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PIERRE CLAVIER,

DIT BLONDEAU,

A MESSIEURS LES JUGES

DE POLICE CORRECTIONNELLE

A BLOIS.

MESSIEURS,

J'AI fait de grandes fautes; mais j'en suis trop puni déjà par tout ce que j'ai souffert, et si vous regardez ma conduite, vous verrez qu'il y en a moi, pauvre et simple homme de village, plus de bêtise que de méchanceté.

Ma première faute fut d'entrer au service de M. de Beaune, le maire de notre commune. Je le connaissais. M. de Beaune est un jeune homme vif, emporté, violent dans ses vengeances. Je savais cela, j'aurais dù fuir M. de Beaune et prévoir ce qui m'arrive; mais quoi? il fallait vivre; je n'avais point d'autre ressource, et il n'était pas maire encore; il ne faisait point de procès-verbaux ; en le servant, on ne risquait que d'être assommé. J'entrai chez lui, et me conduisis avec tant de prudence, qu'au bout

de deux ans, j'en sortis sans contusion ni blessure. En cela, je ne fus pas bête.

Mais malheureusement, il était maire alors. En me renvoyant, M. le maire ne me payait pas mes gages de trois mois, cinquante francs qu'il me devait; je les lui demandai. Ce fut ma seconde faute, pire que la première: pour moi, dans le besoin, sans place, sans travail, cinquante francs, c'était beaucoup; ce n'était rien pour M. de Beaune. Et que pensez-vous qu'il me dit, quand je lui demandai mon argent? Tu me le paieras, me dit-il, et jamais, Messieurs, je n'en pus tirer autre chose.

Moi, Messieurs, voyant cela, je le fis assigner. Ah! faute irréparable! mon supérieur, mon maire, le plus riche propriétaire de toute la commune, l'attaquer en justice! moi pauvre paysan, domestique renvoyé, lui demander mon dû! Je fis cette folie dont je me repens bien, et vous jure que de ma vie, dussé-je mourir de faim, jamais plus ne m'arrivera de faire assigner un maire. Aussi bien que sert-il? M. de Beaune comparut devant le juge de paix, fit serment, leva la main qu'il ne me devait rien, et je perdis mes cinquante francs, et toujours: Tu me le paieras. Il m'a tenu parole; je lui paie bien l'argent qu'il me devait.

Dès-lors, on me conseilla de quitter le pays. Va-t'en, Blondeau, va-t'en, me dit un de nos voisins. Que veuxtu faire ici ayant fâché le maire? le maire est plus maître ici que le roi à Paris. Procès, amende, prison, voilà ce qui t'attend. Plus de repos pour toi, plus de travail pai

sible. Tu ne mangeras plus morceau qui te profite, ayant fâché le maire. Va-t'en, pauvre Blondeau.

Il n'avait que trop de raison de me parler ainsi. Je devais le croire, partir, vendre mon quartier de terre, emmener ma famille. Mais environ ce temps, je trouvai à me placer fort avantageusement, à ce qu'il me semblait. Monsieur Courier me prit pour garde de ses bois, et je me crus heureux d'entrer à son service. Je pensais qu'étant chez lui, qui passe pour bon homme, quoique peu gens l'aient vu, et que personne ne le connaisse, je pourrais vivre tranquille. En cela, je me trompais, comme vous allez voir.

de

Je fus accusé, peu après, d'avoir dit à M. le maire, causant avec lui dans son parc: Allez vous promener. C'est la déposition de quelques-uns des témoins que vous avez entendus. D'autres disent que j'ai dit: Allez vous faire f.....; d'autres enfin prétendent que je n'ai rien dit du tout. L'affaire était sérieuse. J'avais tout à redouter, vu le nombre et le crédit de ceux qui m'attaquaient, car chacun s'en mêlait. Le maire portait plainte, le procureur du roi me poursuivait à outrance; le domaine me menaçait de m'ôter mon état de garde particulier. Le préfet même daigna, et plus d'une fois, écrire aux juges contre moi. Les puissances de Tours étaient coalisées pour écraser Blondeau.

Et l'occasion de tout cela, c'est qu'en effet j'avais parlé à M. le maire; grande imprudence assurément. Si j'eusse pu m'en dispenser! Mais le moyen? On avait volé quatre

gros arbres dans nos bois, et ces arbres, pour les saisir chez les voleurs assez connus, il me fallait non-seulement l'autorisation de M. le maire, mais sa présence, suivant la loi. Je fus le trouver et le requis, mon procèsverbal à la main, de m'accompagner, et je lui fis lecture de la loi, le tout en vain; il refusa, et fut cause que huit jours après on nous coupa vingt autres arbres choisis dans toute la forêt, les plus grands de tous, les plus beaux, et avec le même succès: et depuis, une autre fois encore...., mais ce n'est pas de quoi il s'agit. Il refusa de m'accompagner, sans autre raison que son plaisir, et de-là même, prit prétexte de me faire un procès, de se plaindre, disant que je l'avais insulté. Quelle apparence? je n'en fis que rire. Mais me voyant tant d'ennemis, et que tous ceux qui pouvaient me nuire, s'y employaient avec chaleur, j'eus recours à M. Courier. Je lui dis: Aidezmoi; la chose vous regarde. Parlez; faites agir vos amis. Mais il me répondit: Mes amis sont à Rome, à Naples, à Paris, à Constantinople, à Moscou. Mes amis s'occupent beaucoup de que l'on faisait il y a deux mille ans, peu de ce qu'on fait à présent. S'il est ainsi, lui dis-je, qui me protégera? qui prendra ma défense? j'ai contre moi tout le monde.

Alors il me répond: Blondeau, que vous êtes simple. Mettez le feu à mes bois, au lieu de les garder, et vous ne manquerez pas de protecteurs. Vous aurez pour appui tout ce qui pense bien dans le département. L'homme le plus méprisé, le plus vil, le plus abject de la province

entière, a trouvé des amis, des parents, même parmi les magistrats de Tours, dès qu'il m'a voulu faire quelque mal; et pour avoir chassé ma femme de chez elle, il va recevoir de moi deux mille francs à titre de dommages et intérêts. Le fripon qui me vola, l'an passé, la moitié d'une coupe de bois, obtient de l'équité des juges un léger encouragement de huit cents francs, que je lui paie comme indemnité. Ces gens-ci aujourd'hui, sous la sauve-garde de toutes les autorités, coupent mes plus beaux arbres, les serrent paisiblement chez eux; défense de les troubler. Demain, ils me plaideront sur le vol qu'ils m'ont fait, et gagneront assurément. Faites comme eux; vous serez fa→ vorisé de même. Si, au lieu de me piller, vous défendez mon bien, vous irez en prison; attendez-vous à cela.

Tout comme il l'avait dit, la chose est arrivée. Je fus jugé, ou, pour parler exactement, je fus condamné à un mois de prison, sans preuves, sans audition de témoins. Les témoins, vous le savez, n'ont été entendus que depuis, ici, devant vous, Messieurs, après mon appel de la sentence rendue à Tours contre moi. A Tours, les juges n'ont pas voulu, sans doute de peur de scandale, examiner si j'avais dit: Allez vous promener, ou allez vous faire f.....; question délicate qui roulait sur la différence de promener à l'autre mot. Il fut décidé, sur le seul procès-verbal de M. le maire, que je l'avais outragé; en conséquence on me condamne à un mois de prison. Mes amis trouvent que j'en suis quitte à bon marché. Car il eût pu tout aussi bien mettre sur son procès-verbal que je l'avais volé ou

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