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ou d'assemblée. Ils parlent des Bourbons, de la guerre d'Espagne, causent et font causer. C'est leur état. Pour cela ils vont par les villages, non pour aucun négoce. On appelle ces gens, à la ville, des mouchards; à l'armée, des espions; à la cour, des agens secrets: aux champs! ils n'ont point de nom encore, n'étant connus que depuis peu. Ils s'étendent, se répandent à mesure que la morale publique s'organise.

M. le maire est le télégraphe de notre commune; en le voyant on sait tous les événements. Lorsqu'il nous salue, c'est que l'armée de la Foi a reçu quelque échec; bonjour de lui veut dire une défaite là-bas. Passe-t-il droit et fier? la bataille est gagnée; il marche sur Madrid, enfonce son chapeau pour entrer dans la ville capitale des Espagnes. Que demain on l'en chasse, il nous embrassera, touchera dans la main, amis comme devant. D'un jour à l'autre il change, et du soir au matin est affable ou brutal. Cela ne peut durer; on attend des nouvelles, et selon la tournure que prendront les affaires, on élargira la prison ou les prisonniers.

-Pierre Moreau et sa femme sont morts âgés de vingtcinq ans. Trop de travail les a tués ainsi que beaucoup d'autres. On dit travailler comme un nègre, comme un forçât; il faudrait travailler comme un homme libre.

Milon fut quatre ans en prison pour son opinion, au temps de 1815, sa femme cependant et sa fille moururent; il en sortit ruiné, corrigé non; son opinion est la même qu'auparavant, ou pire. Ce qu'il n'aimait pas,

il l'abhorre à présent. Ils sont dans la commune dix malpensants que le maire fit arrêter un jour, et qui souffrirent long-temps; en mémoire de quoi, tous les ans, le deux mai, ils font ensemble un repas. On n'y boit point à la santé du maire ni du gouvernement. Le deux mai, cette année, ils étaient chez Bourdon, à l'auberge du Cygne, et leur banquet fini, déjà se levaient de table, quand le maire passant, Milon qui l'aperçut, le montre aux autres; chacun se mord le bout du doigt. Quelques moments après, soit hasard ou dessein, survint le gardechampêtre. Milon, sans dire gare, tombe sur lui, le chasse à coups de pied, de poing et le poursuit dehors, l'appelant espion, mouchard. Celui-là s'en allait mal mené du combat; arrive Métayer, ou monsieur Métayer, car il a terre et vigne. Milon va droit à lui : Êtes-vous royaliste? oui, répond Métayer. L'autre d'un revers de main, le jette contre la porte et voulait redoubler; mais l'hôte le retint. Voilà une grosse affaire. Milon se cache et fait bien. Les battus cependant n'ont point porté de plainte; l'un garde son soufflet, l'autre ses horions. Le maire ne dit mot. Qu'en sera-t-il? on ne sait. Il faut voir ce que fera notre armée en Espagne pour les révérends pères jésuites.

- Le curé d'Azai, jeune homme qui empêche de danser et de travailler le dimanche, est bien avec l'autorité, mais mal avec ses paroissiens. Il perd deux cents francs de la commune, que le conseil assemblé lui retire cette année : résolution hardie, presque séditieuse. Ceux qui l'ont pro

posée, soutenue et votée pourront ne s'en pas bien trouver. A Véretz, au contraire, on donne un supplément au curé qui laisse danser, brouillé avec l'autorité. Les deux communes pensent de même. Rien ne fait tant de tort aux prêtres que l'appui du gouvernement: rien ne les recommande comme la haine du gouvernement.

-Simon Gabelin ne voulant point aller à l'armée, a vendu tout son bien pour acheter un homme, et se fait remplacer. Il avait trois bons quartiers de vignes et un demi-arpent de terre joignant sa maison. Il a fait de tout dix-huit cents francs et emprunte le reste (car il lui faut cent louis), espérant regagner cela par son travail de maréchal ferrant. On a eu beau lui remontrer qu'il travaillerait à l'armée, gagnerait plus qu'ici et reviendrait un jour ayant, outre son bien, bonne somme de deniers, il ne veut point, dit-il, faire la guerre à Malmort. Malmort est en Espagne avec trois cent mille hommes, cent mille pièces de canon et son fils.

A Amboise, on plantait la croix dimanche passé, en grande pompe. Monseigneur y était, non pas notre archevêque, mais le coadjuteur, tous les curés des environs et un concours de spectateurs. La fête fut belle. Dans cette foule, trois carabiniers se trouvaient en sale veste d'écurie, bonnet de police sur la tête. Un missionnaire les voit, leur crie: Bas le bonnet. Eux font la sourde oreille. Même cri, même contenance. Carabiniers ne s'émeuvent non plus que si on eût parlé à d'autres. Le prélat en colère arrête sa procession; le clergé, les dévots

cessent leurs litanies. Le peuple regardait. Les gendarmes enfin, car toute scène en France finit par les gendarmes, empoignent mes mutins, les mènent en prison. Ils gardèrent leur bonnet. Le soldat est du peuple et n'a point de dévotion..

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Paul-Louis, sur les hauts de Véretz, fait des choses admirables. C'est le premier homme du monde pour terrasser un arpent de vigne. Il amène, d'un bois non fort voisin de là, cinq cents charges de gazon ou terre de bruyère. Il la laisse mûrir à l'air, de temps en temps la vire la remue avec cent ou cent cinquante charges de fumier qu'il entremêle parmi. Puis, ouvrant une fosse entre deux rangs de ceps, il y place ce terreau ; sa vigne, au bout de deux ans, jeune d'ailleurs, et n'ayant besoin que d'aliments, se trouve en pleine valeur. Ainsi amendé, un arpent, pourvu qu'on l'entretienne avec soin, diligence, patience, peine et travail, produit au vigneron cent cinquante francs par an, et de plus, treize cents francs aux fainéants de la cour. Le compte en est aisé.

Cet arpent donne quelquefois vingt-quatre pièces ou poinçons de vin, aux bonnes années, quelquefois rien : produit moyen, douze poinçons qui se vendent chacun soixante francs, somme, sauf erreur, sept cent vingt. Déduisez les façons, l'impôt, le coulage, l'entretien, la garde, le coût de ce terreau qu'il faut renouveler tous les cinq ans, vous trouverez net cent quarante ou cinquante francs pour le bonhomme.

Mais pour

la cour, c'est autre chose. Ces douze poin

çons vont à Paris où l'on en fait du vin de Bourgogne. Ils paient à l'entrée soixante et quinze francs chaque; plus six francs de remuage, taxe de l'usurpateur devenue légitime; autant pour droit de patente, et quatre fois autant d'avanies qu'on appelle réunies, sans les autres faites par la police au marchand détaillant; plus trente francs d'impôt sur le fonds, dont la valeur en outre, par droit de mutation, passe entière dans les mains du fisc tous les vingt ans. Comptez et n'en oubliez rien ; droit d'entrée, droit de remuage, droit de patente, droit de police, droit direct, droit indirect, droits réunis plusieurs ensemble, droit de mutation, c'est tout; faisant bien chaque année treize cents francs pour les courtisans, ou douze cent nonante et six, que je ne mente.

Paul-Louis a dix arpents qu'il cultive et façonne de la sorte avec sa famille. Ces bonnes gens en tirent tous les ans, comme on voit, quinze cents francs, dont ils vivent, et treize mille francs pour la splendeur du trône. Ce sont les appointemens du procureur du roi qui a mis en prison Paul-Louis, et l'y remettra pour avoir fait ce calcul.

-

On nous mande d'Azai : Le préfet a cassé l'arrêté de la commune qui ôtait au curé son traitement de deux cents francs. Ordre de s'assembler une seconde fois, de voter le traitement. On s'assemble, on se regarde; les plus hardis tremblaient. Quelqu'un prend la parole: « Je vote le traitement à monsieur le curé, car c'est un homme de bien. » Tout le monde aussitôt : « C'est un homme de bien, il lui faut un traitement. » L'affaire allait

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