supporter le mal que de le faire, mais à une condition: c'est qu'on lui montre qu'à faire le mal on perd encore plus qu'à le supporter; ou bien sa patience vient d'un sentiment religieux, et ce genre de sentiment ne convient pas en général à la fable. L'autre fable, celle qui représente le genre de sensibilité ou de méditation mélancolique, est d'un auteur qui a fait des tragédies jouées avec succès, qui a été secrétaire général de l'Université sous l'Empire, qui enfin a fait des fables souvent ingénieuses et piquantes, M. Arnault. De ta tige détachée, Pauvre feuille desséchée, Où vas-tu? Je n'en sais rien. Et la feuille de laurier 1. Pièce charmante, mais qui touche plutôt à l'élégie qu'à la fable. C'est le lieu commun de la fragilité des 1 Fables d'Arnault, liv. V, fable xvi, éd. de 1825. choses de ce monde; c'est l'idée du peu qu'est l'homme sous l'empire des événements ou du destin. Pour mieux expliquer le caractère que j'attribue à ce genre de fables, j'en prends une dans un recueil de vers tout moderne, intitulé les Olympiades. Cette pièce exprime la même idée que la Feuille de M. Arnault : D'écume encore blanchi, le sable du rivage Dit au flot qui partait : « Pourquoi quitter ma plage? Braver la haute mer et les vents furieux? »> Tout chagrin du départ des douces hirondelles, Enfin, mêlant sa plainte à la brise automnale, « O feuilles dont l'ombrage abrita ma couvée, Vous perdre en tournoyant sous un souffle mortel? » Il leur fut répondu : « Rien ne vient de nous-mêmes; Ce qui nous pousse ainsi vers un but incertain, Nous tous, feuilles, oiseaux et flots, c'est le destin! » L'idée de la fable de M. Arnault s'est généralisée dans l'apologue moderne, tournant de plus en plus à la méditation philosophique. Le caractère primitif de la fable, c'est-à-dire la leçon faite à nos vices et à nos défauts sous le masque des animaux, disparaît chaque jour davantage. Je retrouve cependant ce caractère dans une autre petite fable de M. Arnault, intitulée le Colimaçon : Sans amis, comme sans famille, Et celle du colimaçon 1. Vraisemblance dans la comparaison, moralité piquante et juste, cette petite fable a presque tous les mérites du genre, Et voilà les hasards de la gloire! M. Arnault a été un des grands dignitaires de l'Université impériale. Il a été souvent applaudi au théâtre comme poëte tragique. Ce sont quelques fables ingé 1 Liv. I, fable iv. nieuses qui sauveront surtout son nom de l'oubli. Un autre dignitaire de l'Empire, le comte François de Neufchâteau, qui fut ministre de l'intérieur, était aussi un fabuliste. La littérature doit avoir un souvenir reconnaissant pour M. François de Neufchâteau, qui aimait les lettres et qui, pendant son ministère, plaça dans les emplois publics le plus qu'il put de poëtes et d'hommes de lettres, parmi ceux qui avaient plus d'esprit que de fortune, si bien que le ministère de l'intérieur semblait devenu une des succursales du Parnasse. Le souvenir reconnaissant que nous devons avoir pour M. François de Neufchâteau ne peut aller jusqu'à admirer ses fables. Il invente comme tous les auteurs modernes; mais ses inventions sont communes, sa morale touche souvent à la civilité puérile et honnête. Je l'aime mieux quand il prend pour sujets d'anciens fabliaux qu'il met en vers avec une facilité aimable : Il fut un temps où nos belles contrées Un paysan, dans ce temps d'esclavage, Il s'est rué sur un des chiens de chasse C'est ma clémence, allons, que je veux suivre; Tous les vilains qui voudraient l'imiter; |