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nombre de fables, toutes fort médiocres, sauf celle-ci

peut-être :

LE PAPILLON ET LES TOURTERELLES

Un Papillon, sur son retour,
Racontait à deux tourterelics

Combien, dans l'âge de l'amour,

Il avait caressé de belles.
Aussitôt aimé qu'amoureux,
Disait-il, ô l'aimable chose!
Lorsque, brûlant de nouveaux fet.x,
Je voltigeais de rose en rose.
Maintenant on me fuit partout,
Et partout aussi je m'ennuie.
Ne verrais-je jamais le bout
D'une si languissante vie?
Les Tourterelles sans regret :
Répondirent dans la vieillesse
Nous avons trouvé le secret
De conserver notre tendressc.
A vivre ensemble nuit et jour
Nous goûtons un plaisir extrême.
L'amitié qui vient de l'amour

Vaut encore mieux que l'amour même 1.

Ces tourterelles me rappellent la pièce charmante attribuée par les uns à Pellisson, et par le père Bonhours à M. de Fourcroy:

1Œuvres de Gréuourt, nouvelle édition, t. 4, p. 20. Amsterdam. 1740.

LE PASSANT ET LA TOURTERELLE

LE PASSANT.

Que fais-tu dans ce bois, plaintive tourterelle?

LA TOURTERELLE.

Je gémis, j'ai perdu ma compagne fidèlc.

LE PASSANT.

Ne crains-tu point que l'oiseleur
Ne te fasse mourir comme elle?

LA TOURTERELLE.

Si ce n'est lui, ce sera ma douleur 1.

De tous les fabulistes contemporains de la Fontaine, les deux que je mets au-dessus des autres, à titres fort différents, sont Lenoble et Fénelon.

J'ai déjà parlé de Lenoble2; je n'y reviens aujourd'hui que pour dire un mot de sa vie et pour citer encore une de ses fables, afin que son nom ne manque pas dans cette galerie des fabulistes du dix-septième siècle. J'ai dit qu'il était d'une bonne famille de magistrature, et il fut, fort jeune encore, procureur général au parlement de Metz; mais il avait un goût excessif pour tous les plaisirs: bientôt il fut forcé de vendre sa charge. Accablé de dettes el ne sachant comment les payer, il fit des faux et fut condamné par le Châtelet à neuf ans de bannissement. Il appela du jugement du Châtelet et fut transféré à la Conciergerie, où se trouvait une

1 Recueil de vers choisis, p. 95.

2 jer vol 11 et 2° leçon.

femme appelée la belle épicière, que son mari avait fait enfermer pour ses désordres. Lenoble l'aima, s'en fit aimer et obtint qu'elle fût transférée dans un couvent, d'où elle s'évada. Lenoble, de son côté, s'étant évadé de la Conciergerie, ils vécurent ensemble jusqu'à ce que Lenoble ayant été arrêté de nouveau, le jugement qui le condamnait fût confirmé. Cependant l'arrêt ne fut point exécuté. Déjà, dans sa prison, Lenoble, écrivant pour vivre et pour faire vivre sa maîtresse, s'était fait le pamphlétaire de Louis XIV. Le grand roi, attaqué par les pamphlets de la Haye, attaquait aussi ses ennemis par des pamphlets. C'était une guerre de plume, qui tantôt précédait, tantôt accompagnait la guerre véritable. Il est curieux de voir, en parcourant les œuvres volumineuses de Lenoble1, particulièrement ses dialogues politiques, il est curieux de voir la vivacité souvent injurieuse de cette polémique. Les pamphlets hollandais étaient interdits et brûlés à Paris; les pamphlets de Lenoble étaient aussi brûlés à la Haye par la main du bourreau.

Je ne dis pas que Louis XIV connaissait les pamphlets de Lenoble; mais son lieutenant de police les autorisait en secret. Ils n'avaient point de privilége du roi pour être imprimés; ils ne l'étaient pas moins. Tous les personnages du temps, tous ceux qui étaient oppo

4 Vingt volumes. Paris, 1718

sés à la politique de Louis XIV, les ministres de l'Angleterre et de la Hollande, les généraux de l'empereur d'Allemagne y sont raillés et calomniés à plaisir. Le pape Innocent XI, un des adversaires de Louis XIV, n'est pas plus épargné que le roi Guillaume. C'est dans ces pamphlets qu'on peut voir l'opinion publiquequ'on donnait à la France. Le roi Louis XIV n'aimait pas la presse; mais il aimait à s'en servir contre ses

adversaires.

Lenoble avait quelques-unes des qualités de l'écrivain polémique : la facilité, la clarté, la raillerie plutôt abondante que fine. Du reste, il ne faisait pas seulement des pamphlets politiques : il faisait toute sorte d'ouvrages, des romans, des nouvelles, des histoires, des contes, des odes, des poëmes épiques, des poëmes héroï-comiques, des dialogues moraux où il enseignait l'art de se bien conduire, lui qui n'avait jamais su conduire sa vie. Il était à la solde des libraires, et il gagnait beaucoup d'argent, plus de mille francs par mois, somme énorme pour le temps; mais il dépensait lout en plaisirs, travaillant comme un esclave pour vivre pendant quelques heures en riche libertin. Poëte et prosateur négligé, mais ne manquant ni de verve ni d'audace, le malheur de Lenoble, c'est qu'il n'a pas su mieux conduire son talent que sa vie. Je suis sûr que, si quelque homme d'esprit de nos jours, se dévouant à la gloire de Lenoble,

voulait extraire de ses vingt volumes un ou deux volumes de prose et de vers, il ferait un ouvrage agréable. Il pourrait, par exemple, prendre quelques falles; mais il faudrait les abréger, car Lenoble est long et diffus. En voici une, où il y a des traits charmants, le Renard et le Loup, ou l'Ami de cour. Elle vaut mieux cependant à lire par extraits cntière.

A la cour d'un fameux lion

Le Loup et le Renard, faufilés pour affaire,
Devinrent amis et compères,

Et vécurent longtemps en étroite union.

que tout

Un jour, le Loup, voulant entrer dans une étable, ne vit pas un puits qui était placé auprès, et il tomba dedans. Que faire? Il essaye vainement d'en sortir; il se met à crier au secours.

Le Renard vient aux cris, et le Loup plein de joie :

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Quelle infortune est donc la tienne?

Répondit le Renard; que je plains ton mallicu!

Non, jamais il ne fut douleur

Si véritable que la mienne.

Quoi! le plus cher de mes amis,

Tout prêt à se noyer! Dis-moi : là qui t'a mis?
Scrait ce le berger? j'en veux prendre vengeance.
Eh! mon ami, tends-moi la main,

Lui répartit le Loup; nous jaserons demair;
J'ai besoin de ton assistance

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