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mire et nous charge d'exécuter. On avait vu de tels dons payer de grands services, des actions éclatantes; Eugène, Marlboroug, à la fin d'une vie toute pleine de gloire, obtinrent des nations qu'ils avaient su défendre ces témoignages de la reconnaissance publique ; et Chambord même, sans chercher si loin des exemples, qu'on veut donner au prince pour sa layette, fut au comte de Saxe le prix d'une victoire qui sauva la France à Fontenoi. La France par lui libre, je veux dire indépendante, délivrée de l'étranger, au-dedans florissante, respectée au-dehors, fit présent de cette terre à son libérateur, qui s'y vint reposer de trente ans de combats. Monseigneur n'a encore que six mois de nourrice, et, il faut en convenir, de Maurice vainqueur au prince à la bavette, il y a quelque différence, à moins qu'on ne veuille dire peut-être que, commençant sa vie où l'autre a fini la sienne, il finira par où Maurice a commencé, par nous débarrasser des puissances étrangères. Je le souhaite et l'espère du sang de ce Henri qui chassa l'Espagne de France; mais le payer déjà, je crois que c'est folie; et n'approuve aucunement qu'il ait ses invalides avant de sortir du maillot. Récompenser l'enfant d'être venu au monde, comme le capitaine qui gagna des batailles, et par d'heureux exploits, acquit à ce pays et la paix et la gloire, c'est ce qu'on n'a point vu, c'est là l'idée nouvelle, qui ne nous fût pas venue sans l'avis officiel. Pour inventer cela, et mettre à la place des hulans du comte de Saxe les dames du berceau, il faut avoir non pas l'esprit, mais le génie de l'adulation, qui ne

se trouve que là où ce genre d'industrie est puissamment encouragé ; ce trait sort des bassesses communes, et met son auteur, quel qu'il soit, hors du gros des flatteurs de cour. Il se moque fort apparemment de ses camarades qui, marchant dans la route battue des vieilles flagorneries usées, ne savent rien imaginer; on va l'imiter maintenant jusqu'à ce qu'un autre aille au-delà.

Quand le gouverneur d'un roi enfant dit à son élève jadis: Maître, tout est à vous; ce peuple vous appartient, corps et biens, bêtes et gens; faites-en ce que vous voudrez; cela fut remarqué. La chambre, l'antichambre et la galerie répétérent : Maître, tout est à vous, qui, dans la langue des courtisans, voulait dire tout est pour nous, car la cour donne tout aux princes, comme les prêtres tout à Dieu; et ces domaines, ces apanages, ces listes civiles, ces budgets ne sont guères autrement pour le roi que le revenu des abbayes n'est pour Jésus-Christ. Achetez, donnez Chambord, c'est la cour qui le mangera; le le prince n'en sera ni pis ni mieux. Aussi ces belles idées de nous faire contribuer en tant de façons, viennent toujours de gens de cour, qui savent très-bien ce qu'ils font en offrant au prince notre argent. L'offrande n'est jamais pour le saint, ni nos épargnes pour les rois, mais pour cet essaim dévorant qui sans cesse bourdonne autour d'eux depuis leur berceau jusqu'à Saint-Denis.

Car, après la leçon du sage gouverneur, au temps dont je vous parle, bon temps, comme vous savez, les princes ayant appris une fois et compris que tout était à eux, on

leur enseignait à donner; un précepteur, abbé de cour, en lisant avec eux l'histoire, leur faisait admirer cet empereur Titus, qui, dit-on, donnait à toutes mains, croyant perdu le jour qu'il n'avait rien donné, qu'on n'alla jamais voir sans revenir heureux, avec une pension, quelque gratification ou des coupons de rente; prince adoré de tout ce qui avait les grandes entrées ou qui montait dans les carrosses. La cour l'idolâtrait, mais le peuple? le peuple? il n'y en avait pas: l'histoire n'en dit mot. Il n'y avait alors que les honnêtes gens, c'està-dire les gens présentés: c'était là le monde, tout le monde, et le monde était heureux. Faites ainsi, mon maître, vous serez adoré, comme ce bon empereur; la cour vous bénira, les poètes vous loueront, et la postérité en croira les poètes. Voilà les éléments d'histoire qu'on enseignait alors aux princes. Peu de mention d'ailleurs de ces rois tels que Louis XII et Henri IV, en leur temps maudits de la cour, pour n'avoir su donner comme d'autres faisaient si généreusement, si magnifiquement, avec choix néanmoins. Donner au riche, aider le fort; c'est la maxime du bon temps, de ce bon temps qui va revenir tout à l'heure, sans aucun doute, à moins que jeunesse ne grandisse et vieillesse ne périsse.

Mais la jeunesse croît chez nous, et voit croître avec elle ses princes; je dis avec elle, et je m'entends. Nos enfants, plus heureux que nous, vont connaître leurs princes élevés avec eux, et en seront connus. Déjà voilà le fils aîné du duc d'Orléans, je sais cela de bonne part et vous

le garantis plus sûr que si les gazettes le disaient, voilà le duc de Chartres au collége, à Paris. Chose assez simple, direz-vous, s'il est en âge d'étudier : simple sans doute, mais nouvelle pour les personnes de ce rang. On n'a point encore vu de prince au collège : celui-ci, depuis qu'il y a des colléges et des princes, est le premier qu'on ait élevé de la sorte, et qui profite du bienfait de l'instruction publique et commune; et de tant de nouveautés écloses de nos jours, ce n'est pas la moindre faite pour surprendre. Un prince étudier, aller en classe! un prince avoir des camarades! Les princes jusqu'ici ont eu des serviteurs, et jamais d'autre école que celle de l'adversité, dont les rudes leçons étaient perdues souvent. Isolés à tout âge, loin de toute vérité, ignorant les choses et les hommes, ils naissaient, ils mouraient dans les liens de l'étiquette et du cérémonial, n'ayant vu que le fard et les fausses couleurs étalées devant eux; ils marchaient sur nos têtes, et ne nous apercevaient que quand par hasard ils tombaient. Aujourd'hui, connaissant l'erreur qui les séparait des nations, comme si la clef d'une voûte, pour user de cette comparaison, pouvait en être hors et ne tenir à rien, ils veulent voir des hommes, savoir ce que l'on sait, et n'avoir plus besoin des malheurs pour s'instruire; tardive résolution, qui, plus tôt prise, leur eût épargné combien de fautes, et à nous combien de maux! Le duc de Chartres au collége, élevé chrétiennement et monarchiquement, mais, je pense, aussi un peu constitutionnellement, aura bientôt appris ce qu'à notre grand dommage

dirait

ignoraient ses aïeux, et ce n'est pas le latin que je veux dire, mais ces simples notions de vérités communes que la cour tait aux princes, et qui les garderaient de faillir à nos dépens. Jamais de Dragonnades ni de Saint-Barthélemy, quand les rois, élevés au milieu de leurs peuples, parleront la même langue, s'entendront avec eux sans truchement ni intermédiaire; de Jacquerie non plus, de Ligues, de Barricades. L'exemple ainsi donné par le jeune duc de Chartres aux héritiers des trônes, ils en profiteront sans doute. Exemple heureux autant qu'il est nouveau! que de changements il a fallu, de bouleversements dans le monde pour amener là cet enfant ! Et que le grand roi, le roi des honnêtes gens, Louis-le-Superbe, qui ne put souffrir confondus avec la noblesse du royaume, ses bâtards même, ses bâtards! tant il redoutait d'avilir la moindre parcelle de son sang! Que dirait ce parangon de l'orgueil monarchique, s'il voyait aux écoles, avec tous les enfants de la race sujette, un de ses arrière-neveux, sans pages ni jésuites, suivre des exercices et disputer des prix; tantôt vainqueur, tantôt vaincu; jamais, dit-on, favorisé ni flatté en aucune sorte, chose admirable au collége même (car où n'entre pas cette peste de l'adulation?) croyable pourtant si l'on pense que la publicité des cours rend l'injustice difficile, qu'entre eux les écoliers usent peu de complaisance, peu volontiers cèdent l'honneur, non encore exercés aux feintes qu'ailleurs on nomme déférences, égards, ménagements, et qu'a produits l'horreur du vrai. Là, au contraire, tout se dit, toutes choses

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