Page images
PDF
EPUB

coupable, non ce qui est qualifié délit par la loi,

mais ce

qui déplaît aux organes de l'accusation; sans réfléchir que la liberté de la presse n'est pas la liberté de dire ce qui plaît au pouvoir, mais ce qui peut lui déplaire. Une proposition nous blesse; nous commençons par poser en principe qu'il faut mettre l'auteur en jugement. Ensuite, comme pour mettre un homme en jugement, il faut bien s'appuyer sur un texte de loi, nous cherchons dans la loi pénale quelque texte qui puisse, tant bien que mal, s'ajuster à l'écrit en question. Les uns sont trop précis ; il n'y a pas moyen d'en faire usage : d'autres sont rédigés d'une manière plus vague, et par conséquent plus élastique; on s'en empare, et c'est ainsi que, dans les procès de la presse, nous voyons revenir sans cesse ces accusations banales d'attaque contre l'autorité constitutionnelle du Roi et des Chambres, de provocation à la désobéissance aux lois, d'outrages à la morale publique.

Voilà précisément ce qui est arrivé dans le procès de M. Courier. On ne l'accusait pas seulement, dans le principe, d'outrage à la morale publique d'autres textes avaient été essayés: mais leur rédaction, trop précise, n'a pas permis de s'en servir; il a fallu les abandonner. L'ou trage à la morale publique est resté seul, parce que le sens de ces termes, fixé, à la vérité, aux yeux des jurisconsultes, offre pourtant, aux personnes qui n'ont point étudié la législation, une sorte de latitude et d'arbitraire dont l'accusation peut profiter.

Aussi, remarquez avec quel soin l'accusation a évité

[ocr errors]

de définir la morale publique. En bonne logique, pourtant, c'est par cette définition qu'elle aurait dû commencer la première chose à faire, quand on signale un délit, c'est d'expliquer en quoi consiste ce délit: et c'est la première chose que l'accusation ait oubliée ! Cela s'explique facilement: son intérêt est d'éluder les définitions, afin que le vague qui peut exister dans les termes de la loi favorise l'extension illimitée qu'elle cherche à leur donner. Nous, dont l'intérêt, au contraire, est de tout éclaircir, nous suivrons une marche opposée, et nous nous demanderons, avant d'entrer dans la discussion, ce que la loi entend par le délit d'outrage à la morale publique.

Pourquoi lisons-nous dans la loi ces mots : outrage à la morale PUBLIQUE? Pourquoi le législateur n'a-t-il pas dit simplement : les outrages à la morale? Que signifie cette épithète (publique) qu'il a cru devoir ajouter?

Messieurs, il faut le reconnaître : ces expressions sont un avertissement donné par le législateur aux fonctionnaires chargés de poursuivre les délits; un avertissement de ne point intenter d'accusations téméraires, de ne point faire du code pénal, le vengeur de leurs doctrines personnelles, de ne point voir une infraction dans ce qui pourrait contrarier leurs opinions particulières. La morale du législateur n'est point la morale d'un homme, d'une secte, d'une école : c'est cette morale absolue, universelle, immuable, contemporaine de la société ellemême, toujours constante au milieu des vicissitudes so

ciales, émanée de la Divinité, et supérieure à toutes les opinons humaines; qui n'est point de réflexion mais de sentiment, point de raisonnement mais d'inspiration; qu'on ne trouve point autre à Paris, autre à Philadelphie. C'est cette morale qui sanctionne la foi des engagements, consacre la couche conjugale, unit par un lien sacré les pères et les enfants; c'est elle qui flétrit le mensonge, le larcin, le meurtre, l'impudicité : c'est celle-là seule qui prend le nom de morale publique, parce que, fondée sur l'assentiment de tous les hommes, elle a son témoignage, sa garantie dans la conscience publique.

Quel est donc l'écrivain qui outrage la morale publique ? C'est celui qui ose mentir à l'honnêteté naturelle, à la conscience universelle; celui dont le langage soulève dans tous les cœurs le mépris et l'indignation. N'allez point chercher ailleurs les caractères d'un tel délit. Ici, toute argumentation est vaine : le cri de la conscience outragée, voilà le témoignage que l'accusation doit invoquer; c'est la voix du genre humain qui doit prononcer la condamnation.

Si l'écrit qui vous est déféré outrageait en effet la morale publique, vous n'eussiez point supporté de sang-froid la lecture des passages inculpés. Vos murmures auraient à l'instant même révélé votre horreur et votre indignation: un cri de réprobation se serait élevé parmi vous vos regards se seraient détournés avec dégoût de l'auteur immoral, et votre conscience n'aurait pas attendu pour se soulever les sillogismes d'un orateur.

Est-ce là, j'ose vous le demander, l'impression qu'a produite sur vos esprits la lecture de l'ouvrage? Avezvous ressenti du dégoût, de l'indignation? de l'horreur excitée par l'écrit, avez-vous passé au mépris pour l'auteur? Non, je ne crains pas de le proclamer devant vous-mêmes; non, telle n'est point l'impression que vous avez éprouvée. Je pose en fait qu'il n'est point dans cette enceinte un seul homme, je n'en excepte pas même l'orateur de l'accusation, qui, au sortir de cette audience, refusât de se trouver dans le même salon avec l'écrivain qu'on accuse; qui n'y conduisît ses enfants; qui ne s'honorât d'une telle société. Condamnez maintenant l'écrivain immoral et scandaleux !

Non, ce n'est pas contre des écrits tels que celui qui nous occupe qu'est dirigée la sévérité des lois. Les lois ont voulu frapper ces auteurs infâmes qui se jouent de ce qu'il y a de plus sacré, et dont les pages révoltant es font frémir à-la-fois la pudeur et la nature. C'est contre ces écrits monstrueux que le législateur s'est armé d'une juste rigueur; c'est contre eux qu'il a voulu donner des garanties à la société; et qu'il me soit permis de m'étonner que ses intentions aient pu être méconnues au point de traduire un père de famille estimable, un écrivain distingué, un citoyen honorable, sur le banc préparé pour les de Sades et pour les Arétins.

C'est en vain que dans un discours travaillé avec un art digne d'une meilleure cause, on a cherché à vous faire illusion sur vos propres impressions, à déguiser sous l'é

clat des ornements oratoires, la nullité de l'accusation. Que signifient, dans une accusation d'outrage à la morale publique, ces argumentations, ces insinuations artificieuses, ces inductions subtiles, ces déclamations éloquentes? Quoi! la morale publique est outragée, et il faut que le ministère public vous en fasse apercevoir ! Quoi! la morale publique est outragée, et il faut que l'élégante indignation d'un orateur vienne vous avertir de vous indigner! Ah! la discussion du ministère public prouve du moins une chose, c'est que, puisqu'il est besoin de discuter pour établir l'outrage à la morale publique, il n'existe point d'outrage à la morale publique.

Toutefois, examinons cette discussion elle-même, et puisqu'on vous a parlé du caractère général de l'ouvrage et du caractère particulier des passages attaqués, suivons l'accusation dans la double carrière qu'elle s'est tracée.

Considéré dans son caractère-général, l'écrit de M. Courier est, je ne crains pas d'en convenir, une critique de la souscription de Chambord. L'acquisition de ce domaine lui paraît une mauvaise affaire pour le prince, pour le pays, pour Chain bord même.

Pour le prince : Ce n'est pas lui qui en profitera; ce seront les courtisans: ce sacrifice imposé aux communes, en son nom, affaiblira l'affection dont il a besoin pour régner enfin, le séjour de Chambord, plein de souvenirs funestes pour les mœurs, pourra corrompre sa jeu

nesse.

Pour le pays: La cour viendra l'habiter; les fortunes

« PreviousContinue »