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Former d'un vain projet le plan imaginaire,
Changer en cent façons l'ordre de l'univers,
Sur doutes proposer mille doutes divers,

Puis tout seul, brusquement, s'écarter d'ordinaire,
Non pour rêver à vous qui rêvez tant à lui,
Mais pour varier son ennui.

« Car vous savez, madame, qu'il s'ennuie partout, et même, ne vous en déplaise, quand il est auprès de vous, surtout quand vous vous avisez de vouloir régler ou ses mœurs ou sa dépense 1. »

Lettre curieuse, dont les détails font surtout honneur à madame d'Hervart, et nous la font aimer de plus en plus comme l'amie attentive et compatissante de la Fontaine, tâchant d'être sa directrice, n'y réussissant guères mais ne se lassant pas des travers du vieux poëte, du désordre de sa vie, de la brusquerie de ses manières, ni même de ses ennuis qu'il ne cachait pas. Rien dans la Fontaine ne rebutait madame d'Hervart; elle n'exigeait de lui aucune assiduité, aucune attention, et elle pensait sans cesse à lui qui pensait peu å elle. Le bonhomme, dans cette lettre de Vergier, son disciple, son compagnon de plaisir et de monde, ne paraît guère en beau; il est moins aimable que nous ne voulons nous le figurer. Mais Vergier lui-même ne paraît point en beau, et je lui sais mauvais gré de sa sévérité méprisante pour la Fontaine. Je reconnais là

OEuvres de Vergier, t. II, p. 84.

l'égoïsme intolérant qui règne ordinairement entre épicuriens, les gens du monde les moins disposés à se rien passer entre eux.

Pavillon n'était pas, comme Vergier, un disciple et un imitateur de la Fontaine; mais il s'était fait aussi une réputation dans la poésie légère. Il n'était pas non plus de la société du bonhomme; il était d'un monde plus sérieux, quoiqu'il excelle aussi dans la galanterie et dans la moquerie ingénieuses; il n'allait jamais jusqu'à la licence. Homme de goût, très-savant dans les lettres, écrivain spirituel, nommé membre de l'Académie française, en 1691, après la mort de Benserade; ami de Boileau, d'abord magistrat, neveu de Pavillon, évêque d'Aleth, qui fut presqu'un saint, il gardait, soit dans sa vie, soit dans ses écrits, la réserve et la décence qui convenaient à sa famille et à son âge. Quoique galant par habitude et faiseur de petits vers, il n'avait, étant vieux, ni les propos ni les manières qui dans la Fontaine étonnaient, selon Vergier, les jeunes filles du monde peu austère de madame d'Her

vart.

Si je pouvais vous voir souvent sans m'engager,

écrit-il à une jeune dame qui lui reprochait qu'il ne l'allait pas voir,

Je ne voudrais faire autre chose.
Mais pardonnez-moi, si je n'ose

M'exposer désormais à ce charmant danger.
C'est en vain que mon cœur serait fidèle et tendre;
Un barbon à l'amour doit-il s'abandonner?

On ne peut trop craindre d'en prendre,
Quand on ne peut plus en donner1.

L'art et le mérite de ces petits vers de société, que je ne veux pas trop vanter, que je ne veux pas non plus trop déprécier, étaient de pouvoir tout dire avec esprit et avec grâce, c'est-à-dire avec bienséance, non pas la bienséance d'un parloir de couvent, mais d'un salon de bonne compagnie.

Le sérieux, qui ne fait jamais tort à l'agrément et qui même le soutient, se rencontre partout dans Pavillon. Tandis que Vergier, à Londres, en 1688, en pleine révolution, faisait une chanson de fade galanterie pour madame d'Hervart et ne paraissait pas se douter de la gravité des événements, Pavillon, qui avait, parmi ses amis, des protestants, grands partisans de 1688, qui lui vantaient la révolution et ceux qui l'avaient faite, c'est-à-dire le prince et la princesse d'Orange, fille de Jacques II, Pavillon ne se laisse pas prendre à ces louanges, il fait ses réserves : « Il n'y a rien de si spirituel que l'éloge que vous faites de madame la princesse d'Orange, écrit-il à madame de Pelissari, une de ses amies protestantes et exilée; elle n'a jamais été peinte avec tant de force et tant de grâce, et, si je ▲ Pavillon, p. 96. Paris, 1720.

pouvais oublier la dernière action de sa vie, je la reconnaîtrais avec plaisir dans le portrait que vous m'avez envoyé :

Cette princesse est fort aimable;

Elle est, si vous voulez, en tout incomparable,
Elle a de la bonté, de l'esprit, du savoir
Et toutes les vertus ensemble;
Mais Dieu vous préserve d'avoir
Une fille qui lui ressemble!

« Il faudrait prendre garde de trop près à ce que l'on ferait avec des enfants d'un pareil mérite, et je ne connais point de père qui en voulût de si habiles à succéder. On n'a pas eu dessein, dites-vous, de pousser les choses à l'extrémité où elles sont: cette entreprise n'était seulement que l'effet d'un zèle qui ne prétendait autre chose que la conservation de la religion protestante.

A l'égard de l'intention,

Au jugement du ciel un chrétien l'abandonne ;
Mais souffrez que l'homme soupçonne

Un acte de religion

Qui s'empare d'une couronne1. »

Ce que Pavillon a de sagesse épicurienne est aussi de meilleur aloi et de meilleur ton que ce qu'en a Vergier. On sent partout, dans ce mondain aimable et honnête, le goût de l'ordre et de la règle; rien de 1 Pavillon, p. 18.

grave et de guindé, mais rien non plus de licencieux et de désordonné. Donne-t-il une direction de vie à l'une de ses amies du monde, quelle expérience, quels préceptes de bon goût et de bon sens, égayés seulement d'une pointe de malice ou de galanterie!

Soyez par tous aimée et vivez sans amour;
Dormez toute la nuit, travaillez peu le jour;
Gardez avec grand soin ce qu'on ne peut vous rendre,
Laissez parler le monde et faites toujours bien;
Ne prêtez point, n'empruntez rien;

Toujours égale, toujours saine;

Un revenu commode et des plaisirs sans peine;
Soyez dévote sans excès;

Nulle affaire, point de procès;
Exempte de haine et d'envie,
Et, contente de votre sort,
Vivez sans crainte de la mort,

Mourez sans regretter la vie.

Iris, voilà les vœux que mon cœur fait pour vous.

S'ils ne répondent point aux vôtres,

Parlez, il lui sera plus doux

Et plus aisé d'en faire d'autres 1.

On voit que, si je mets Pavillon dans l'école de la Fontaine, ce n'est pas qu'il ait tout à fait le même fond d'idées et de sentiments que le bonhomme : c'est pour avoir beaucoup pris de sa gaieté et de sa délicatesse, de sa malice sans méchanceté, avec un tour de correction dans le style et dans la vie que la Fontaine ne se piquait point d'avoir, ou dont tout le monde croyait 1 Pavillon, p. 357,

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