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... Dès que tout s'est rendu
Aux lois de la Magicienne,

Tirez-moi de Souci, leur dit la Carienne :
Où puis-je retrouver le chien que j'ai perdu?
Quoi! fallait-il troubler l'ordre de la nature,
Lui dit Hécate, pour ton chien?
Eh! que m'importe ton allure,

Dit la vieille, pourvu que je n'y perde rien?

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La fable de Lamotte n'a qu'un malheur : c'est de rappeler pour le sujet la fable de la Fontaine, l'Homme puce. C'est la même pensée :

et la

Par des vœux importuns nous fatiguons les dieux,

Souvent pour des sujets même indignes des hommes :
Il semble que le ciel sur tous tant que nous sommes
Soit obligé d'avoir incessamment les yeux,
Et que le plus petit de la race mortelle,
A chaque pas qu'il fait, à chaque bagatelle,
Doive intriguer l'Olympe et tous ses citoyens,
Comme s'il s'agissait des Grecs et des Troyens.
Un sot par une puce eut l'épaule mordue.
Dans les plis de ses draps elle alla se loger.
« Hercule, ce dit-il, tu devrais bien purger
La terre de cette hydre au printemps revenue!
Que fais-tu, Jupiter, que du haut de la nue
Tu n'en perdes la race afin de me venger! »

Pour tuer une puce il voulait obliger

Les dieux à lui prêter leur foudre et leur massue1.

Il y a un peu trop d'apparat et de fracas dans la fable de Lamotte, quoique cet apparat soit destiné à pro

1 LA FONTAINE, liv. VIII, f. v.

duire un contraste. La Fontaine produit le même contraste d'une manière plus simple, plus naturelle et par conséquent plus piquante. La Motte a fait usage de la mythologie dans une autre fable que j'aime mieux, Mercure et les Ombres. Ici le cadre n'écrase pas le tableau comme dans la Magicienne.

Mercure conduisait quatre ombres aux enfers,
Comptons-les: une jeune fille,

Item un père de famille,

Plus un héros, enfin un grand faiseur de vers.
Allant de compagnie au gré du caducée,

Ils s'entretenaient en chemin.

Hélas! dit l'ombre-fille en pleurant son destin,
Que l'on me plaint là-haut! Je lis dans la pensée
De mon amant: il mourra de chagrin.

Il me l'a dit cent fois du ton qui se fait croire,
Que loin de moi le jour ne lui serait de rien;
Que l'amour chaque instant en serrait le lien;
M'aimer, me plaire étaient son plaisir et sa gloire.
S'il ne meurt, je me promets bien

De revivre dans sa mémoire.

Pour moi, dit l'ombre-père, il me reste là-haut
Des enfants bien nés, une femme,

Qui m'aimaient tous du meilleur de leur âme.
Je suis sûr qu'à présent on pleure comme il faut.
Ils me regretterout longtemps sur ma parole.
Les pauvres gens! que le ciel les console!

L'ombre-héros disait :

Eh! qu'êtes-vous vraiment
Près d'un mort comme moi, par cent combats célèbre?

Je m'assure qu'en ce moment

Les cris du peuple font mon oraison funèbre.

Mon nom ne mourra point; du Gange jusqu'à l'Ebre,
D'âge en âge il ira semant l'étonnement.

Croirai-je que quelque autre espère

De vivre autant que moi? - Moi! dit le fier rimeur;
Qu'est-ce qu'Achille auprès d'Homère?

On me lira partout, on m'apprendra par cœur.
Dieu sait comme à présent le monde me regrette.
- Vous vous trompez, héros, père, amante, poëte,
Leur dit le dieu. Toi, la belle aux doux yeux,
Ton amant consolé près d'une autre s'engage.
Toi, père, tes enfants, chiffrant à qui mieux mieux,
Calculent tous tes biens, travaillent au partage;
Ta femme les chicane, et de toi pas un mot;
Chacun ne songe qu'à son lot.

Quant à toi, général d'armée,
On a nommé ton successeur.

C'est le héros du jour; déjà la renommée
Le met bien au-dessus de son prédécesseur.

Et vous, monsieur l'auteur, qui ne pouviez comprendre
Que de vous on pût se passer,

La mort, disent-ils tous, a bien fait de vous prendre :
Vous commenciez fort à baisser.

Les Ombres se trompaient. Nous faisons même faute :
Aux morts comme aux absents nul ne prend intérêt.
Nous laissons en mourant le monde comme il est.
Compter sur des regrets, c'est compter sans son hôte1.

On voit que Lamotte, dans ses fables, ne manque pas d'esprit et de talent; il manque de poésie : il est trop fidèle à son principe, que la prose vaut mieux que les vers. Que ne faisait-il ses fables en prose? Je ne demande pas à tous les fabulistes d'être de grands poëtes comme la Fontaine ; il faut cependant à la fable un de

Lamotte, livre II, f. xu.

gré de grâce et d'élégance que Lamotte n'atteint pas. Il sait bien que cette grâce et cette élégance sont nécessaires à la fable; il en fait même une règle, car aime les règles et croit les suivre. Souvent, dit-il dans sa fable de l'Éclipse,

Souvent un auteur sans adresse

Veut être simple : il est grossier.

Point de tour trivial, aucune image basse.

Apollon veut expressément

Que l'on soit rustique avec grâce

Et populaire élégamment 1.

J'ai déjà cité quelques fables de Richer. Ce n'est pas un grand poëte; mais il est plus poëte que Lamotte, plus facile, plus élégant, plus précis. Son défaut est de ne pas établir un rapport assez exact entre l'histoire et la moralité. L'histoire est piquante et bien contée; mais la moralité qui arrive à la fin ne s'y applique qu'à moitié. Voyez, par exemple, la fable de l'Éléphant et du Singe:

Un Éléphant rempli de vanité
Et qui tenait sa gravité

En personnage d'importance,

Disait au Singe un jour : « Quel est donc ton emploi
Parmi les animaux? Tu n'en as point, je pense.

Le lion commande, il est roi;

Les rhinocéros, les panthères

Sont colonels; le loup est un soldat;

Nous sommes, l'ours et moi, des conseillers d'État;

4 Fables de Lamotte, livre II, f. xi.

Le renard est agent d'affaires.

Il est peu

de sujets qui ne soient nécessaires:
Le lièvre nous sert de courrier;

L'âne est juré crieur. Chacun fait son métier ;
Toi seul es fainéant. Que je plains ta misère !
C'est un pesant fardeau que n'avoir rien à faire.
Sans doute, il doit bien t'ennuyer.
-M'ennuyer! vous n'y pensez guère,

Dit le Singe riant de son grave discours.
Les ennuis sont pour vous, pour nosseigneurs les ours,
Qui gouvernez la république.

Me préserve le ciel d'être grand politique,

Docteur ou suppôt de Plutus!

J'aurais mille soucis, et je ne rirais plus.

Après cela l'auteur conclut, d'une manière inopinée, avec l'Éléphant, que

Le plus utile est le plus sage 1.

Cette fable a le tort de désappointer plusieurs fois le lecteur, c'est-à-dire de tromper les conjectures qu'il fait sur le caractère des personnages et sur l'intention de l'auteur. A voir l'air grave et important de l'Éléphant, je suis d'abord tenté de croire que c'est lui dont nous aurons à nous moquer, et je me mets volontiers du parti du Singe, qui rit des ennuis de ceux qui veulent gouverner l'État. Ils ont les honneurs : qu'ils aient les charges! Puis, pourquoi prendrais-je au sérieux les rhinocéros qui sont colonels, les ours qui sont conseil

1 RICHER, liv. IV, f. xix.

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