... Dès que tout s'est rendu Tirez-moi de Souci, leur dit la Carienne : Dit la vieille, pourvu que je n'y perde rien? La fable de Lamotte n'a qu'un malheur : c'est de rappeler pour le sujet la fable de la Fontaine, l'Homme puce. C'est la même pensée : et la Par des vœux importuns nous fatiguons les dieux, Souvent pour des sujets même indignes des hommes : Pour tuer une puce il voulait obliger Les dieux à lui prêter leur foudre et leur massue1. Il y a un peu trop d'apparat et de fracas dans la fable de Lamotte, quoique cet apparat soit destiné à pro 1 LA FONTAINE, liv. VIII, f. v. duire un contraste. La Fontaine produit le même contraste d'une manière plus simple, plus naturelle et par conséquent plus piquante. La Motte a fait usage de la mythologie dans une autre fable que j'aime mieux, Mercure et les Ombres. Ici le cadre n'écrase pas le tableau comme dans la Magicienne. Mercure conduisait quatre ombres aux enfers, Item un père de famille, Plus un héros, enfin un grand faiseur de vers. Ils s'entretenaient en chemin. Hélas! dit l'ombre-fille en pleurant son destin, Il me l'a dit cent fois du ton qui se fait croire, De revivre dans sa mémoire. Pour moi, dit l'ombre-père, il me reste là-haut Qui m'aimaient tous du meilleur de leur âme. L'ombre-héros disait : Eh! qu'êtes-vous vraiment Je m'assure qu'en ce moment Les cris du peuple font mon oraison funèbre. Mon nom ne mourra point; du Gange jusqu'à l'Ebre, Croirai-je que quelque autre espère De vivre autant que moi? - Moi! dit le fier rimeur; On me lira partout, on m'apprendra par cœur. Quant à toi, général d'armée, C'est le héros du jour; déjà la renommée Et vous, monsieur l'auteur, qui ne pouviez comprendre La mort, disent-ils tous, a bien fait de vous prendre : Les Ombres se trompaient. Nous faisons même faute : On voit que Lamotte, dans ses fables, ne manque pas d'esprit et de talent; il manque de poésie : il est trop fidèle à son principe, que la prose vaut mieux que les vers. Que ne faisait-il ses fables en prose? Je ne demande pas à tous les fabulistes d'être de grands poëtes comme la Fontaine ; il faut cependant à la fable un de Lamotte, livre II, f. xu. gré de grâce et d'élégance que Lamotte n'atteint pas. Il sait bien que cette grâce et cette élégance sont nécessaires à la fable; il en fait même une règle, car aime les règles et croit les suivre. Souvent, dit-il dans sa fable de l'Éclipse, Souvent un auteur sans adresse Veut être simple : il est grossier. Point de tour trivial, aucune image basse. Apollon veut expressément Que l'on soit rustique avec grâce Et populaire élégamment 1. J'ai déjà cité quelques fables de Richer. Ce n'est pas un grand poëte; mais il est plus poëte que Lamotte, plus facile, plus élégant, plus précis. Son défaut est de ne pas établir un rapport assez exact entre l'histoire et la moralité. L'histoire est piquante et bien contée; mais la moralité qui arrive à la fin ne s'y applique qu'à moitié. Voyez, par exemple, la fable de l'Éléphant et du Singe: Un Éléphant rempli de vanité En personnage d'importance, Disait au Singe un jour : « Quel est donc ton emploi Le lion commande, il est roi; Les rhinocéros, les panthères Sont colonels; le loup est un soldat; Nous sommes, l'ours et moi, des conseillers d'État; 4 Fables de Lamotte, livre II, f. xi. Le renard est agent d'affaires. Il est peu de sujets qui ne soient nécessaires: L'âne est juré crieur. Chacun fait son métier ; Dit le Singe riant de son grave discours. Me préserve le ciel d'être grand politique, Docteur ou suppôt de Plutus! J'aurais mille soucis, et je ne rirais plus. Après cela l'auteur conclut, d'une manière inopinée, avec l'Éléphant, que Le plus utile est le plus sage 1. Cette fable a le tort de désappointer plusieurs fois le lecteur, c'est-à-dire de tromper les conjectures qu'il fait sur le caractère des personnages et sur l'intention de l'auteur. A voir l'air grave et important de l'Éléphant, je suis d'abord tenté de croire que c'est lui dont nous aurons à nous moquer, et je me mets volontiers du parti du Singe, qui rit des ennuis de ceux qui veulent gouverner l'État. Ils ont les honneurs : qu'ils aient les charges! Puis, pourquoi prendrais-je au sérieux les rhinocéros qui sont colonels, les ours qui sont conseil 1 RICHER, liv. IV, f. xix. |