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cette affaire, croyant plaider sa propre cause et combattre pour ses foyers, il y aura mis tout son savoir. Il prononça un discours long, et que peu de gens auront lu imprimé dans le Moniteur, mais que personne ne comprendrait si on le rapportait ici, tant les pensées en sont obscures, le langage impropre. C'est vraiment une chose étrange à concevoir que cette barbarie d'expression dans les apôtres du grand siècle. Les amis de Louis XIV ne parlent pas sa langue. On entend célébrer Bossuet, Racine, Fénélon en style de Marat, et la cour polie en jargon des antichambres de Fouché. Il y en a chez qui cette bizarrerie passe toute créance; et si je citais une phrase comme celle-ci, par exemple: Qui profitera d'un bon coup? Les honnêtes gens? Laissez done. Ils sont si bêtes! vous la croiriez de quelque valet, et des moins éduqués. Elle est du marquis de Castelbajac, imprimée sous son nom, dans le Conservateur. Ainsi parlent ces gens nés autrement que nous, c'est-à-dire bien nés, qui se rangent à part, avec quelque raison; classe privilégiée, supérieure, distinguée. Voilà leur langage familier. Veulent-ils s'exprimer noblement ? ce ne sont qu'altesses, majestés, excellences, éminences. Ils croient que le style noble est celui du blason. Malheur des courtisans, ne point connaître le peuple, qui est la source de tout bon sens. Ils ne voient en leur vie que des grands et des laquais, leur être se compose de manières et de bassesses.

Je dis donc, revenant à maître de Broë, que pour ceux qui l'emploient,

C'est un homme impayable, et qui par son adresse,
Eût fait mettre en prison les sept sages de Grèce

comme mauvais sujets, perturbateurs. Sa prose est bonne pour les jurés, s'ils sont amis de M. Réglet. Mais à moins de cela, on ne saurait y prendre plaisir. Son discours, qui d'abord ennuie dans la Gazette officielle, assomme au second paragraphe; et par cette considération, je renonce à le placer ici, comme je voulais, si je n'eusse craint d'arrêter tout court mes lecteurs. Car, qui pourrait tenir à ce style: Un exécrable forfait avait privé la France d'un de ses meilleurs princes. Un espoir restait toutefois. Un prodige, une royale naissance, bien plus miraculeuse que celle dont nos aïeux furent témoins, se

renouvela. Un cri de reconnaissance et d'admiration se fit entendre. Une antique et auguste habitation avait fait partie des apanages de la couronne. Une pensée noble se présenta tout à coup, et elle fut répétée; elle fut suivie de l'exécution, ce fut à l'amour qu'un appel fut adressé.

Ouf! demeurons-en lå sur l'appel à l'amour. Si vous ne dormez pas, cherchez-moi, je vous prie, par plaisir inventez, imaginez quelque chose de plus lourd, de plus maussade et de plus monotone que cette psalmodie de maître. de Broë, par laquelle il exprime pourtant son alégresse. L'auteur de la brochure n'y a point mis d'alégresse, dit maître de Broë, qui, pour cette omission, le condamne à la prison. Lui, de peur d'y manquer, il commence par là, et d'abord se réjouit.

D'aise on entend sauter la pesante baleine (1).

Mais il a un peu l'air de se réjouir par ordre, par devoir, par état, et on lui dirait presque comme le président disait à Paul-Louis : Sont-ce là les pensées qu'a pu vous inspirer la royale naissance? Est-ce ainsi que le cœur parle? une si triste joie, un hymne si lugubre, sont plus suspects que le silence. Ne poussons pas trop cet argument, de peur d'embarrasser le pauvre magistrat. Car il ne faudrait rien pour faire de son alégresse une belle et bonne offense à la morale publique, et même à la personne du prince, s'il est vrai

qu'un froid panégyrique

Déshonore à-la-fois le héros et l'auteur.

Abrégeons son discours, au risque de donner quelque force à ses raisons, en les présentant réunies. Voici ce notable discours, brièvement, compendieusement traduit de baragoin en français, comme dit Panurge.

Il commence par son commencement. Car on assure qu'il n'en a qu'un pour toutes les causes de ce genre: le duc de Berry est mort; le duc de Bordeaux est né. On a voulu offrir Chambord au jeune prince. Eloge de Chambord et de la souscription.

A cet exorde déjà long, et qui remplirait plusieurs pages, il en fait succéder un autre non moins long, pour fixer, dit-il, le terrain, c'est-à-dire le point de la question, comme on parle communément.

(1) Homère.

Il ne s'agit pas d'un impôt dans la souscription proposée pour l'acquisition de Chambord, et le mot même indique un acte volontaire. De quoi donc s'avise PaulLouis de contrarier la souscription, qui ne l'oblige point, ne lui coûtera rien? C'est fort mal fait à lui. Cela le déshonore. Vous ne voulez pas souscrire? eh bien, ne souscrivez pas. Qui vous force? Un moment, de grâce entendons-nous, M. l'avocat-général. Je ne souscrirai pas, sans doute, si je ne veux; car je n'ai point d'emploi, de place qu'on me puisse ôter. Je ne cours aucun risque, en ne souscrivant pas, d'être destitué. Mais je paierai pourtant, si ma commune souscrit; je paierai malgré moi, si mon maire veut faire sa cour à mes dépens. Et quand je dis doucement: je ne veux pas payer, vous, monsieur de Broë, vous criez: en prison, ajoutant que je suis maître, qu'il dépend bien de moi, que la souscription est toute volontaire, que ce n'est pas un impôt. Comment l'entendez-vous?

Or, cette pensée noble, cette récompense noble, cette souscription noble et libre, comme on voit, l'auteur entreprend de l'arrêter. Il veut empêcher de souscrire les gens qui en seraient tentés, paralyser l'élan, glacer l'élan des cœurs un peu plus généreux que le sien, tandis que maître Jean, par de nobles discours, chauffe l'élan des cœurs. Mais ne le copions pas; j'ai promis de le traduire, et de l'abréger surtout, afin qu'on puisse le lire.

Voilà l'objet de la brochure. Elle est écrite contre l'élan, et on ne saurait s'y méprendre. Puis il y a des ac

cessoires, des diatribes contre les rois, les prêtres et les nobles.

Il est vrai que l'auteur ne parle pas des prêtres, ou n'en dit qu'un seul mot bien simple, et que partout il loue les princes. Mais ce sont des parachutes. Il ne pense pas ce qu'il dit des princes, et pense ce qu'il ne dit pas des prêtres.

Deux remarques ensuite: 1°. L'auteur ne s'afflige point de la mort du duc de Berry, ne se réjouit point de la naissance du duc de Bordeaux. Il n'a pas dit un mot de mort ni de naissance. Il n'y a ni alégresse ni désolation dans sa brochure. 2°. L'auteur parle du jeune prince comme d'un enfant à la mamelle. Il dit le maillot, simplement, sans dire l'auguste maillot; la bavette, et non pas la royale bavette. Il dit, chose horrible, de ce prince, qu'un jour son métier sera de régner.

Après s'être étendu beaucoup sur tous ces points, maître de Broë déclare enfin qu'il ne s'agit pas de tout cela. Ce n'est pas là-dessus que porte l'accusation, dit-il, On n'attaque pas le fond de la brochure, ni même les accessoires dont nous venons de parler, mais des propositions incidentes seulement. Là-dessus il s'écrie: Voilà le terrain fixé.

Puis il entame un autre exorde.

Dans les affaires de cette nature, on n'examine que les passages déterminés suivant la loi par l'acte même d'accusation. Or, il y en a quatre ici.

La loi est fort insuffisante. Les écrivains sont si adroits,

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