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PIÈCE DIPLOMATIQUE,

EXTRAITE

DES JOURNAUX ANGLAIS.

(1)

A MON FRÈRE LE ROI D'ESPAGNE.

J'ai reçu la vôtre, mon frère ou mon Cousin, puisque nous sommes issus de germains. Vous voilà bientôt, grâce au ciel, hors des mains de vos rebelles sujets, dont je me réjouis avec vous comme parent, voisin et ami, entièrement de votre avis d'ailleurs sur notre autorité légitime et sacrée. Nous régnons de par Dieu qui nous donne les peuples, et nous ne devons compte de nos actes qu'à Dieu, ou aux prêtres, cela s'entend. J'y ajoute, comme conséquence également indubitable, qu'il ne nous faut jamais recevoir la loi des sujets; jamais composer avec eux, ou du moins nous croire engagés par de telles compositions vaines et nulles de droit divin. C'est aux personnes de notre rang le dernier degré d'abaissement, que promettre

(1) On l'a dit envoyée de Cadix à M. CANNING, par un de ses agents secrets, qui l'aurait eue d'un valet de chambre, qui l'aurait trouvée dans les poches de sa MAJESTÉ CATHOlique.

aux sujets et leur tenir parole, comme a très bien dit Louis XIV, notre aïeul, de glorieuse mémoire, qui savait son métier de roi. Sous lui, on ne vit point les Français murmurer, quelque faix qu'il leur imposât, en quelque misère qu'il les pût réduire, pas un d'eux ne souffla mot, lui vivant. Pour ses guerres, ses maîtresses, pour bâtir ses palais, il prit leur dernier sou ; c'est régner que cela. Charles II d'Angleterre fit de même à-peu-près ; comme nous, rétabli après vingt ans d'exil et la mort de son père, il déclara hautement qu'il aimait mieux se soumettre à un roi étranger, ennemi de sa nation, que de compter avec elle, ou de la consulter sur les affaires de l'état; sentiments élevés et dignes de son sang, de son nom, de son rang. Moi, qui vous écris ceci, mon Cousin, je serais le plus grand roi de l'Europe, si j'eusse voulu seulement m'entendre avec mon peuple. Rien n'était si facile. Me préserve le ciel d'une telle bassesse! j'obéis au congrès, aux princes, aux cabinets, et en reçois des ordres souvent embarrassants, toujours fort insolents; j'obeis néanmoins. Mais ce que veut mon peuple et que je lui promis, je n'en fais rien du tout, tant j'ai de fierté dans l'âme et l'orgueil de ma race. Gardons-la, mon Cousin, cette noble fierté à l'égard des sujets, conservons chèrement nos vieilles prérogatives; gouvernons, à l'exemple de nos prédécesseurs, sans écouter jamais que nos valets, nos maitresses, nos favoris, nos prêtres; c'est l'honneur de la couronne ; quoi qu'il puisse arriver, périssent les nations plutôt que le droit divin.

Là-dessus, mon cousin, j'entre comme vous voyez, dans tous vos sentiments et prie Dieu qu'il vous y maintienne, mais je ne puis approuver de même votre répugnance pour ce genre de gouvernement qu'on a nommé représentatif, et que j'appelle moi récréatif, n'y ayant rien que je sache au monde, si divertissant pour un roi, sans parler de l'utilité non petite qui nous en revient. J'aime l'absolu, mais ceci..... pour le produit, ceci vaut mieux. Je n'en fais nulle comparaison et le préfère de beaucoup. Le représentatif me convient à merveille, pourvu toutefois que ce soit moi qui nomme les députés du peuple, comme nous l'avons établi en ce pays fort heureusement. Le représentatif de la sorte est une cocagne, mon Cousin. L'argent nous arrive à foison. Demandez à mon neveu d'Angoulême, nous comptons ici par milliards, ou, pour dire la vérité, par ma foi nous ne comptons plus, depuis que nous avons des députés à nous, une majorité, comme on l'appelle compacte, dépense à faire, mais petite. Il ne m'en coûte pas... Non, cent voix ne me coûtent pas, je suis sûr, chaque année, un mois de madame du Cayla; moyennant quoi, tout va de soimême, argent sans compte ni mesure, et le droit divin n'y perd rien; nous n'en faisons pas moins tout ce que nous voulons, c'est-à-dire ce que veulent nos courti

sans.

Vos Cortès vous ont dégoûté des assemblées délibérantes; mais une épreuve ne conclut pas, feu mon frère s'en trouva mal, et cela ne m'a pas empêché d'y recourir

encore, dont bien me prend. Voulez-vous être un pauvre diable comme lui, qui faute de cinquante malheureux millions...... Quelle misère ! cinquante mille millions, mon Cousin, ne m'embarrassent non plus qu'une prise de tabac. Je pensais comme vous vraiment avant mon voyage d'Angleterre ; je n'aimais point du tout ce représentatif; mais là j'ai vu ce que c'est; si le Turc s'en doutait, il ne voudrait pas autre chose, et ferait de son Divan deux Chambres. Essayez-en mon cher Cousin, et vous m'en direz des nouvelles. Vous verrez bientôt que vos Indes, vos galions, votre Pérou étaient de pauvres tirelires, au prix de cette invention-là, au prix d'un budget discuté, voté par de bons députés. Il ne faut pas que tous ces mots de liberté, publicité, représentation, vous effarouchent. Ce sont des représentations à notre bénéfice et dont le produit est immense, le danger nul, quoi qu'on en dise. Tenez, une comparaison va vous rendre cela sensible. La pompe foulante...... Mieux encore, la marmite à vapeur, qui donne chaque minute un potage gras, lorsqu'on la sait gouverner, mais éclate et vous tue si vous n'y prenez garde; voilà l'affaire, voilà mon représentatif. Il n'est que de chauffer à point, ni trop, ni trop peu, chose aisée; cela regarde nos ministres, et le potage est un milliard. Puis, vantez-moi votre absolu qui produisait à feu mon frère, quoi? trois ou quatre cents millions par an, avec combien de peine! Ici chaque budget un milliard, sans la moindre difficulté. Que vous en semble, mon Cousin? Allons, mettez de côté vos petites

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