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des habitants, leur innocence, pourront souffrir de ce dangereux voisinage.

Pour Chambord: Douze mille arpents de terre rendus à la culture, vaudraient mieux que douze mille arpents consacrés à un parc de luxe.

Certes, il serait difficile de trouver dans ces idées générales rien de contraire à la morale publique. La dernière est une vue d'économie politique, que je crois très-juste, et qui, dans tous les cas, n'a rien à démêler avec la morale; les deux premières, sont, au contraire, conformes aux principes de la morale la plus pure.

En conséquence de ses réflexions, M. Courier blâme l'opération de Chambord: il la croit inspirée moins par l'amour du prince et de son auguste famille, que par la flatterie et par des vues d'intérêt personnel. A cette occasion, il s'élève, au nom de la morale, contre l'esprit d'adulation et contre la licence des cours.

Et ce qu'il y a de remarquable, c'est que les considérations présentées par M. Courier contre la souscriptionde Chambord se retrouvent, en grande partie, dans le rapport soumis à S. M. par le ministre de l'intérieur (1).

M. Courier craint que ce présent ne soit plus onéreux que profitable au jeune prince. Le ministre avait dit « qu'on a exprimé le désir de la conservation de Cham» bord sans songer à ce qu'elle coûtera de réparations foncières et d'entretien, à toutes les dépenses qu'exige>> ront son ameublement et son habitation. >>

(1) Voir le Journal de Paris, du 31 décembre 1820.

M. Courier se demande si ce sont les communes qui ont conçu la pensée d'acheter Chambord pour le prince. « Non pas, répond-il, les nôtres, que je sache, de ce » côté-ci de la Loire; mais celles-là peut-être qui ont » logé deux fois les cosaques.... Là, naturellement, on >> s'occupe d'acheter des châteaux pour les princes, et

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puis on songe à refaire son toit et ses foyers. » Le ministre avait dit, presque dans les mêmes termes : « Les >> conseils qui ont voté l'acquisition de Chambord n'ont » point été arrêtés par les embarras de finances qu'é» prouvent PRESQUE TOUTES les communes, les unes » épuisées par la suite DES GUERRES, PAR L'INVASION » ET LONG SÉJOUR DES ÉTRANGERS; les autres apauvries » par les fléaux du ciel, la grêle, les gelées, les inonda» tions, les incendies; obligées la plupart de recourir à » des impositions extraordinaires pour acquitter LES » CHARGES COURANTES DE LEURS DETTES. Dans d'autres » circonstances, l'administration devrait examiner pour >> chaque commune si les moyens répondent à son » zèle. »

« Nous allons, dit M. Courier, nous gêner et augmen>> ter nos dettes pour lui donner (au prince) une chose

» DONT IL N'A PAS BESOIN. »

» Il n'appartiendrait qu'à V. M., avait dit le ministre, » de refuser, au nom de son auguste pupille, un présent » DONT IL N'A PAS BESOIN. Assez de châteaux seront un » jour à sa disposition, et ce sont les Chambres qui au>>ront à composer, au nom de la nation, son apanage. »

M. Courier paraît craindre que les offrandes ne soient pas toujours suffisamment libres et spontanées. Le ministre avait conçu les mêmes craintes : « Le don du pauvre, >> avait-il dit, mérite d'être accueilli comme le tribut du » riche, mais il ne faut pas le demander. IL SERAIT A » CRAINDRE qu'on ne vît une sorte de CONTRAINTE dans >> une invitation solennelle venue de si haut, AU NOM » D'UNE RÉUNION DE PERSONNAGES IMPORTANTS qui s'oc» cuperaient à donner une si vive impulsion à tous les >> administrés. Des dons qui ne sont acceptables que parce » qu'ils sont spontanés, paraîtraient peut-être comman» dés par des considérations qui doivent être étrangères » à des sentiments dont l'expression n'aura plus de mé»rite, si elle n'est entièrement libre. >>

En critiquant l'acquisition de Chambord, M. Courier n'a donc rien dit qui ne soit permis, qui ne soit plausible, qui ne soit conforme aux observations du ministre lui-même.

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N'importe : il a voulu arrêter l'élan généreux des Français ; il a voulu s'opposer à l'alégresse publique...

Quoi donc, blâmer un témoignage d'alégresse inconvenant ou intéressé, est-ce blâmer l'alégresse elle-même ? Parce qu'un nom sacré aura servi de voile à un acte imprudent ou blâmable, cet acte deviendra-t-il également sacré ? Pour moi, s'il faut le dire, je crois qu'il était beaucoup d'autres manières plus convenables d'honorer la naissance du duc de Bordeaux. Je ne parle point ici de ces bruits trop fâcheux qui se sont repandus sur l'ori

gine de cette souscription et sur les moyens employés pour faire souscrire : je ne veux ni les écouter, ni les répéter. Mais ces dons d'argent, de terres, de châteaux, adressés à l'héritier d'un trône, ces présents qu'on fait offrir au riche par le pauvre, par des communes épuisées, au neveu d'un roi de France, s'accordent mal dans mon esprit avec la délicatesse qui doit présider aux hommages rendus par des Français à leurs princes. Je ne puis, d'ailleurs, oublier que naguères on faisait offrir aussi, par les communes, des adresses, des chevaux, des soldats, l'homme qui avait usurpé la liberté publique, et j'aurais désiré, je l'avoue, que l'héritier d'un pouvoir légitime fût honoré d'une autre manière que le ravisseur d'un pouvoir absolu.

Croyez-moi, Messieurs, il est pour les princes des hommages plus délicats et plus purs, que l'adulation ne saurait contrefaire, et que la tyrannie ne saurait usurper. Ce sont ces pleurs d'alégresse qu'on verse à leur aspect, ces vœux d'un peuple accouru sur leur passage; ce sont les joies du pauvre, les actions de grâces du laboureur, les bénédictions des mères de famille. Voilà les hommages que le peuple français rendait à Henri IV; voilà ceux que ses descendants vous demandent, et non ces tributs mendiés, qu'on ne refusa jamais à la puissance. Les princes français ne ressemblent point à ces despotes de l'Orient que la prière n'ose aborder qu'un présent à la main, et loin d'obliger la pauvreté à doter leur opulence, ils consacrent leur opulence à soulager la pauvreté.

M. Courier a donc pu, non seulement sans être coupable, mais sans manquer aux convenances les plus sévères, voir, dans la souscripition de Chambord, un acte de flatterie ou une spéculation intéressée. Il a pu blâmer cet hommage indiscret et suspect, qui compromet, sous prétexte de l'honorer, tout ce qu'il y a de plus élevé et de plus respectable; et celui-là peut-être avait quelque droit de s'élever contre la flatterie, qui, sous aucun pouvoir, ne fut aperçu parmi les flatteurs.

Si l'esprit général de l'ouvrage est irréprochable, les détails en sont-ils criminels? Examinons les passages sur lesquels le ministère public a fondé son accusation.

Maintenant que nous avons fait connaître l'idée que la loi attache à l'expression de morale publique, vous aurez peine peut-être à vous empêcher de sourire, en écoutant la lecture de ces passages. La plupart ont si peu de rapport à la morale publique, qu'on se demande par quel étrange renversement des notions les plus communes, l'accusation a pu rapprocher deux idées d'une nature si différente.

Ainsi, M. Courier veut prouver que le don de Chambord ne profitera pas au prince, mais aux courtisans. Après une sortie assez vive contre les flatteurs, il cite le trait de ce courtisan qui disait au prince, son élève, tout ce peuple est à vous; puis il ajoute: « Ce qui, dans la langue >> des courtisans, voulait dire: tout est pour nous. Car la » cour donne tout aux prince comme les prêtres donnent » tout à Dieu; et ces dommaines, ces apanages, ces listes

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