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er d'autre chose, c'est perdre son temps. l'indifférence qu'à bon droit nous reproa Mennais, en matière de religion. Il dit ous ne sommes pas de ces tièdes que Dieu vo

l'expression de Saint-Paul, nous sommes c'est le pis. C'est proprement le mal du siècle. remédier et nous amener, de cette indifférence, aeveur que l'on désire, il faut user de ménagements, oyens doux et attrayants, car d'autres produiraient

effet opposé. La prudence y est nécessaire, ce qu'entendent mal ces jeunes curés, dont le zèle admirable, d'ailleurs, n'est pas assez selon la science. Aussi leur âge ne le porte pas.

Pour en dire ici ma pensée, j'écoute peu les déclamations contre la jeunesse d'à présent, et tiens fort suspectes les plaintes qu'en font certaines gens, me rappelant toujours le mot vengeons-nous par en médire ( si on médisait seulement; mais on va plus loin); pourtant il doit y avoir du vrai dans ces discours, et je commence à me persuader que la jeunesse séculière, sans mériter d'être sabrée, foulée aux pieds, ou fusillée, peut ne valoir guères aujourd'hui, puisque même ces jeunes prêtres, dans leurs pacifiques fonctions, montrent de telles dispo sitions bien éloignées de la sagesse et de la retenue de leurs anciens. Je vous ai déjà cité, Messieurs, notre bon curé de Véretz, qui semble un père au milieu de nous; mais celui d'Azai, que remplace le séminariste, n'avait pas moins de modération, et s'était fait de même une

famille de tous ses paroissiens, partageant leurs joies, leurs chagrins, leurs peines comme leurs amusements, où de fait on n'eût su que reprendre; voyant très-volontiers danser filles et garçons, et principalement sur la place; car il l'approuvait là bien plus qu'en quelque autre lieu que ce fût, et disait que le mal rarement se fait en public. Aussi trouvait-il à merveille que le rendez-vous des jeunes filles et de leurs prétendus, fût sur cette place plutôt qu'ailleurs, plutôt qu'au bosquet ou aux champs, quelque part loin des regards, comme il arrivera quand nos fêtes seront tout-à-fait supprimées. Il n'avait garde de demander cette suppression, ni de mettre la danse au rang des péchés mortels, ou de recourir aux puissances pour troubler d'innocents plaisirs. Car, enfin, ces jeunes gens, disait-il, doivent se voir, se connaître avant de s'épouser, et où se pourraient-ils jamais rencontrer plus convenablement que là, sous les yeux de leurs amis, de leurs parents et du public, souverain juge en fait de convenance et d'honnêteté?

Ainsi raisonnait ce bon curé, regretté de tout le pays, homme de bien, s'il en fût oncques, irréprochable dans ses mœurs et dans sa conduite, comme sont aussi, à vrai dire, les jeunes prêtres successeurs de ces anciens-là. Car il ne se peut voir rien de plus exemplaire que leur vie. Le clergé ne vit pas maintenant comme autrefois, mais il fait paraître en tout une régularité digne des temps apostoliques. Heureux effet de la pauvreté! Heureux fruit de la persécution soufferte à cette grande époque où Dieu visita

son Église. Ce n'est pas un des moindres biens qu'on doive à la révolution, de voir non-seulement les curés, ordre respectable de tout temps, mais les évêques avoir des inœurs.

Toutefois il est à craindre que de si excellents exemples faits pour grandement contribuer au maintien de la religion, ne soient en pure perte pour elle, par l'imprudence des nouveaux prêtres qui la rendent peu aimable au peuple en la lui montrant ennemie de tout divertissement, triste, sombre, sévère, n'offrant de tous côtés que pénitence à faire, et tourments mérités, au lieu de prêcher sur des textes plus convenables à présent: Sachez que mon joug est léger, ou bien celui-ci : Je suis doux et humble de cœur. On ramènerait ainsi des brebis égarées que trop de rigueur effarouche. Quelque grands que soient nos péchés, nous n'avons guère maintenant le temps de faire pénitence. Il faut semer et labourer. Nous ne saurions vivre en moines, en dévôts de profession, dont toutes les pensées se tournent vers le ciel. Les règles faites pour eux, détachés de la terre, et comme du fumier regardant tout le monde, ne conviennent point à nous qui avons ici-bas et famille et chevance, comme dit le bon homme, et malheureusement tenons à toutes ces choses. Puis, que faisons-nous de mal, quand nous ne faisons pas bien, quand nous ne travaillons pas? Nos délassements, nos jeux, les jours de fêtes, n'ont rien de blåmable en eux-mêmes ni par aucune circonstance. Car ce qu'on allègue au sujet de la place d'Azai, pour nous empêcher

d'y danser; cette place est devant l'église, dit-on; danser là, c'est danser devant Dieu, c'est l'offenser; et depuis quand? Nos pères y dansaient, plus dévots que nous, à ce qu'on nous dit. Nous y avons dansé après eux; le saint roi David dansa devant l'arche du Seigneur, et le Seigneur le trouva bon; il en fut aise, dit l'Écriture; et nous qui ne sommes saints ni rois, mais honnêtes gens néanmoins, ne pourrons danser devant notre église, qui n'est pas l'arche, mais sa figure selon les sacrés interprètes. Ce que Dieu aime de ses saints, de nous l'offense; l'église d'Azai sera profanée du même acte qui sanctifia l'arche et le temple de Jérusalem! Nos curés jusqu'à ce jour étaientils mécréants, hérétiques, impies, ou prêtres catholiques, aussi sages pour le moins que des séminaristes? ils ont approuvé de tels plaisirs et pris part à nos amusements, qui ne pouvaient scandaliser que les élèves du picpus. Voilà quelques-unes des raisons que nous opposons au trop de zèle de nos jeunes réformateurs.

Partant, vous déciderez, Messieurs, s'il ne serait pas convenable de nous rétablir dans le droit de danser comme auparavant, sur la place d'Azai, les dimanches et fêtes, puis, vous pourrez examiner s'il est temps d'obéir aux moines et d'apprendre des oraisons, lorsqu'on nous couche en joue de près, à bout touchant, lorsqu'autour de nous toute l'Europe en armes fait l'exercice à feu, ses canons en batterie et la mêche allumée.

Véretz, 15 juillet 1822.

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