Page images
PDF
EPUB

xr sa conduite, ses liaisons, son état, son bien, sa naissance et son pâté d'encre, le tout par ordre supérieur. Il écrivit à ce préfet, non sans humeur; voici sa lettre :

<< Monsieur, j'ai négligé de répondre aux calom»nies publiées contre moi depuis environ un an, >> croyant que ces sottises feraient peu d'impression sur >> les esprits sensés; mais puisque le ministre y met

[ocr errors]

de l'importance, et qu'enfin il faut m'expliquer sur » ce pitoyable sujet, je vais donner au public, devant » lequel on m'accuse, ma justification aussi claire et » précise qu'il me sera possible. Vous recevrez, Mon»sieur, le premier exemplaire de ce mémoire très>> succinct, où Son Excellence trouvera les renseigne>>ments qu'elle désire. »

Le préfet répondit : « Monsieur, gardez-vous bien de » rien publier sur l'affaire dont il est question; vous >> vous exposeriez beaucoup, et l'imprimeur qui vous » prêterait son ministère ne serait pas moins com>> promis. >>

Il s'agissait d'un pâté d'encre, et remarquez, car il y a en toute histoire moralité, tout est matière d'instruction à qui veut réfléchir : admirez en ceci la doctrine du pouvoir; les calomnies s'impriment, mais la réponse, non. Chacun peut bien dire au public dans les pamphlets, dans les journaux, Paul-Louis est un voleur; mais il ne faut pas que celui-ci puisse parler au même public et montrer qu'il est honnête homme.

Le ministre évoque l'affaire à son cabinet, où lui seul en décidera, et fera Paul-Louis honnête homme ou fripon, selon qu'il croira convenir au service de sa majesté, selon le bon plaisir de son altesse impériale madame Bacciocchi.

Paul-Louis, bien empêché, récrivit au préfet : « Mon>sieur, j'ignorais qu'il fallut votre permission pour >> imprimer mon petit mémoire justificatif; mais puis» qu'elle m'est nécessaire, je vous supplie de me l'en» voyer. » Il n'eut point de réponse et l'avait bien prévu. Heureusement il se souvint d'un pauvre diable d'imprimeur nommé Lino Contadini, qui demeurait près de la Sapience, n'imprimait que des almanachs, et devait être peu en règle avec la nouvelle censure. Il va le trouver et lui dit : Or, sù, presto, sbrighiamola e si stampi questa cosa per l'eccellentissimo signor prefetto di pulizia; c'est-à-dire Vite, qu'on imprime ceci. pour monseigneur excellentissime préfet de police (ou de propreté, car c'est le même mot en italien). A quoi le bonhomme répondit: Padron mio riverito, come farò? Non capisco parola di francese ; che vuol ella ch'io possa raccapezzar mai in questo benedetto straccio pieno di cossature? Mon cher Monsieur, comment ferai-je ? n'entendant pas un mot de français, que puis-je comprendre à ce chiffon tout plein de ratures? Eh bien! repartit Paul-Louis, nous y travaillerons ensemble; mais dépêchons, le préfet attend. Les voilà donc à la besogne, et Paul-Louis, compo

siteur, correcteur, imprimeur et le reste. Ce fut un merveilleux ouvrage que cette impression; il y avait dix fautes par ligne, mais à toute force on pouvait lire. La chose achevée, vient un scrupule à ce bonhomme d'imprimeur. Ne nous faudrait-il pas, dit-il, pour faire ce que nous faisons, une permission, un permesso? Non, dit Paul - Louis. Si fait, dit l'autre. Et quoi, pour le préfet? Attendez, dit Lino; je reviens tout-à-l'heure. Il s'en va chez le préfet, et cependant Paul-Louis fait un paquet d'une centaine d'exemplaires, qu'il emporte. Un quart-d'heure après l'imprimerie était pleine de sbires. Ce sont les gendarmes du pays.

Ayant ce qu'il voulait à peu près, Paul-Louis écrivit encore au préfet une dernière lettre : « Monsieur, j'ai » trompé l'imprimeur Lino. Je lui ai fait accroire qu'il >> travaillait pour vous je lui ai parlé en votre nom >> et comme chargé de vos ordres. Je l'ai hâté en l'as» surant que vous attendiez impatiemment le résultat » de son travail; enfin, tous les moyens que j'ai pu » imaginer, je les ai mis en œuvre pour abuser cet » homme qui, pensant vous servir, ignorait ce qu'il » faisait. Après une telle déclaration, je vous crois, >> Monsieur, trop raisonnable pour vous en prendre » à lui, et non pas à moi seul, de la publication de >> mon factum littéraire. Je ne vous prie plus que de >> vouloir bien l'adresser avec cette lettre au ministre, >> curieux de savoir à quoi je m'occupe et qui je suis. >>

Le pauvre Lino fut arrêté, interrogé, réprimandé et renvoyé. Le préfet n'adressa au ministre ni lettre ni brochure; mais bientôt après il reçut une verte semonce de ses maîtres. Laisser imprimer, publier la plainte d'un homme maltraité, quelle bévue pour un préfet! L'espèce de supercherie dont il avait été la dupe ne l'excusait pas aux yeux d'un gouvernement fort. Il était responsable, la plainte avait paru; c'était sa faute à lui, gagé précisément pour empêcher cela. Il en faillit perdre sa place, et c'eût été dommage vraiment; il ne serait pas ce qu'il est (conseiller-d'état) aujourd'hui, s'il eût cessé alors de servir les dynasties.

Paul-Louis, depuis ce temps, vécut à Rome tranquille, n'entendant plus parler de préfet ni de ministre. Sa lettre fit du bruit, en Italie surtout. Les Lombards se réjouirent de voir Florence moquée, et traitée d'ignorante. Quelques écrits parurent en faveur de Paul-Louis on voulut y répondre, mais le gouvernement l'empêcha et imposa silence à tous. On redoutait alors la moindre discussion dont le public eût été juge. Celle-ci, d'abord sotte et ridicule seulement eut des suites sérieuses, fâcheuses même, tragiques. Furia en fut malade, Puccini en mourut; car étant à dîner un jour chez la comtesse d'Albani, veuve du prétendant d'Angleterre, il se prit de querelle avec un des convives qui défendait Paul-Louis, et s'emporta au point que de retour chez lui le soir, il écrivit une lettre d'excuses à madame d'Albani, se mit

au lit, et mourut, regretté d'un chacun, car il était bonhomme, à la colère près. Paul-Louis n'en fut pas cause, comme on le lui a reproché, mais s'il eût pu prévoir cette catastrophe, la crainte de tuer un chambellan ne l'eût pas empêché apparemment d'écrire, quand il crut le devoir faire, pour sa propre défense.

Ce qui, dans cette brochure, déplut, ce fut un ton libre, un air de mécontentement fort extraordinaire alors, la façon peu respectueuse dont on parlait des employés du gouvernement; mais plus que tout, ce fut qu'on y faisait connaître la haine de l'Italie pour ce gouvernement et pour le nom français. Bonaparte croyait être adoré partout, sa police le lui assurait chaque matin : une voix qui disait le contraire embarrassait fort la police, et pouvait attirer l'attention de Bonaparte, comme il arriva; car un jour il en parla, voulut savoir ce que c'était qu'un officier retiré à Rome, qui faisait imprimer du grec. Sur ce qu'on lui en dit, il le laissa en repos.

« PreviousContinue »