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Le deuil enfin sert de parure

En attendant d'autres atours.
Toute la bande des amours

Revient au colombier; les jeux, les ris, la danse

Ont aussi leur tour à la fin;

On se plonge soir et matin

Dans la fontaine de Jouvence.

Le père ne craint plus ce défunt tant chéri ;
Mais, comme il ne parlait de rien à notre belle:
« Où donc est le jeune mari

Que vous m'aviez promis? dit-elle1. »

La jeune veuve est pressée de faire un choix, et la Fontaine l'approuve à quoi bon retarder? « Si vous devez manger un jour, dit Arlequin à une veuve désolée, je vous conseille de le faire tout de suite. » Si vous devez vous remarier un jour, semble dire aussi la Fontaine, faites-le plus tôt que plus tard. Voyez ce qu'il en a coûté à une belle et jeune fille d'avoir trop attendu :

Certaine fille, un peu trop fière,
Prétendait trouver un mari

Jeune, bien fait et beau, d'agréable manière,
Point froid et point jaloux: notez ces deux points-cl.

Cette fille voulait aussi

Qu'il eût du bien, de la naissance,

De l'esprit, enfin tout. Mais qui peut tout avoir?

Le Destin se montra jaloux de la pourvoir :

Il vint des partis d'importance.

Liv. VI, fable 21.

La belle les trouva trop chétifs de moitié :

« Quoi moi! quoi ces gens-là! l'on radote, je pense;
A moi les proposer! Hélas! ils font pitié :
Voyez un peu la belle espèce ! »

L'un n'avait en l'esprit nulle délicatesse;
L'autre avait le nez fait de cette façon-là;
C'était ceci, c'était cela;

C'était tout, car les précieuses

Font dessus tout les dédaigneuses.
Après les bons partis, les médiocres gens
Vinrent se mettre sur les rangs.

Elle de se moquer: « Ah! vraiment je suis bonne
De leur ouvrir la porte! Ils pensent que je suis
Fort en peine de ma personne :
Grâce à Dieu, je passe les nuits

Sans chagrin, quoique en solitude. »
La belle se sut gré de tous ces sentiments.
L'âge la fit déchoir: adieu tous les amants.
Un an se passe, et deux, avec inquiétude;
Le chagrin vient ensuite; elle sent chaque jour
Déloger quelques ris, quelques jeux, puis l'amour;
Puis ses traits choquer et déplaire,

Puis cent sortes de fards. Ses soins ne purent faire
Qu'elle échappât au Temps, cet insigne larron.
Les ruines d'une maison

Se peuvent réparer que n'est cet avantage
Pour les ruines du visage!

Sa préciosité changea lors de langage.

Son miroir lui disait : Prenez vite un mari.
Je ne sais quel désir le lui disait aussi :
Le désir peut loger chez une précieuse.
Celle-ci fit un choix qu'on n'aurait jamais cru;
Se trouvant, à la fin, tout aise et tout heureuse
De rencontrer un malotru 1.

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Eh! dira-t-on, si les filles sont sages de ne pas trop attendre pour se marier, pourquoi les hommes souvent attendent-ils tant? Ou pourquoi, quand ils se sont pressés de se marier, comme avait fait la Fontaine, ont-ils l'air de s'en repentir pendant toute leur vic, comme la Fontaine encore? Est-ce par hasard qu'il y a moins de chances pour les hommes que pour les femmes d'être bien mariés? Je ne sais; mais la Fontaine ne néglige aucune occasion d'attaquer le mariage. La femme, fille ou veuve, a bien des travers; après tout, cependant, la Fontaine leur est volontiers indulgent. Mais pour la femme mariée, il est impitoyable. Le mariage a l'air d'aggraver à l'instant pour lui tous les défauts de la femme. Aussi ne lui parlez pas de se marier : d'abord, il est marié, et sur ce point il sait à quoi s'en tenir. Mais, s'il ne l'était pas, tenez, voici son programme: trouvez une femme qui le remplisse!

Que le bon soit toujours camarade du beau,

Dès demain je chercherai femme;

Mais comme le divorce entre eux n'est pas nouveau,
Et que peu de beaux corps, hôtes d'une belle âme,
Assemblent l'un et l'autre point,

Ne trouvez pas mauvais que je ne cherche point.
J'ai vu beaucoup d'hymens; aucuns d'eux ne me tentent.
Cependant des humains presque les quatre parts
S'exposent hardiment au plus grand des hasards;
Les quatre parts aussi des humains se repentent.
J'en vais alléguer un qui, s'étant repenti,
Ne put trouver d'autre parti

Que de renvoyer son épouse

Querelleuse, avare et jalouse.

Rien ne la contentait, rien n'était comme il faut :
On se levait trop tard, on se couchait trop tôt;
Puis du blanc, puis du noir, puis encore autre chose.
Les valets enrageaient, l'époux était à bout:
Monsieur ne songe à rien, monsieur dépensc tout,
Monsieur court, monsieur se repose.
Elle en dit tant que monsieur, à la fin,
Lassé d'entendre un tel lutin,

Vous la renvoie à la campagne
Chez ses parents. La voilà donc compagne
De certaines Philis qui gardent les dindons,
Avec les gardeurs de cochons.

Au bout de quelque temps qu'on la crut adoucie,
Le mari la reprend. « Eh bien, qu'avez-vous fait ?
Comment passiez-vous votre vie?
L'innocence des champs est-elle votre fait?

Assez, dit-elle; mais ma peine
Était de voir les gens plus paresseux qu'ici ;
Ils n'ont des troupeaux nul souci.

-

Je leur savais bien dire, et m'attirais la haine
De tous ces gens si peu soigneux.

Eh! madame, reprit son époux tout à l'heure1,
Si votre esprit est si hargneux

Que le monde qui ne demeure

Qu'un moment avec vous, et ne revient qu'au soir,
Est déjà lassé de vous voir,

Que feront des valets qui, toute la journée,
Vous verront contre eux déchaînée ?

Et que pourra faire un époux

Que vous voulez qui soit jour et nuit avec vous?

Sur-le-champ.

Retournez au village: adieu. Si de ma vie

Je vous rappelle et qu'il m'en prenne envie,
Puissé-je chez les morts avoir, pour mes péchés,
Deux femmes comme vous sans cesse à mes côtés 1;

Je pourrais encore citer d'autres fables qui ne traitent guère mieux les femmes; je pourrais même citer le conte de Belphegor, ce diable qui, ayant dix ans à rester sur terre et à y mener joyeuse vie, épousa, dès la première année, une fille honnête et belle, mais fière et impérieuse, qui le désespéra, si bien que, s'étant échappé trois fois, mais étant sur le point de retomber sous le joug de sa femme, il aima mieux retourner en enfer avant les dix ans écoulés, que de vivre plus longtemps en mariage.

D'où vient donc qu'ayant ainsi censuré et raillé les femmes, la Fontaine cependant ne leur déplaît pas? D'où vient qu'il a trouvé des protectrices et des amies parmi les plus grandes dames du temps et parmi les plus aimables? D'où vient la faveur que lui témoignait madame la duchesse de Bouillon, l'amitié de madame de la Sablière, l'attachement de madame d'Hervart? il y a un autre grand poëte du dix-septième siècle, Boileau, qui a fait aussi la satire des femmes. A-t-il trouvé grâce devant elles, comme la Fontaine? Non. Les femmes ont senti que le fabuliste les aimait, et

1 Liv. VII, fable 2.

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