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de Tours, pour quelque information, le firent appeler. Sa réponse fut simple: Il n'avait pas le temps. M. le maire n'a pas le temps. Voilà ce qu'il leur fit dire par son gardechampêtre, qui est l'homme du maire, comme le maire est l'homme du préfet. Quelle dignité dans ce peu de mots à un tribunal assemblé ! M. le maire n'a pas le temps. C'était comme s'il eût dit: M. le maire est à la chasse, ou M. le maire est maintenant dans l'antichambre du préfet; M. le maire fait sa cour: il n'a pas le loisir de comparaître devant les tribunaux. Qu'un maire est grand dans son village! Tout s'empresse à lui plaire; tout tremble à sa parole. Il poursuit, il accable quiconque a le malheur d'attirer son courroux. Il le frappe de son procès-verbal ; et si les juges lui demandent des explications, il répond qu'il n'a pas le temps. Après cela, Messieurs, devez-vous être surpris que M. le maire de Véretz n'ait pas attendu votre arrêt pour me déclarer condamné ! Il y a plutôt de quoi s'étonner qu'il n'ait pás commencé par me mettre en prison.

J'eusse aimé mieux cela que de m'entendre lire à l'église, au prône, ma sentence d'emprisonnement, flétrissure nouvelle et inouie, espèce de carcan inventé pour moi seul, exprès par M. le maire, qui, de sa propre autorité, ajoute cette peine à la peine portée contre moi. J'eusse mieux aimé qu'il doublât la durée de ma détention, et me tint, puisqu'il fait ainsi tout ce qu'il veut, six mois en prison au lieu d'un. Père de famille de soixante ans, me voir diffamé, moi présent, en pleine assemblée, devant tous mes amis, mes voisins, mes parents, tous les

regards sur moi; me voir noté, par le doigt du pasteur, quel affront! quelle honte! J'eusse voulu être mort, et quand je sus que cet affront n'était qu'un plaisir de M. le maire; que les juges n'avaient pu l'ordonner, je ne vous dirai point, Messieurs, ce qui me vint à l'esprit. J'ai soutenu les cruelles épreuves où m'a mis la haine de M. de Beaune, sans que, jusqu'à présent, grâces à Dieu, la prudence m'ait abandonné. Heureusement pour lui, les années m'ont fait sage; il le sait et compte là-dessus : veuille le ciel qu'il ne se trompe pas, et que ma patience dure autant que ses persécutions!

Tous les gens de loi consultés, déclarent cet acte du maire illégal et contraire, non-seulement aux lois, mais aux plus communes notions de police et d'administration, au bon sens. Voilà ce qu'en pensent les gens de loi généralement. Leur chef et le vôtre, Messieurs, dont l'autorité serait grande en cette matière, indépendamment de sa place, Monseigneur le Garde-des-Sceaux, informé de ce fait, sur le simple récit, refusa de le croire, en disant : Cela est impossible; et depuis, convaincu par des preuves de la vérité de ce que d'abord il jugeait impossible, il a dit: Cela est incroyable. J'ose vous citer ces paroles et m'en prévaloir devant vous, parce que ces paroles sont mon bien, dans le malheur où je me trouve, et ont un grand poids, montrant mieux que je ne sauraisfaire, avec quelle audace M. de Beaune a foulé aux pieds toute justice, daus sa conduite à mon égard. Sa conduite, dans cette affaire, a été de tout point incroyable.

Passons sur le serment-qui me coùte cinquante francs. Mais son refus d'autoriser la recherche des bois volés à M. Courier, que vous en semble, Messieurs? Un maire, la seule autorité à laquelle on puisse, loin des villes, recou rir contre les voleurs, se faire ouvertement leur protecteur, le fauteur, le recéleur, en quelque sorte, d'un vol public et manifeste, d'une suite continuelle de vols, cela est-il croyable? y voyez-vous, Messieurs, la moindre vraisemblance? Puis, cette fantaisie de se dire insulté, quand je vais malgré moi (je ne le voulais pas, on m'y força), lui faire une réquisition légale, nécessaire, sur un objet pressant: cela encore se peut-il croire? et cette rage ensuite, cette guerre acharnée, ce soin d'ameuter contre moi tout ce qui peut avoir ombre d'autorité dans le département, ce piége préparé d'une feinte douceur, pour me faire souscrire des aveux propres me perdre; cette publication, cette amplification du jugement qui me condamne, cette signature du greffier, cet extrait prétendu conforme, tout cela, non, Messieurs, ne paraît pas possible, et n'est croyable que pour ceux qui en ont été les témoins, ou qui habitent les campagnes et savent ce que c'est qu'un maire.

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Mais la plainte même, qui fait le fond de ce procès a-t-elle apparence de sens ? et se peut-il qu'un homme, je ne dis plus un maire, mais un homme en âge de raison, hors des faiblesses de l'enfance, se tienne offensé pour un mot (car j'accorde, je veux que je l'aie dit ce mot), , pour un mot, tout au plus grossier, qui n'attaque

ni l'honneur ni la réputation, ni la probité ni les mœurs de celui auquel il s'adresse, et ne peut faire tort qu'à celui qui le prononce? que, pour ce mot, il veuille poursuivre, exterminer un pauvre domestique, qu'il fatigue les juges, entasse des écritures, amène des témoins, remue des gens en place, abuse des actes publics, afin d'obtenir quoi? que ce malheureux, ruiné, malade, diffamé après six mois de chagrins, d'angoisses, languisse un mois dans les prisons.

Un mois, Messieurs! Avant de confirmer cet arrêt, vous y penserez, je l'espère. Qu'un soldat l'eût dit à son chef, ce mot dont se plaint M. de Beaune, on eût mis peut-être ce soldat en prison deux jours ; et pour le même mot, du paysan au maire, vous ordonnerez un mois, non de la même peine. Le soldat deux jours en prison, y voit des soldats comme lui, en sort sans déshonneur, et n'a point de famille dont le sort l'inquiète. Moi, je serais un mois avec des malfaiteurs (on le croira du moins), laissant ma maison désolée et mes enfants à l'abandon ; je les rejoindrais couvert de honte! Quelle différence, Messieurs. Est-ce à vous, juges, d'établir cette différence en faveur de l'homme armé? La loi civile est-elle plus dure que la discipline des camps?

Mais non, Messieurs, non, je n'ai point outragé M. le maire. Même, selon sa déclaration, je ne lui ai rien dit où l'on puisse trouver une injure. Qu'il amasse des preuves, qu'il produise, à l'appui de son procès-verbal, ses fermiers pour témoins, ses débiteurs, ses gens; je ne l'ai

point outragé. Je l'eusse outragé en l'appelant menteur, faussaire, parjure, lâche persécuteur du faible; et j'outragerais qui que ce soit en lui reprochant la moitié de ce que m'a fait M. de Beaune. Mais le mot dont il m'accuse n'est un outrage pour personne. Avec lui, n'user que de ce mot, c'eût été le ménager, c'eût été de ma part une rare prudence, et pourtant, ce mot même, il est vrai que je ne l'ai pas dit.

Ne craignez point d'ailleurs, Messieurs, si vous me renvoyez absous, que l'autorité de M. le maire en soit affaiblie, qu'on le respecte moins pour cela, qu'on ait moins peur de l'offenser. Il n'y a personne dans le pays que mon exemple n'épouvante, et qui ne tremble de gagner un pareil procès. Je n'ai eu, six mois durant, de repos ni jour ni nuit. Je paie des frais énormes, et perds mon travail d'un an. Une coupe de bois dans laquelle j'ai quelqu'intérêt, à peine en ai-je pu faire le quart. N'en doutez point, quoi qu'il arrive, quelque arrêt que vous prononciez, je serai toujours assez puni d'avoir fâché M. de Beaune, et, de long-temps, ceux qui le servent, ne lui demanderont en justice leur salaire, s'ils veulent habiter la commune de Véretz.

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