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SIMPLE DISCOURS.

Si nous avions de l'argent à n'en savoir que faire, toutes nos dettes payées, nos chemins réparés, nos pauvres soulagés, notre église d'abord (car Dieu passe avant tout), pavée, recouverte et vitrée, s'il nous restait quelque somme à pouvoir dépenser hors de cette commune, je crois, mes amis, qu'il faudrait contribuer, avec nos voisins, à refaire le pont de Saint-Avertin, qui, nous abrégeant d'une grande lieue le transport d'ici à Tours, par le prompt débit de nos denrées, augmenterait le prix et le produit des terres dans tous ces environs; c'est là, je crois, le meilleur emploi à faire de notre superflu, lorsque nous en aurons. Mais d'acheter Chambord pour le duc de Bordeaux, je n'en suis pas d'avis et ne le voudrais pas quand nous aurions de quoi, l'affaire étant, selon moi, mauvaise pour lui, pour nous et pour Chambord. Vous l'allez comprendre, j'espère, si vous m'écoutez; il est fête, et nous avons le temps de causer.

Douze mille arpents de terre enclos que contient le parc de Chambord, c'est un joli cadeau à faire à qui les saurait labourer. Vous et moi connaissons des gens qui n'en seraient pas embarrassés, à qui cela viendrait fort bien;

mais lui, que voulez-vous qu'il en fasse? Son métier, c'est de régner un jour, s'il plaît à Dieu, et un château de plus ne l'aidera de rien. Nous allons nous gêner et augmenter nos dettes, remettre à d'autres temps nos dépenses pressées, pour lui donner une chose dont il n'a pas besoin, qui ne lui peut servir et servirait à d'autres. Ce qu'il lui faut pour régner, ce ne sont pas des châteaux, c'est notre affection; car il n'est sans cela couronne qui ne pèse. Voilà le bien dont il a besoin et qu'il ne peut avoir en même temps que notre argent. Assez de gens là-bas lui diront le contraire, nos députés tous les premiers, et sa cour lui répétera que plus nous payons, plus nous sommes sujets amoureux et fidèles; que notre dévouement croît avec le budget. Mais, s'il en veut savoir le vrai, qu'il vienne ici, et il verra, sur ce point-là et sur bien d'autres, nos sentiments fort différents de ceux des courtisans. Ils aiment le prince en raison de ce qu'on leur donne, nous, en raison de ce qu'on nous laisse ; ils veulent Chambord pour en être, l'un gouverneur, l'autre concierge, bien gagé, bien logé, bien nourri, sans faire œuvre, et peu leur importe du reste. L'affaire sera toujours bonne pour eux, quand elle serait mauvaise pour le prince, comme elle l'est, je le soutiens; acquérant de nos deniers pour un million de terres, il perd pour cent millions au moins de notre amitié : Chambord, ainsi payé, lui coûtera trop cher; de telles acquisitions le ruineraient bientôt, s'il est vrai, ce qu'on dit, que les rois ne sont riches que de l'amour des peuples. Le marché paraît d'or pour lui, car nous don

nons et il reçoit: il n'a que la peine de prendre; mais lui, sans débourser de fait, y met beaucoup du sien, et trop, s'il diminue son capital dans le cœur de ses sujets : c'est spéculer fort mal et se faire grand tort. Qui le conseille ainsi n'est pas de ses amis, ou, comme dit l'autre, mieux vaudrait un sage ennemi.

Mais quoi! je vous le dis, ce sont les gens de cour dont l'imaginative enfante chaque jour ces merveilleux conseils ; ils ont plutôt inventé cela que le semoir de Fehlemberg, ou bien le bateau à vapeur. On a eu l'idée, dit le ministre, de faire acheter Chambord par les communes de France, pour le duc de Bordeaux. On a eu cette pensée ! qui donc? Est-ce le ministre? il ne s'en cacherait pas, ne se contenterait pas de l'honneur d'approuver en pareille occasion. Le prince? à Dieu ne plaise que sa première idée ait été celle-là, que cette envie lui soit venue avant celle des bonbons et des petits moulins! Les communes donc apparemment? non pas les nôtres, que je sache, de ce côté-ci de la Loire, mais celles-là peut-être qui ont logé deux fois les Cosaques du Don. Ici nous nous sentons assez des bienfaits de la Sainte-Alliance: mais c'est toute autre chose là où on a joui de sa présence, possédé Saken et Platow, la naturellement on s'avise d'acheter des châteaux pour les princes, et puis on songe à refaire son toit et ses foyers.

Du temps du bon roi Henri IV, le roi du peuple, le seul roi dont il ait gardé la mémoire, pareils dons furent offerts à son fils nouveau-né; on eut l'idée de faire contri

buer toutes les communes de France en l'honneur du royal enfant, et, de la seule ville de La Rochelle, des députés vinrent apportant cent mille écus en or, somme énorme alors. Mais le roi : C'est trop, mes amis, leur dit-il, c'est trop pour de la bouillie; gardez cela, et l'employez à rebâtir chez vous ce que la guerre a détruit, et n'écoutez jamais ceux qui vous parleront de me faire des présents, car telles gens ne sont vos amis ni les miens. Ainsi pensait ce roi protecteur déclaré de la petite propriété, qui toute sa vie fut brouillé avec les puissances étrangères, et qui faisait couper la tête aux courtisans, aux favoris, quand il les surprenait à faire des notes secrètes.

Ceci soit dit, et revenant à l'idée d'acheter Chambord, avouons-le, ce n'est pas nous, pauvres gens de village, que le Ciel favorise de ces inspirations. Mais qu'importe, après tout? Un homme s'est rencontré, dans les hautes classes de la société, doué d'assez d'esprit pour avoir cette heureuse idée que ce soit un courtisan fidèle, jadis pensionnaire de Fouché, ou un gentilhomme de Bonaparte employé à la garderobe, c'est la même chose pour nous qui n'y saurions avoir jamais d'autre mérite que celui de payer. Laissons aux gens de cour, en fait de flatterie, l'honneur des inventions, et nous, exécutons; les frais seuls nous regardent; il saura bien se nommer l'auteur de celle-ci, demander son brevet, et nous suffise à nous, habitants de Véretz, qu'il ne soit pas du pays.

Elle est nouvelle assurément l'idée que le ministre ad

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