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honore sa vie. M. Lavalette, M. Léon Halévy, M. Viennet, nos fabulistes les plus modernes, ne se sont jamais fait faute de railler les ministres et les députés. Je dois même remarquer que, des trois fabulistes que je viens de nommer, celui qui attaque le moins les hommes et les choses du gouvernement parlementaire est celui qui n'a jamais été ministre ni député, M. Léon Halévy. Non pas qu'il n'y ait un peu de politique dans ses fables où n'y en avait-il pas autrefois? mais c'est de la politique toute générale et qui touche de près à la morale, celle qui n'est d'aucun parti et qui s'adresse à tous les hommes. Voyez la fable intitulée le Feu d'artifice :

A Paris... non, à Tombouctou,

La naissance d'un prince (on sait que c'est partout
Des jours les plus heureux l'avant-coureur propice);
Amenait... un feu d'artifice!

Le reste vient plus tard... ou ne vient pas du tout...
La nuit étincelait; la rapide fusée

Sur les ailes du vent s'élançait dans les cieux,
Puis bientôt retombait en ardente rosée...

Les soleils agitaient leur cercle radieux;

C'était un océan de feux,

Soulevant ses flots d'or sous la nue embraséc...
De la foule les cris joyeux

Éclataient, grandissaient, s'élevaient avec eux.
Cependant sur la place où jaillit la lumière,
Au milieu des splendeurs de ce ciel enflammé,
Brûlait modestement un pauvre réverbère,
Pour le bien du passant chaque soir allumé.

D'enfants une troupe moqueuse

Le remarque, et, riant de sa clarté fumeuse :
« Voyez donc, disent-ils; le bel astre vraiment !
Et comme il brille en ce moment! »

Tout en parlant, l'un d'eux jette une pierre,
Une autre la suit, et bientôt
Notre infortuné réverbère

Voit en éclats voler son verre
Et s'éteint sous ce rude assaut.
Pendant cet acte de justice,
On avait tiré le bouquet :

Tout ce grand fracas se mourait,
Et ce feu si brillant, si glorieux... durait
Ce que dure un feu d'artifice.
Chacun alors veut rentrer au logis;

Mais par malheur on n'y voit goutte;

On s'agite, on se presse, on cherche en vain sa route; Les petits sur les grands, les grands sur les petits,

On s'écrase; partout le désordre et les cris,

Plaintes, querelles, gens meurtris;

C'est un tumulte, une déroute

A faire peur aux plus hardis!...
Au loin se répand l'épouvante,

Quand, par bonheur, une main bienfaisante,
Du pauvre réverbère, après de longs efforts,
Ranimant la flamme expirante,

Donne un guide à la foule... On le bénit alors;

A sa lueur modeste on rend plus de justice;

Que dis-je? c'est un Dieu ! c'est un astre, un sauveur!
C'est un flambeau céleste, à la clarté propice !...
Et ce peuple, envers lui de tant d'affronts complice,
Veut maintenant, en son honneur,

Que l'on tire... un feu d'artifice!

A est en cet exemple un utile conseil

Craignons le vain éclat des lueurs mensongères,
Et des rêves trompeurs redoutons le réveil.
Si, dans l'enivrement de ces feux éphémères,
On éteint partout les lumières,
Au sortir d'un chaos pareil,

On bénira, comme un soleil,

Le plus humble des réverbères 1.

Quant à M. Viennet et à M. Lavalette, tous deux députés, Dieu sait quelles libertés ils se donnent! On voit qu'ils frappent en famille. Que dites-vous, par exemple, de la fable du Chêne et du Lierre de M. Lavalette?

Un chêne à la tête superbe

Semblait régner sur les bois d'alentour.
Auprès de lui, rampant sous l'herbe,
L'humble lierre lui dit un jour :

<< Soyez mon protecteur, mon maître;
Souffrez qu'à vous je m'attache, et peut-être,
Si par vous je puis parvenir,

Mon tour viendra de vous servir.

Ah! quel honneur pour moi, seigneur, si votre tête,
Brillante désormais en dépit de l'hiver,

Acceptait mon feuillage vert! »
Devant la vanité, la prudence s'arrête,
Et puis on aime à protéger.

Le lierre donc grimpa, tourna, gagna le faîte;
Mais l'arbre eut à souffrir de ce luxe étranger:
A ses rameaux étreints la séve arrive à peine;
Bientôt se dessèche le tronc,

Et longtemps avant l'âge on vit tomber le chêne
Sous la hache du bûcheron.

1 M. Léon Halévy, Fables, liv. III, fable v, édit.de 1843.

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Le lierre, vil flatteur, veut croître à vos dépens;
Il s'attache à vous; prenez garde!

Plus que vos ennemis redoutez vos clients.

Que pensez-vous de l'Os à ronger de M. Viennet?

Un jeune groom, espiègle assez malin,
Agitant un os dans sa main,

Donnait en plein air audience
Aux chiens et chats de son logis,
Qui, léchant leur museau d'avance
Et sur leur derrière accroupis,
Dévoraient de leurs yeux, brillants d'impatience,
Le rogaton qui leur était promis.

Çà, dit le groom, quel en est le plus digne?
Je prétends le savoir avant de faire un choix.
Rangez-vous tous sur une ligne,

Et que chacun fasse valoir ses droits.

Nuit et jour, dit le dogue, on sait bien que je veille;
En paix, grâce à mes soins, notre maître sommeille;
Et, l'autre jour, un polisson,

Qui médisait de la maison,

Dans ma gueule sanglante a laissé son oreille. —

Le chien qui gardait les brebis

Vante à son tour sa vigilance :
Jamais loups ne l'avaient surpris;
Il imposait par sa vaillance

A ces terribles ennemis.

Un vieux chat, composant sa mine papelarde,

Compta les rats et les souris

Que dans sa vie il avait pris:
Des caves jusqu'à la mansarde
Il n'en restait gros ni petits,
Tant il était de bonne garde.

A la course, à l'arrêt, je puis tout défier,

S'écrie enfin le chien de chasse;

Je flaire à deux cents pas le lièvre et la bécasse,
Et mon maître jamais n'a manqué de gibier.

- C'est bien! vous le servez ainsi qu'il faut le faire,
Dit le groom. C'est très bien! votre zèle est parfait;
Vous en recevrez le salaire.

Et toi, mon griffon, qu'as-tu fait?

– Moi, répond le griffon, dont le poil sec et rêche Se dressait de plaisir à cet appel si doux,

Je n'ai tué ni rats ni loups;

Mais je vous suis partout, je vous aime et vous lèche,
Et me ferais tuer pour vous.

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Mettez, au lieu d'un os, une place importante:
De postulants divers la foule se présente ;
L'un est grand politique ou savant magistrat,
L'autre a pour son pays cent fois risqué sa vie ;
D'autres ont fait briller leurs talents, leur génie,
Leur amour pour le roi, leur zèle pour l'État,
Leur dévouement à la patrie.

On les loue, on les glorifie;,

Mais qu'il arrive un sot dont l'unique valeur

Soit d'être, en toute circonstance,

Le plat valet de monseigneur,

Le sot aura la préférence 1.

1 Fables de M. Viennet, 2 édit., liv. III, fable п.

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