Changent un peu votre courage! Encor, si la saison s'avançait davantage! Attendez les zéphyrs. Qui vous presse? Un corbeau Tout à l'heure annonçait malheur à quelque oiseau. Je ne songerai plus que rencontre funeste, Que faucons, que réseaux. Hélas! dirai-je, il pleut : Bon soupé, bon gîte et le reste? » De notre imprudent voyageur; Mais le désir de voir et l'humeur inquiète Je le désennuierai. Quiconque ne voit guère Je dirai : j'étais là; telle chose m'avint : Le las était usé; si bien que, de son aile, De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin : Vit notre malheureux, qui, traînant la ficelle Le vautour s'en allait le lier 1, quand des nues Crut, pour ce coup, que ses malheurs, Mais un fripon d'enfant, cet àge est sans pitié, Voilà nos gens rejoints; et je laisse à juger Voilà comme il faut entendre le langage des animaux; voilà, quand on l'entend, comme il faut le traduire. Le langage que la Fontaine prête à ses deux pigeons est le langage des cœurs amoureux; il élève les bêtes jusqu'à l'homme en leur donnant la vivacité et la grâce des plus douces passions humaines. Montaigne, au contraire, le grand et piquant docteur du seizième siècle, quand il compare l'homme aux animaux, aime mieux nous abaisser jusqu'à eux par ses railleries. 1 Le saisir. Nous disons que les bêtes n'ont point de langage entre elles qu'en savons-nous? L'argument est que nous ne les entendons point : « C'est à deviner à qui est la faute de ne nous entendre point; car nous ne les entendons, non plus qu'elles nous. Par cette même raison, elles nous peuvent estimer bêtes, comme nous les estimons. Ce n'est pas grand' merveille, si nous ne les entendons pas aussi ne faisons-nous les Basques et les Troglodytes 1. >> 1 Il y a, comme on le voit, deux manières de rapprocher les animaux de l'homme on peut abaisser l'homme jusqu'à eux; on peut les élever jusqu'à lui. Le plain-pied se fait en haut ou en bas. Quand Montaigne joue avec sa chatte, « Qui sait, dit-il, si elle passe son temps de moi plus que j'en fais d'elle? Nous nous entretenons de singeries réciproques. Si j'ai mon heure de commencer ou de refuser, aussi a-t-elle la sienne 2. » Voilà l'homme mis sans façon au niveau de l'animal. L'homme n'y gagne pas, cela est évident; l'animal y gagne peu. Quand, au contraire, la Fontaine fait, de ses deux pigeons, deux amants dont l'un désespère l'autre par ses goûts d'aventures, voilà les animaux élevés au niveau des passions et des aventures humaines. L'homme n'y perd pas; les animaux y gagnent. Je dirais même, si je ne craignais de paraître 1 Montaigne, liv. II, ch xu. 2 Ibidem. trop disposé à glorifier les animaux, que de cette manière le niveau moral de la création s'entretient et s'élève. Je ne crains pas pour l'homme de voir ses bons sentiments représentés par les animaux, l'amour fidèle par les pigeons, l'amitié persévérante par le chien. Car si ces bons sentiments, nécessaires au maintien de l'ordre moral en ce monde, venaient à manquer parmi les hommes, ils pourraient au moins se retrouver à l'aide des animaux, et la tradition ne s'en perdrait pas. N'oublions pas que les bons sentiments s'entretiennent l'un par l'autre. On disait à un pauvre qui avait à peine du pain et qui nourrissait un chien: « Il faudrait quitter votre chien. Eh, monsieur, qui m'aimera, si je quitte mon chien? » Cri admirable, cri d'une âme affectueuse, que l'amitié de son chien défendait seule de l'égoïsme du désespoir. Nous pouvons donc croire qu'il est de la sagesse divine, qu'il y ait de bons sentiments chez les animaux. J'aime que la Fontaine prête à ses bêtes toutes sortes d'affections humaines, et même les meilleures; j'aime qu'il les rapproche de nous en les élevant. Je n'ai pas peur que ce rapprochement devienne jamais une confusion, puisque des deux âmes que la Fontaine trouve en nous, il y en a une, celle qui est toute spirituelle et émanant de l'âme divine, qu'il nous réserve exclusivement. Il n'y a que l'autre âme, celle qui est à la fois matérielle et spirituelle, celle qui est la vie, qui nous soit commune avec les animaux. Les rangs sont done gardés. Mais, une fois la hiérarchie des êtres mise à l'abri de tout désordre, pourquoi la Fontaine' n'examinerait-il pas à plaisir et sans scrupule cette seconde âme qui fait notre proximité avec les animaux ? Pourquoi n'essayerait-il pas d'en déterminer le caractère? Pourquoi même ne se laisserait-il pas aller à philosopher un peu, selon son penchant, sur le caractère de l'âme propre à chaque espèce? La Fontaine croit que chaque espèce a sa nature originelle, que rien ne peut changer; et cette nature ne dépend pas de la conformation des organes de l'animal : elle a son essence primordiale et inaltérable. Il réfute ainsi, par avance, le système d'Helvétius, qui prétend que l'âme dépend des organes du corps, que ce sont ces organes qui la déterminent et la qualifient; que, si l'on donnait au cheval la main de l'homme, le cheval serait homme, de même qu'en donnant à l'homme la corne du cheval, l'homme serait cheval. La Fontaine a consacré deux fables à réfuter cette philosophie toute matérialiste, qui n'abaisse pas sculement l'homme jusqu'aux animaux, qui lui ôte son être original pour ne plus lui laisser qu'un être accidentel; qui du même coup ôte aussi à chaque espèce d'animaux son originalité et son individualité, ne faisant plus La Chatte métamorphosée en femme, liv. II, f. 18, et la Souris métamorposée en fille, liv. IX, f. 7. |