dis le peuple croît (avec un accent circonflexe). Il croît à vue d'œil, comme le fils de Gargantua

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