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supporter le mal que de le faire, mais à une condition: c'est qu'on lui montre qu'à faire le mal on perd encore plus qu'à le supporter; ou bien sa patience vient d'un sentiment religieux, et ce genre de sentiment ne convient pas en général à la fable.

L'autre fable, celle qui représente le genre de sensibilité ou de méditation mélancolique, est d'un auteur qui a fait des tragédies jouées avec succès, qui a été secrétaire général de l'Université sous l'Empire, qui enfin a fait des fables souvent ingénieuses et piquantes, M. Arnault.

De ta tige détachée,

Pauvre feuille desséchée,

Où vas-tu? Je n'en sais rien.
L'orage a frappé le chêne
Qui seul était mon soutien.
De son inconstante haleine
Le zéphyr ou l'aquilon
Depuis ce jour me promène
De la forêt à la plaine,
De la montagne au vallon.
Je vais où le vent me mène,
Sans me plaindre ou m'effrayer,
Je vais où va toute chose,
Où va la feuille de rose

Et la feuille de laurier 1.

Pièce charmante, mais qui touche plutôt à l'élégie qu'à la fable. C'est le lieu commun de la fragilité des

1 Fables d'Arnault, liv. V, fable xvi, éd. de 1825.

choses de ce monde; c'est l'idée du peu qu'est l'homme sous l'empire des événements ou du destin. Pour mieux expliquer le caractère que j'attribue à ce genre de fables, j'en prends une dans un recueil de vers tout moderne, intitulé les Olympiades. Cette pièce exprime la même idée que la Feuille de M. Arnault :

D'écume encore blanchi, le sable du rivage

Dit au flot qui partait : « Pourquoi quitter ma plage?
Pourquoi t'aller briser sur les rocs anguleux,

Braver la haute mer et les vents furieux? »>

Tout chagrin du départ des douces hirondelles,
Un enfant leur criait : « Pourquoi, petits oiseaux,
Au toit hospitalier ne pas rester fidèles ?
Pourquoi vous envoler vers des climats nouveaux? »

Enfin, mêlant sa plainte à la brise automnale,
La fauvette des bois demandait tristement
Aux feuilles qui tombaient au gré de la rafale
Et qui tourbillonnaient mystérieusement:

« O feuilles dont l'ombrage abrita ma couvée,
Pourquoi vous détacher de l'arbre paternel,
Et, laissant la forêt de parure privée,

Vous perdre en tournoyant sous un souffle mortel? »

Il leur fut répondu : « Rien ne vient de nous-mêmes;
Nous devons obéir à des arrêts suprêmes;

Ce qui nous pousse ainsi vers un but incertain,

Nous tous, feuilles, oiseaux et flots, c'est le destin! »

L'idée de la fable de M. Arnault s'est généralisée dans l'apologue moderne, tournant de plus en plus à la

méditation philosophique. Le caractère primitif de la fable, c'est-à-dire la leçon faite à nos vices et à nos défauts sous le masque des animaux, disparaît chaque jour davantage. Je retrouve cependant ce caractère dans une autre petite fable de M. Arnault, intitulée le Colimaçon :

Sans amis, comme sans famille,
Ici-bas vivre en étranger;
Se retirer dans sa coquille
Au signal du moindre danger;
S'aimer d'une amitié sans bornes;
De soi seul emplir sa maison;
En sortir, suivant la saison,
Pour faire à son prochain les cornes;
Signaler ses pas destructeurs
Par les traces les plus impures;
Outrager les plus tendres fleurs
Par ses baisers ou ses morsures;
Enfin, chez soi, comme en prison,
Vieillir de jour en jour plus triste,
C'est l'histoire de l'égoïste

Et celle du colimaçon 1.

Vraisemblance dans la comparaison, moralité piquante et juste, cette petite fable a presque tous les mérites du genre, Et voilà les hasards de la gloire! M. Arnault a été un des grands dignitaires de l'Université impériale. Il a été souvent applaudi au théâtre comme poëte tragique. Ce sont quelques fables ingé

1 Liv. I, fable iv.

nieuses qui sauveront surtout son nom de l'oubli. Un autre dignitaire de l'Empire, le comte François de Neufchâteau, qui fut ministre de l'intérieur, était aussi un fabuliste. La littérature doit avoir un souvenir reconnaissant pour M. François de Neufchâteau, qui aimait les lettres et qui, pendant son ministère, plaça dans les emplois publics le plus qu'il put de poëtes et d'hommes de lettres, parmi ceux qui avaient plus d'esprit que de fortune, si bien que le ministère de l'intérieur semblait devenu une des succursales du Parnasse. Le souvenir reconnaissant que nous devons avoir pour M. François de Neufchâteau ne peut aller jusqu'à admirer ses fables. Il invente comme tous les auteurs modernes; mais ses inventions sont communes, sa morale touche souvent à la civilité puérile et honnête. Je l'aime mieux quand il prend pour sujets d'anciens fabliaux qu'il met en vers avec une facilité aimable :

Il fut un temps où nos belles contrées
En mille fiefs se trouvaient séparées.
Vassaux du roi, les moindres suzerains
Étaient chez eux de petits souverains.
La France alors était demi-sauvage.

Un

paysan, dans ce temps d'esclavage,
A son seigneur s'adressa tout tremblant:
«Grand chevalier, prince très-excellent,
Souffrez, dit-il, qu'un sujet ait l'audace,
A vos genoux, d'implorer une grâce!
Qu'est-ce, voyons? Hélas! pour mon péché,
J'ai dans ma cour un porc qui s'est làché;

Il s'est rué sur un des chiens de chasse
De Votre Altesse. Ah! (j'en suis bien fâché)
Mais votre chien... est resté sur la place.
Comment, coquin! Souffrir qu'un chien de race
Soit immolé par un porc roturier!
Puisqu'à mes pieds tu viens t'humilier,

C'est ma clémence, allons, que je veux suivre;
Je veux qu'on paye, à moi, haut justicier,
Cent francs d'amende, et, de plus, qu'on me livre
Ce méchant porc, afin d'épouvanter

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Tous les vilains qui voudraient l'imiter;
C'est par sa mort qu'ils apprendront à vivre :
Chacun saura que le porc d'un rustaud
Doit respecter un mâtin comme il faut.
Mais, monseigneur, dit l'homme de village,
Je me trompais; qu'ai-je dit? Ah! pardon!
Mon trouble avait égaré ma raison :
Car c'est moi seul qui souffre le dommage
Il est constant, dans tout le voisinage,
Que votre chien a tué mon cochon.
C'est, monseigneur, ce que je voulais dire.
En ma faveur puis-je invoquer la loi
Que vous portiez à l'instant contre moi?
Vous êtes juste, et cela doit suffire.
Oui! ton verrat, sans doute, est l'agresseur,
Mon chien est sage et rempli de douceur.
En lui manquant, voilà ce qu'on s'attire.
Je le connais il n'aime point à rire;
Vos animaux sont si mal policés !
Mais le coupable est puni: c'est assez
Pour cette fois. Si tu ne fais en sorte
Que tes cochons soient un peu mieux appris
Et qu'aucun d'eux de sa bauge ne sorte,
Tu n'en seras pas quitte à pareil prix. »
Disant ces mots, Son Altesse à la porte

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