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Et non pas d'un discours si frivole et si vain.
Encore un coup, tends-moi la main.

Mais le Renard continuant son discours :

Crois-moi, la vie est peu de chose;

Ce n'est qu'un tissu de chagrins,
Et c'est en vain qu'on se propose
De s'y faire d'heureux destins.

Adieu! que le ciel te console 1.

La fin du sermon du Renard est excellente. C'est là vraiment le genre de comédie propre à la fable.

Lenoble, dans quelques-unes de ses fables, a le mérite de ressembler de temps en temps à la Fontaine. Fénelon, dans les fables en prose qu'il faisait, en se jouant, pour l'éducation du duc de Bourgogne, ne songe pas le moins du monde à la Fontaine. Il s'en rapproche cependant par l'agrément et le charme du récit, s'il s'en éloigne par le sujet. Fénelon, en effet, ne vise pas à instruire le public: il n'a pas de public, il n'a qu'un élève. C'est cet élève qu'il faut avertir, prenant pour occasions les divers incidents de l'éducation, et faisant une fable conforme à la leçon qu'il s'agit de donner au jeune prince, afin de mieux graver la leçon dans son esprit. Tout bonhomme qu'il est, la Fontaine a ses préoccupations littéraires; Fénelon n'a aucune préoccupation de ce genre: il ne veut que faire comprendre

OEuvre de Lenoble, t. XIV, p. 315.

à son élève quelques-unes de ces vérités que les princes ont de la peine à se mettre dans l'esprit. Si la fable dans laquelle il enveloppe la vérité est gracieuse et piquante, il le faut pour attirer l'attention de l'élève, et, de plus, le génie de Fénelon est si heureux qu'il ne peut rien dire qui n'ait cette grâce simple et ingénue qui est aussi le propre du génie de la Fontaine, mais qui, chez Fénelon, se mêle sans effort aux pensées les plus graves. L'agrément abonde si naturellement dans Fénelon, qu'à lire ses fables on peut hésiter un instant à croire qu'il y a là une leçon il semble qu'il n'y a qu'un plaisir que le précepteur a voulu donner à l'élève. Je prends, pour justifier ce que je viens de dire, la fable intitulée Histoire d'une vieille reine et d'une jeune paysanne.

<< Il était une fois une reine si vieille, si vieille, qu'elle n'avait plus ni dents ni cheveux; sa tête branlait comme les feuilles que le vent remue; elle ne voyait goutte, même avec ses lunettes; le bout de son nez et celui de son menton se touchaient; elle était rapetissée de la moitié et toute en un peloton, avec le dos si courbé qu'on aurait cru qu'elle avait toujours été contrefaite. Une fée, qui avait assisté à sa naissance, l'aborda et lui dit :

<< -Voulez-vous rajeunir?

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Volontiers, répondit la reine; je donnerais tous mes joyaux pour n'avoir que vingt ans.

«Il faut donc, continua la fée, donner votre vieillesse à quelque autre, dont vous prendrez la jeunesse et la santé. A qui donnerons-nous vos cent

ans?

<< La reine fit chercher partout quelqu'un qui voulût être vieux pour la rajeunir. Il vint beaucoup de gueux qui voulaient vieillir pour être riches; mais, quand ils avaient vu la reine tousser, cracher, râler, vivre de bouillie, être sale, hideuse, puante, souffrante et radoter un peu, ils ne voulaient plus se charger de ses années, ils aimaient mieux mendier et porter des haillons. Il venait aussi des ambitieux à qui elle promettait de grands rangs et de grands honneurs. Mais que faire de ces rangs? disaient-ils après l'avoir vue; nous n'oserions nous montrer, étant si dégoûtants et si horribles. Enfin il se présenta une jeune fille de village, belle comme le jour, qui demanda la couronne pour prix de sa jeunesse; elle se nommait Péronnelle. La reine s'en fâcha d'abord; mais que faire? à quoi sert-il de se fâcher? elle voulait rajeunir.

«Partageons, dit-elle à Péronnelle, mon royaume: vous en aurez la moitié, et moi l'autre ; c'est bien assez pour vous, qui êtes une petite paysanne.

- Non, répondit la fille, ce n'est pas assez pour moi je veux tout. Laissez-moi mon bavolet avec mon teint fleuri; je vous laisserai vos cent ans avec vos rides et là mort qui vous talonne.

<«<- Mais aussi, répondit la reine, que ferais-je, si je n'avais plus de royaume?

«< Vous ririez, vous danseriez, vous chanteriez comme moi, lui dit cette fille.

<«< En parlant ainsi, elle se mit à rire, à danser et à chanter.

<«< La reine, qui était bien loin d'en faire autant, lui dit :

- Que feriez-vous à ma place? Vous n'êtes point accoutumée à la vieillesse.

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- Je ne sais pas, dit la paysanne, ce que je fe. rais; mais je voudrais bien l'essayer, car j'ai toujours ouï dire qu'il est beau d'être reine.

« Pendant qu'elles étaient en marché, la fée survint, qui dit à la paysanne :

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Voulez-vous faire votre apprentissage de vieille reine, pour savoir si ce métier vous accommodera? <«<- Pourquoi non? dit la fille.

« A l'instant, les rides couvrent son front, ses cheveux blanchissent; elle devient grondeuse et rechignée; sa tête branle et toutes ses dents aussi : elle a déjà cent ans. La fée ouvre une petite boîte et en tire une foule d'officiers et de courtisans richement vêtus, qui croissent à mesure qu'ils en sortent, et qui rendent mille respects à la nouvelle reine. On lui sert un grand festin; mais elle est dégoûtée et ne saurait mâcher; elle est hontcuse et étonnée; elle ne sait ni que dire, ni que

faire; elle tousse à crever; elle crache sur son menton; elle a au nez une roupie gluante, qu'elle essuie avec sa manche; elle se regarde au miroir et se trouve plus laide qu'une guenuche. Cependant la véritable reine était dans un coin, qui riait et qui commençait à devenir jolie; ses cheveux revenaient, et ses dents aussi; elle reprenait un bon teint frais et vermeil; elle se redressait avec mille petites façons; mais elle était crasseuse, court vêtue, et faite comme un petit torchon qui a traîné dans les cendres; elle n'était pas accoutumée à cet équipage; et les gardes, la prenant pour quelque servante de cuisine, voulaient la chasser du palais. Alors Péronnelle lui dit :

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Vous voilà bien embarrassée de n'être plus reine, et moi encore davantage de l'être tenez, voilà votre couronne; rendez-moi ma cotte grise.

<< L'échange fut aussitôt fait, et la reine de revieillir, et la paysanne de rajeunir. A peine le changement fut fait, que toutes deux s'en repentirent; mais il n'était plus temps. La fée les condamna à demeurer chacune dans sa condition. La reine pleurait tous les jours. Dès qu'elle avait mal au bout du doigt, elle disait :

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-

Hélas! sij'étais Péronnelle, à l'heure que je parle je serais logée dans une chaumière et je vivrais de châtaignes; je danserais sous l'orme avec les bergers, au son de la flûte. Que me sert d'avoir un beau lit, où

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