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que ses dévotions l'arrêtent en chemin. Il visite les églises et baise les reliques. Le peuple qui voit cela, en aime d'autant moins l'église et les reliques.

- Il n'y a pas un paysan dans nos campagnes qui ne dise que Bonaparte vit, et qu'il reviendra. Tous ne le croient pas, mais le disent. C'est entre eux une espèce d'argot, de mot convenu pour narguer le gouvernement. Le peuple hait les Bourbons, parce qu'ils l'ont trompé, qu'ils mangent un milliard et servent l'étranger, parce qu'ils sont toujours émigrés, parce qu'ils ne veulent pas être aimés.

Barnave disait à la reine : il faut vous faire aimer du peuple. Hélas! je le voudrais, dit-elle; mais comment? Madame, il vous est plus aisé qu'il ne l'était à moi. Comment faire? Madame, lui répondit Barnave, tout est dans un mot, bonne foi.

On va marcher, on avancera en Espagne; on renouvellera les bulletins de la grande armée avec les exploits de la garde; au lieu de Murat, ce sera La Roche-Jacquelin. Sans rencontrer personne, on gagnera des batailles, on forcera des villes; enfin on entrera triomphant dans Madrid, et là commence la guerre. Jamais ils ne feront la conquête de l'Espagne. M. Ls.

Je le crois; mais ce n'est pas l'Espagne, c'est la France qu'ils veulent conquérir. A chaque bulletin de Martainville, à chaque victoire de messieurs les gardes-du-corps, on refera ici quelque pièce de l'ancien régime, et qu'importe aux jésuites que des armées périssent, pourvu qu'ils confessent le roi?

A la chambre des pairs, hier quelqu'uu disait : Figurez-vous que nos gens en Espagne seront des saints. Ils ne feront point de sottises; on paiera tout, et le soldat ne mangera pas une poule qui ne soit achetée au marché. Ordre, discipline admirable; on mènera jusqu'à des filles, afin d'épargner les infantes. La conquête de la Péninsule va se faire sans fâcher personne, et notre armée sera comblée de bénédictions. Là-dessus M. Catelan a pris la parole et a dit: Je ne sais pas comment vous ferez lorsque vous serez en Espagne; mais en France votre conduite est assez mauvaise. Vous paierez là, dites-vous, et ici vous prenez. Voici une réquisition de quatre mille bœufs pour conduire de Toulouse à Pau votre artillerie, qui a ses chevaux; mais ils sont employés ailleurs. Ils mènent les équipages des ducs et des marquis et des gardes-du-corps. Le canon reste la. Vous y attelez nos bœufs au moment des labours. Vous serez sages en Espagne, à la bonne heure, je le veux croire, et vous agirez avec ordre; mais je ne vois que confusion dans vos préparatifs.

Guilleminot a fait un rapport dont la substance est que l'armée a besoin de se recruter d'une ou de deux conscriptions, pour être en état, non de marcher, car il n'y a nulle apparence, mais de garder seulement la frontière; que l'état major est bon et fera ce qu'on voudra: mais que les officiers de fortune, et surtout les sous-officiers semblent peu disposés à entrer en campagne, pensant que c'est contre eux que la guerre se fait. Guilleminot est rappelé pour avoir dit ces choses-là, et son aide-de

camp arrêté comme correspondant de Fabvier. Victor part pour l'armée.

A l'armée une cour (voir là-dessus Feuquières, Mémoires), c'est ce qui a perdu Bonaparte, tout Bona

parte qu'il était. La cour de son frère Joseph sauva Wellington plus d'une fois. Partout où il y a une cour, on ne songe qu'à faire sa cour. Le duc d'Angoulême a carte blanche pour les récompenses, et l'on sait déjà ceux qui se distingueront. Hohenlohe sera maréchal. C'est un Allemand qui a logé les princes dans l'émigration. Il commandera nos généraux, et pas un d'eux ne dira mot. La noblesse de tout temps obéit volontiers même à des bâtards étrangers, comme était le maréchal de Saxe. Les soldats, quant à eux, font peu de différence d'un Allemand à un émigré. Ils l'aimeront autant que Coigny ou Vioménil. Personne ne se plaindra. Jamais, en 'Angleterre, on ne souffrirait cela. Nous aurons tout l'ancien régime; on ne nous fera pas grâce d'un abus.

PROCLAMATION.

Soldats, vous allez rétablir en Espagne l'ancien régime et défaire la révolution. Les Espagnols ont fait chez eux la révolution; ils ont détruit l'ancien régime, et à cause de cela on vous envoie contre eux; et quand vous aurez rétabli l'ancien régime en ce pays-là, on vous ramènera ici pour en faire autant. Or, l'ancien régime, savez-vous ce que c'est, mes amis? C'est, pour le peuple,

des impôts; pour les soldats, c'est du pain noir et des coups de bâton; des coups de bâton et du pain noir, voilà l'ancien régime pour vous. Voilà ce que vous allez rétablir, là d'abord, et ensuite chez vous.

Les soldats espagnols ont fait en Espagne la révolution. Ils étaient las de l'ancien régime et ne voulaient plus ni pain noir ni coups de bâton; ils voulaient autre chose, de l'avancement, des grades; ils en ont maintenant, et deviennent officiers à leur tour, selon la loi. Sous l'ancien régime, les soldats ne peuvent jamais être officiers; sous la révolution, au contraire, les soldats deviennent officiers. Vous entendez; c'est là ce que les Espagnols ont établi chez eux, et qu'on veut empêcher. On vous envoie exprès, de peur que la même chose ne s'établisse ici, et que vous ne soyez quelque jour officiers. Partez donc, battez-vous contre les Espagnols; allez, faitesvous estropier, afin de n'être pas officiers et d'avoir des coups de bâton.

Ce sont les étrangers qui vous y font aller. Car le roi ne voudrait pas. Mais ses alliés le forcent à vous envoyer là. Ses alliés, le roi de Prusse, l'empereur de Russie et l'empereur d'Autriche suivent l'ancien régime. Ils donnent aux soldats beaucoup de coups de bâton avec peu de pain noir, et s'en trouvent très bien, eux souverains. Une chose pourtant les inquiète. Le soldat français, disent-ils, depuis trente ans, ne reçoit point de coups de bâton, et voilà l'Espagnol qui les refuse aussi; pour peu que cela gagne, adieu la schlague chez nous, personne n'en voudra.

Il y faut remédier, et plus tôt que plus tard. Ils ont donc résolu de rétablir partout le régime du bâton, mais pour les soldats seulement; c'est vous qu'ils chargent de cela. Soldats, volez à la victoire, et quand la bataille sera gagnée, vous savez ce qui vous attend; les nobles auront de l'avancement, vous aurez des coups de bâton. Entrez en Espagne, marchez tambour battant, mêche allumée, au nom des puissances étrangères : vive la schlague; vive le bâton; point d'avancement pour les soldats, point de grades que pour les nobles.

Au retour de l'expédition, vous recevrez tout l'arriéré des coups de bâton qui vous sont dûs depuis 1789. Ensuite on aura soin de vous tenir au courant.

-La police va découvrir une grande conspiration, qui aura, dit-on, de grandes ramifications dans les provinces et dans l'armée. On nomme déjà des gens qui en seront certainement. Mais le travail n'est pas fait.

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